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MCCLXXXVI

Lettres portant remise d'une partie des peines prononcées par les officiers du duc de Bretagne à Fontenay-le-Comte contre Jean Buchon, tisserand de drap audit lieu, qui, pour se venger des mauvais traitements qu'il en avait reçus, avait frappé François Thibaut d'un coup d'épée.

  • B AN JJ. 485, n° 322, fol. 119 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, etc., à tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut. L'umble supplicacion de Jehan Buchon, povre homme, natif de nostre ville de Saint Jehan d'Angeli, tixerrant en draps, aagé de trente trois ans ou environ, à present detenu prisonnier ès prisons de Fontenay le Conte, avons receue, contenant que, puis aucun temps ença il est venu demourer audit lieu de Fontenay, pour y gaingner sa vie à la peine de son corps et excercice de son dit mestier, au mieulx qu'il pourroit ; et jasoit ce qu'il n'eust meffait ne mesdit à François Thibaut, demourant audit lieu de Fontenay, ce neantmoins ledit Thibault et autres qui sans cause raisonnable avoient conceu grant haine et malveillance à rencontre de lui, de nuyt et à heure indeue, en mettant la dite haine à excecucion, depuis ung an ença, d'une espée ou autre ferrement, batirent et navrèrent le dit suppliant très griefvement. Depuis la quelle bateure ledit suppliant, qui ne avoit eu aucune reparacion d'icelle, ainsi qu'il trouva ledit Thibaud devant la maison du dit suppliant, souvenant et aiant en memoire l'injure, bateure [p. 55] et oultrage qui luy avoit esté fait par le dit Thibault, frappa icellui Thibault d'une espée qu'il avoit plusieurs coups. A l'occasion de laquelle bateure, jasoit ce qu'il eust esté le premier batu et injurié, et par ce eu cause et couleur de batre le dit Thibault, il a esté prins et constitué prisonnier par les gens et officiers de nostre très chier et très amé cousin le duc de Bretaigne1, connestable de France, audit lieu de Fontenay, par lesquelz, pour occasion de ladicte bateure, il a esté condempné en douze escuz d'or d'amende envers nostre dit cousin et à estre batu et fustigé par ung jour de marché publiquement audit lieu de Fontenay, et banny des terres de nostre dit cousin, et à reparer et amender ledit delit audit Thibault. Depuis laquelle condempnacion, aucuns des parens et amis dudit suppliant se sont traiz par devers nostredit cousin et lui ont fait remonstrer que, se la dicte sentence estoit à l'encontre de lui ainsi rigoureusement mise à execucion, ce seroit et pourroit estre la destruction total, deshonneur et vitupère dudit suppliant, qui est jeunes homs et a bon vouloir de vivre désormais honestement et non faire chose dont il doye estre reprins, icellui nostre cousin, en faveur de ce, luy a quicté et remis la moitié de la dicte amende de douze escuz qu'il a paiée, ensemble la dicte amende corporelle et rappellé le dit bannissement, et de [p. 56] ce luy octroya ses lettres patentes, signées de sa propre main et de l'un de ses secretaires. Neantmoins ledit suppliant doubte, obstant ce que nostre dit cousin n'est seulement que usuffructuaire dudit lieu de Fontenay, que aucuns voulsissent dire nostre dit cousin n'avoir povoir de faire la dicte quictance corporelle et rappeller ledit bannissement, et que par ce, obstant iceulx, on voulsist rigoureusement ladicte sentence mettre à rencontre de lui à excecucion, se par nous ne lui est ledit bannissement rappellé et peine corporelle quictée et pardonnée et sur ce nostre grace eslargie, si comme il dit, requerant humblement que, attendu que ledit suppliant a esté le premier batu,par quoy a esté aucunement meu d'avoir batu le dit Thibault, que icellui Thibault est guery et sain, sans ce qu'il en soit demouré malade, que pour occasion dudit cas, il a jà esté longuement prisonnier, en grant povreté et misère et jà paié la moitié de la dite amende de douze escuz en quoy il estoit condempné envers nostre dit cousin, ainsi que nostre dit cousin, par sesdictes lettres, l'avoit voulu et octroié, il nous plaise la dicte peine corporelle luy quicter et remettre, et le dit bannissement rappeller, et sur ce luy impartir nostre grace. Pour quoy nous, ce consideré, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons ladicte amende corporelle quicté et pardonné, quictons et pardonnons, de grace especial, plaine puissance et auctorité roial, par ces presentes, et de nostre plus ample grace avons ledit bannissement rappellé et rappellons par ces dictes presentes, en le restituant à ses bonne fame et renommée, audit païs et à ses biens non confisquez par ledit bannissement, satisfacion faicte à partie civilement tant seulement, se faicte n'est, et reservé à nostre dit cousin ou autres à qui il appartendra la dicte amende civile. Si donnons en mandement à nostre seneschal de Poictou ou à son lieutenant à son siège de Poictiers, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, le [p. 57] xxe jour de fevrier l'an de grace mil cccc. cinquante sept, et de nostre règne le xxxvie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. G. Authouis.


1 Le connétable de Richemont, devenu duc de Bretagne sous le nom d'Artur III par la mort de son neveu Pierre II (22 septembre 1457), qui ne laissait point d'enfants, jouissait de Fontenay-le-Comte (château, ville et châtellenie) et de ses revenus avec droit d'y instituer les officiers, depuis son premier mariage, 10 octobre 1423. Charles VII l'avait assigné avec d'autres terres et seigneuries à Marguerite de Bourgogne, veuve de Louis, dauphin, duc de Guyenne, pour son douaire. Après la mort de celle-ci, par lettres patentes datées de Lusignan, le 10 mars 1442, le roi confirma à Richemont la possession de Fontenay, sa vie durant, et il en jouit effectivement jusqu'à son décès (26 décembre 1458). Il a été question de ce démembrement du domaine de Poitou dans notre précédent volume, Introduction, p. XXXI-XXXII. M. Cosneau cite comme une preuve de la générosité et de l'indulgence du connétable les lettres de rémission qu'il octroya à Jean Buchon, de Fontenay-le-Comte, dont la confirmation royale est publiée ici. (Le connétable de Richemont, p. 446, 458 note.)