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MCCXCII

Rémission octroyée à Pierre Maignen, poursuivi devant le sénéchal de Champgillon, pour avoir mis en circulation de la monnaie rognée qu'il tenait d'un compagnon de guerre.

  • B AN JJ. 187, n° 247, fol. 132
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. A tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut. Receu avons l'umble supplicacion de Pierre Maignen, laboureur, demourant en Poictou en la chastellenie de Fontenay le Conte, chargé de femme et de quatre petiz enffans, contenant que tout son temps il s'est meslé du fait de labour et aucunes foiz de vendre vin et logier les passans, et aussi du fait de marchandise, en quoy il s'est bien et honnestement gouverné, et jusques à environ deux ans qu'il vint logier en son hostel en passant païs ung compaignon de guerre, archier, à lui incongneu ; lequel, après ce qu'il eut beu et repeu, demanda audit suppliant la monnoye d'un escu, laquelle lui bailla ledit suppliant, et d'icelle retint l'escot dudit compaignon. Et ce fait s'en ala, maiz depuis retourna et demanda à icelui suppliant s'il vouloit avoir de la monnoye pour de l'or1, et qu'il en avoit assez, [p. 71] dont il fut esmerveillé pour ce qu'il lui en avoit baillé pour ung escu, comme dit est ; et toutesvoyes dist audit compaignon de guerre qu'il estoit content d'en avoir pour trois escus. Lesquelz il lui bailla et ledit compaignon lui bailla la monnoye, et quant icellui suppliant l'eut en ses mains, il apparceut qu'elle avoit esté rongnée, et lui dist qu'il n'en vouloit point et qu'elle ne lui sembloit pas bonne ; et ledit compaignon lui respondit que si estoit. Sur quoy ilz eurent ensemble plusieurs parolles tellement que icellui compaignon lui dist qu'il ne lui rendroit point ses diz trois escus, maiz qu'il lui bailleroit encores sept solz six deniers tournois, dont fut ledit suppliant content doubtant que icellui compaignon qui estoit homme de guerre, comme dit est, ne lui fist aucun desplaisir, et par ainsi furent trente solz tournois pour escu. Et après ce en parlant de ladicte monnoye, icellui compaignon confessa oudit suppliant qu'elle estoit rongnée, mais qui n'y avoit point de dangier de la mettre ne de rongner, et lui dist que s'il en rongnoit, qu'il le feist si secrettement et le plus qu'il pourroit, et atant s'en partit ledit compaignon. Laquelle monnoye ledit suppliant employa, mist et aloua comme bonne, en plusieurs ses affaires et besongnes. En haine de laquelle monnoye ainsi mise et allouée, comme dit est, aucuns larrons, ses haineulx, se transportèrent, ung an a ou environ, en l'ostel où gisent les bestes dudit suppliant, où ilz trouvèrent une boeste de bois qu'il y avoit mussée pour le bruit qui fut en nostre païs de Poictou que les Anglois, noz anciens ennemis et adversaires, y estoient descenduz ; en laquelle il avoit mis deux lingotz, l'un d'un escu et ung salut romputz et l'autre de vieulx blancs de forge ancienne et de hardiz2, monnoye d'Espaigne ; lesquelz blancs souloient courir pour dix deniers, [p. 72] pesant ledit lingot quatre mares d'argent ou environ. Lesquelz escu, salut et monnoye il avoit fonduz en intencion de faire faire de ladicte monnoye ou de partie d'icelle ung calisse et dudict or le faire dorer, pour le donner à son eglise, dont il a esté et est procureur et receveur. Lesquelz lingotz ainsi faiz, peu après s'est repenti, doublant qu'on y suspeçonnast aucun mal. Et quant ledit suppliant sceut qu'on lui avoit emblé sadicte boète qu'il y avoit mussée pour ledit bruit, fut moult desplaisant et courroucié, et pour ce en fist faire amonicion generale en saincte eglise. Pour quoy icelle boeste fut mise et baillée par les larrons qui l'avoient prinse, qui ont esté ses varletz, ès mains d'un voisin dudit suppliant, son haineulx, qui la bailla au seneschal ou juge de Changillon3 en la jurisdicion duquel icellui suppliant demeure, en intencion de faire perdre audit suppliant ladicte boeste. Lequel seneschal ou juge fist aler par devers lui ledit suppliant, qui confessa ladicte boeste estre sienne. Et pour ce qu'il donnoit à entendre à icellui suppliant qu'il lui feroit avoir remission du cas par lui commis, lui fist confesser plusieurs choses non veritables. Et à ceste cause, ledit suppliant a esté adjourné à comparoir en personne en ladicte justice de Champgillon, et ses biens prins et saisiz. A [p. 73] quoy ne s'est osé comparoir, maiz s'est ledit suppliant absenté du païs, doubtant rigueur de justice, et n'y oseroit jamais retourner, se nostre grace ne lui estoit sur ce impartie. En nous humblement requerant que, attendu que ledit suppliant n'a aucunement rongné ladicte monnoye et qu'il fut induit, séduit et comme contraint par ledit compaignon de guerre à la prandre, mesmement qu'il fist reffuz de la prandre après qu'il l'eut apperceue, et que ledit compaignon ne lui voult rendre ses diz trois escus, aussi qu'il ne cuidoit en riens mesprendre de fondre lesdiz or et monnoye, aussi que les choses par lui confessées audit seneschal ou juge de Champgillon, parce qu'il lui donnoit à entendre qu'il lui feroit avoir remission, ne sont pas veritables, et que en tous autres cas il est bien famé et renommé, et ne fut oncques actaint d'aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, nous lui vueillons sur ce impartir nostre dite grace et pardonner le fait et cas dessusdit. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde et grace estre preferées à rigueur de justice, audit suppliant oudit cas avons quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, à nostre seneschal de Poictou ou à son lieutenant et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, le ixe jour de aoust l'an de grace mil iiiie lviii, et de nostre règne le xxxvime.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. A.

Rolant


1 Le texte par erreur porte « pour de loi ».
2 Cette monnaie avait la même valeur que le liard (trois deniers) ; on la nommait ainsi, disent les auteurs, à cause du roi Philippe III, qui le premier la fit frapper.
3 Il y avait à Champgillon une commanderie, membre dépendant du grand prieuré d'Aquitaine. La châtellenie qui lui appartenait comprenait les paroisses de Champgillon et de Thiré et partie de celle de Saint-Juire, Saint-Martin-lArs, la Chapelle-Thémer, Saint-Martin-des-Fontaines, la Jaudonnière, Saint-Aubin-la-Plaine, Nalliers, Saint-Jèànde-Beugné, l'Hermenault, Sainte-Pexine, Bessay, le Simon, Sainte-Hermine, Moutiers-sur-Lay, Saint-Hermand, Saint-Valérien, Saint-Etienne-de-Brillouet, Sainte-Gemme de Luçon, Saint-Philbert-de-Pontcharrault, la Réorthe, Saint-Vincent de Fort-du-Lay, Chantonnay, Bournezeau, Puybéliard, Saint-Germain-de-Prinçay, Saint-Mars-des-Prés et Saint-Pierre-du-Chemin. (Les juridictions bas-poilevines, par A. Bitton, Annuaire de la Société d'émulation de la Vendée, 1889, p. 153.) La commanderie de Champgillon réclamait aussi toute juridiction sur le village de Maupirison, ainsi que le droit d'y établir des mesures pour le vin et le blé et de contraindre les habitants à faire moudre leur blé aux moulins delà commanderie, choses que lui contestait André Grignon. Un arrêt du Parlement de Poitiers, du 31 mars 1428 n. s., lui donna pleinement gain de cause. (Arch. nat., X1a 9191, fol. 90.)