[p. 249]

MCCCXXXV

Rémission en faveur de Simon Gastineau, dit Gervais, et de Pierre Pageaut, dit Thévenin, de Vouillé près Poitiers, qui craignaient d'être inquiétés comme complices d'un meurtre.

  • B AN JJ. 190, n° 62, fol. 32
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Simon Gastineau, dit Gervays, et Pierre Pageaut, dit Thévenin, pouvres gens mecaniques demourans à Vouilhé près Poictiers, contenant que lesdiz Gastineau et Pageaut, dès leur jeune aaige jusques à present, ont esté et sont de bonne vie et honneste conversacion et se sont tousjours bien et honnestement gouvernez selon leur estat, et ont vesquu de leur mestier bien et loyaument et conversé doulcement et paisiblement avecques leurs voisins, sans ce que jamais ilz aient esté actains et convaincuz d'aucun vilain cas, blasme ou reprouche, et que, environ le xiiiime jour d'octobre derrenier passé, il avint que ledit Pageaut1 fut convié ou semont à soupper par ung nommé Pierre Moreau, son voisin, vendant vin à détail audit lieu de Vouilhé, où ledit suppliant ala. Et lui estant ilec ainsi à souper avecques ledit Moreau, ledit Gastineau, son serourge, vint et se rendy ilec en entencion de lui faire achapter une jument, pour ce que ledit Pageaut avoit prié icelui Gastineau de la lui faire avoir. Auquel lieu et hostel il trouva soupant ensemble lesdiz Moreau et Pageaut et Macé Bigot, Guillemin Rolant et Jehan Picart, et s'i arresta [p. 250] et beurent et mengèrent ensemble. El eulx estans ainsi à table, ledit Bigot demanda audit Pageaut s'il vouloit point ehanger de botes ou houseaux ; à quoy ledit Pageaut respondi que oyl. Et en ce disant, survint ung nommé Phelippon Chevalier2 cordouennier demourant audit lieu [p. 251] de Vouilhé, natif du païs d'Anjou, avecques ung sien varlet dudit mestier de cordouennerie, de l'aage de xx. ans ou environ, nommé Jehan Quantet, lesquelx ilz promisdrent croyre dudit eschange. Et après ce, lesdiz Bigot et Chevalier se prindrent à vouloir composer ledit marché d'eschange de botes, et ainsi que ledit Bigot essayoit les botes dudit Philippon Chevalier, les boucles dudit Bigot furent emblées et doubtèrent ou souspeçonnèrent ledit varlet l'avoir fait, pour ce qu'il avoit par ung pou de temps esté près et joignant desdictes botes. Et ce voyant, ledit Bigot demanda lesdictes boucles et dist qu'il les auroit, ainçois que personne saillist dehors, et ce dit, s'en ala fermer la porte de l'ostel dudit Moreau et s'en revint où estoit ledit Philippon Chevalier. Et ainsi qu'il fut retourné, ledit Phelippon Chevalier dist audit Bigot telles parolles ou semblables en substance : « Hée, paillard, cuides tu que je laisse pour toy à m'en aler de ceans? Je renye Dieu si je laisse pour toy, et si tu te mectz au devant, je te mectré sur les carreaulx ». Et en ce disant, mist icelui Philippon Chevalier la main à sa dague et la tyra demie ; mais ledit Gastineau suppliant l'empescha en le prenant au braz et au fourreau de sadicte dague, et en la remettant en icelui fourreau, sans le lascher, lui dist telz motz : « Beau sire, vous qui estes homme de bien, pour ung pou de chose, voulez vous deffaire la compaignie ? » Et lors ledit Phelippon Chevalier lui dist : « Lasche moy, je m'en veulx aler et n'en parleray plus ». Et adonc le lascha, mais incontinent qu'il fut lasché, il tyra sadicte dague et renya Dieu de rechief que le premier qui se mettroit au devant de lui pour l'empescher a s'en aler, il le mettroit sur les carreaulx. Et ce nonobstant, lesdiz Rolant et Picart se prindrent audit Chevalier et lui retournèrent sadicte dague oudit fourreau. Et ce fait, lesdiz Gervais, Pageaut, Rolant, Picart et Bigot se departirent de la compaignie dudit Phelippon Chevalier et de sondit varlet et s'en alèrent dehors, pour [p. 252] eschever noise, en l'ostel dudit Pageaut. Et quant ilz furent retraiz, icelui Phelippon Chevalier et sondit varlet vindrent escouter que l'en disoit et faisoit devant la maison dudit Pageaut. Et ainsi qu'ilz estoient illec escoutans, aians et venans, icelui Gastineau print troys petites theulles et en lensa ou gecta l'une contre ung des estallons3 de la halle dudit lieu de Vouillé par une fenestre, et incontinent après ferma ladicte fenestre ; et tantost icelui Phelippon Chevalier et sondit varlet ou l'un d'eulx gectèrent deux pierres contre ladicte fenestre, tellement qu'ilz en desrompirent ung ays. Et lors icelui Gervays print troys petiz theublaz et les gecta contre l'eschelle des greniers estans sur ladicte halle, non pas pour les fraper, mais en entencion de les faire cesser et en aler. Et quant icelui Pageaut vit qu'ilz gectoient ainsi les pierres les ungs aux autres et contre sadicte maison, il se courroussa, disant qu'il sauroit pourquoy on gectoit ainsi les pierres contre sadicte maison, et en ce disant sailli en la rue tout nu piez. Et lors ledit Phelippon Chevalier gecta une pierre de plain poing contre ledit Pageaut et l'eust frappé, s'il ne se feust remué, et icelui Pageaut lui en gecta une autre contre lui. Et ce fait, iceulx

Picart, Bigot et Rolant yssirent dehors ledit hostel dudit

Pageaut, ayans en leurs mains, c'est assavoir ledit Picart une forche de fer emmanchée, ledit Bigot ung bourdon ferré et ledit Rolant ung gros baston de somme de boys et poursuirent tellement ledit Phelippon Chevalier qu'ilz le firent retraire hastivement en son hostel ; et ainsi qu'il y fut entré, lesdiz Picart et Bigot se tindrent et arrestèrent devant la porte dudit hostel, qui estoit toute ouverte, en lui disant : « Saulx, saulx ! » Et en ce disant, ledit Philippon Chevalier ferma sadicte porte et s'en monta en son plancher. Et ce fait, ledit Roland s'en ala frapper troys ou quatre cops d'estoc avecques ledit baston contre la fenestre [p. 253] de l'ouvrouer dudit Phelippon Chevalier. Et incontinent après, ledit Chevalier ou autres de ses gens gectèrent deux gros tisons de feu par la fenestre dudit plancher, à l'endroit d'icelle fenestre dudit ouvrouér, contre ledit Rolant, mais ilz ne le frappèrent point. Et ce fait, iceulx Phelippon Chevalier, ses femme et varlet descendirent dudit plancher au bas et ouvrirent, ou l'un d'eulx, la porte, et icelle ouverte, dist ledit Chevalier à sesdiz femme et varlet qu'ilz saillissent dehors ; et incontinent saillirent icelle femme et varlet, et ledit Phelippon Chevalier demoura au dedans et ferma la porte sur lui. Et estant ladicte femme ainsi dehors, dist audit Picart : « Pourquoy nous faictes vous ces oultraiges? » A quoy ledit Picart respondi qu'elle s'en alast à son hostel et qu'ilz ne lui feroient nul mal. Et neantmoins lesdiz Rolant et Picart s'àpprouchèrent dudit hostel et y trouvèrent ledit varlet, auquel icelui Rolant donna ung cop dudit baston par l'eschine, et ledit Picart dist à icelui varlet : « Ha, ribaut, c'est vous qui avez couppé les boucles ». Et lors ledit varlet lui dist : « Je vous deffends mon corps, et ne me frappez point ; car si vous me frappez, vous en repentirez ». Et lors, ledit Picart lui bailla de ladite fourche sur la teste par derrière, tellement qu'il le fist cheoir à terre en adent4 au long du mur dudit hostel d'icelui Rolant. Et ce fait, ledit Picart adreça ses parolles contre ledit Philippon Chevalier, disant : « Saulx, saulx, ribaut, infame, saulx hardiement ! » A quoy ledit Phelippon Chevalier lui respondi : « Viens, viens; par le sang Dieu, si tu viens, je te serviray bien ». Et ledit Picart lui dist : « Et par le sang Dieu, si ferai ge ! » Et y ala et se combatirent ensemble ung peu de temps avecques lesdictes fourche de fer et dague, et en ce faisant, des cops qu'ilz frappoient sur lesdictes dague et fourche de fer faisoient saillir le feu et s'entredisoient plusieurs injures et villenies. Et [p. 254] frapa ledit Picart de ladicte forche contre ladicte porte dudit hostel ung peu entre ouverte, tellement qu'il mist sadicte forche entre la claveure et l'ays de ladicte porte. Et adonc icellui Phelippon Chevalier de sadicte dague frappa ledit Picart contre la poictrine, et cuida estre blecié, ainsi qu'il dist lors, mais il ne le fut pas, obstant l'estoffe de son pourpoint qui estoit espez. Et après ce, ledit Phelippon Chevalier ferma sadicte porte et ala gecter ung petit tison par une petite fenestre qui estoit à l'endroit de l'eschelle contre ledit Picart ; et lors ledit Gastineau vit et apperceut ledit varlet qui estoit cheu tout adent contre terre au long dudit mur d'icelui hostel dudit Chevalier; lequel Chevalier après monta ou plancher et crya : « Justice, justice à ces larrons qui me veullent rober ! » Et lors ledit Picart lui dist qu'il n'y avoit personne qui voulsist riens du sien, fors que sa personne. Et après icelui Phelippon Chevalier descendi jusques à sa porte qui estoit ouverte, et ledit Picart qui le sceut le poursuy jusques à troys eschellons de ladicte eschelle avecques la forche, tant qu'il le fist monter hastivement en sondit plancher, et quant il y fut, gecta deux gros tisons de feu au long de ladicte eschelle et aussi ung landier contre ledit Picart, cuidant l'avoir frappé. Et pour plus amplement cuider le batre, sailly dehors et trouva sondit varlet, cuidant que ce fust ledit Picart, et lui donna plusieurs cops et colées lui et sadicte femme, disant : « Ha, ha, Picart, y estes vous venu, et par le sang Dieu, vous l'acheterez ! » Et en frappant ainsi sur ledit varlet, cuidant frapper sur ledit Picart, ladicte femme dudit Phelippon Chevalier apperceut que c'estoit leurdit varlet et dist audit Phelippon, son mari, qu'il ne frappast plus et que c'estoit icelui varlet. Adonc dist ledit Chevalier audit Picart telles parolles ou semblables en substance : « Picart, je te prie, laisse moy faire aux autres, je ne te demande riens. Et fust ores mon varlet mort ». Et lors lesdiz Picart et Roland entrèrent oudit [p. 255] hostel dudit Phelippon Chevalier et parlèrent certaine espace de temps ensemble. Et en ce faisant, ledit Gastineau suppliant approucha la dague ou poing et dist audit Phelippon Chevalier que c'estoit belle chose d'avoir pour ung meschant paillart tousjours noise, en regnyant Dieu qu'il tueroit tout homme. Et lors ledit Phelippon Chevalier lui dist telles ou semblables parolles : « Es tu là, villain. Par le sang Dieu, je t'en paieray bien », et sailly dehors, en disant ausdiz Picart, Bigot et Rolant qu'ilz ne se meissent point au devant et qu'ilz le laissassent faire, et ce fait, poursuivy ledit Gastineau suppliant atout sadicte dague jusques à l'uys dudit Pageaut, aussi suppliant, en regniant Dieu qu'il les tueroit. Et ce voyant, ledit Gastineau print troys pierres et les gecta contre ledit Phelippon Chevalier, et après s'en ala en l'ostel dudit Pageaut et trouva icelui Pageaut qui avoit son espée ou poing, à la porte de sondit hostel, lequel dist audit Phelippon Chevalier qu'il se tirast arrière et que, s'il se tiroit plus avant, il le feroit marry et s'en trouveroit trompé. Et après lesdiz Picart et Rolant firent retraire ledit Phelippon Chevalier en sondit hostel ; et ce fait, icelui et sa femme prindrent leurdit valet qui estoit adonc devant ladicte porte dudit hostel fort malade, et le portèrent sur ung lit oudit hostel ; et le lendemain ala ung peu à l'esbat et parla à des gens qui là estoient ; et après ce qu'il fut retourné dudit esbat, il se mist au lit duquel oncques puis il ne bouga et ne parla, et ainsi vesquy environ troys sepmaines et jusques à la veille de Toussains derrenierement passée qu'il ala de vie à trespas. Et combien que ledit cas ne soit advenu par la faulte ne coulpe ne par la baterie desdiz supplians, mais par celle desdiz Rolant et Picart, Chevalier et sa femme, toutesvoyes, pour ce que lesdiz supplians estoient presens à ladicte baterie et à chacer ledit Phelippon Chevalier,qui les estoit alé assaillir et insulter, et lequel il est voix commune au pais estre homme baveur et noiseur, et pour occasion [p. 256] de sesdictes baves et noises a esté chacé du pays, toutesvoies lesdiz supplians, doubtans qu'on les voulsist appréhender, mettre en justice et rigoureusement proceder contre eulx et leurs biens, se nostre grace et misericorde ne leur estoit sur ce prealablement impartie, humblement requerans (sic) icelle. Pour ce, etc., ausdiz supplians avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons [en mandement au seneschal de Poictou5] et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de may l'an de grâce mil cccc.lx, et de nostre règne le xxxviiie.

Ainsi signé : E. Des Jardrins. — Visa. Contentor.


1 Le texte du registre porte par erreur Gastineau.
2 Le rôle joué par Philippon Chevalier dans les faits relatés ici montre déjà qu'il était plutôt querelleur par nature et ne craignait pas le pugilat. Nous le retrouvons un peu plus tard dans une autre circonstance où son caractère turbulent l'entraina à se mettre à la tête d'une rébellion contre l'autorité. Avant que Vouillé fût fortifié, les habitants étaient tenus de faire le guet et la garde au château de Montreuil-Bonnin. Le chapitre de Sainte-Radegonde ayant obtenu, par lettres patentes du 7 avril 1431, la permission royale de fortifier l'église et le bourg de Vouillé et de préposer un capitaine à la défense de cette place, Laurent Vernon, seigneur de Montreuil-Bonnin, consentit seulement à la fortification de l'église et sous la condition que les habitants du bourg continuerent à faire le guet à Montreuil (transaction entérinée au Parlement, le 6 décembre 1432). Néanmoins, quelques années après, les chanoines, s'appuyant sur l'autorisation de Charles VII, entourèrent la ville de murailles, de fossés et de portes avec pont-levis. De ce moment les habitants qui devaient faire la garde de la nouvelle place forte refusèrent de remplir ce devoir à Montreuil, malgré les poursuites et les contraintes du seigneur. Il s'en suivit un long procès devant le sénéchal de Poitou, puis au Parlement, La cour, par arrêt du 14 avril 1449, reconnut en principe l'exemption des habitants de Vouillé, mais déclara que provisoirement et dans les cas de péril imminent, ils devaient cependant se joindre aux autres sujets de Laurent Vernon, pour garder le château de Montreuil-Bonnin et y faire le guet. Ce provisoire durait encore en 1465. Laurent était mort depuis dix ans et son fils, Jacques Vernon, lui avait succédé. Pendant la Ligue du bien public, Louis XI avait écrit à celui-ci de tenir son château en état de défense. Alors il somma les habitants de Vouillé de venir faire leur devoir à Montreuil, tant pour le guet que pour les réparations du château. Ceuxci s'y étant refusé, le prévôt de Poitiers leur envoya un sergent pour les y contraindre ; ils continuèrent la résistance, s'assemblèrent, « garnis de voulges, arbalestres tendues, javelines et autres armes ». Le sénéchal de Poitou, saisi d'une plainte par Jacques Vernon, décréta de prise de corps les meneurs de la rébellion qui étaient Philippon Chevalier, Pierre Billaud et Pierre Chevreau, et en ajourna à comparaître devant lui une dizaine d'autres parmi les plus compromis. Ils se portèrent appelants au Parlement. Le 14 juin 1468 seulement, l'affaire fut plaidée. Chevalier, Billaud et Chevreau s'étaient rendus prisonniers à la Conciergerie du Palais et les autres comparurent en personne. A l'accusation portée contre eux, ils répondirent, pour leur défense, que la question de droit n'étant pas résolue, puisque le procès était toujours pendant, on ne devait pas les contraindre La cour, le 17 juin, élargit les trois prisonniers et les renvoya avec les autres devant le sénéchal de Poitou, pour être jugés surie cas d'excès et violences, mandant à celui-ci que, « s'il appert d'eminent peril », il contraigne ceux de Vouillé à faire le guet à Montreuil-Bonnin, en se conformant à l'arrêt du 14 avril 1449. (Arch. nat., X2a 35, aux dates des 14 et 17 juin 1468; X2a 36, fol. 116 v°; Arch. de la Vienne, G. 1376, 1378, 1438.)
3 Poteaux, pieux.
4 Adent, adens avait le sens de a la face contre terre, à plat ventre. (Godefroy, Dict. de l'anc. langue française.)
5 Mots suppléés ; il y a à cet endroit un blanc sur le registre.