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MCCCXLIII

Rémission accordée à Michel Ravary, qui avait fait usage d'une obligation fausse, dans un procès qu'il soutenait, devant le lieutenant du sénéchal de Poitou à Lusignan, contre Pierre Girault, de Poitiers.

  • B AN JJ. 189, n° 500, fol. 282
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Michel Ravary, povre homme de labour, chargé de femme et de cinq petiz enfans, contenant que jà pieçà il presta à ung appellé Bertrand Babineau la somme de lix. royaulx xv. solz tournois, et pour ce que de ladicte somme n'avoit acte1 ne obligacion dudit Babineau, se transporta en nostre ville de Poictiers èt se tira par devers ung jeune clerc nommé Regn[aut] auquel il soy conseilla et comme il se aideroit de ladicte [p. 279] somme et en pourroit estre payé dudit Babineau, attendu que d'icelle n'avoit lettre ne obligacion ; lequel Regn[aut] luy respondi qu'il ne s'esmayast2 point et que, s'il luy vouloit donner ung bon bonnet du pris d'un escu, qu'il lui feroit bien sa besoigne ; auquel Regn[aut] ledit suppliant qui estoit et est simple homme de labour et non cuidant mal faire, luy donna ung escu, et tantost après ledit Regn[aut] bailla audit suppliant unes lettres obligatoires de ladicte somme de cinquante neuf royaulx xv. solz tournois, signées des seings et signatures de feu Pierre Vaslin et Marquis Fouscher, prebstres et notaires, et seellées en forme autentique. Et après ce, ledit suppliant se tira par devers ung nommé Jehan Challes3 soy disant nostre sergent, qui, ainsi que l'en dit, estoit mal famé et renommé, duquel il acheta unes lettres de debitis du seneschal de Poictou ou dé son lieutenant. Depuis lesquelles choses ainsi faictes, ung nommé Pierre Girault4, demourant en nostredicte ville de Poictiers, pour avoir paiement de certaines sommes de deniers qu'il maintenoit luy estre deues par feu Jehan Ravary, père dudit [p. 280] suppliant, s'efforça faire faire execucion sur ses biens ; de laquelle execucion ledit feu Jehan Savary, ou reffuz de le recevoir à opposition, appella et sondit appel releva par devant nostre seneschal de Poictou ou son lieutenant à son siège de Lezignen, et pendant ledit appel est ledit Jehan Savary alé de vie à trespas, delaissé ledit suppliant son filz et heritier, qui comme tel a reprins ledit procès en l'estat qu'il estoit, et, icellui reprins, oudit procès tant a esté procedé entre lesdictes parties qu'elles ont esté appoinctées à escripre leurs faiz, causes et raisons par ung acte d'un chacun costé ; auquel appoinctement elles ont fourny et obey, et prins jour à produire leurs lettres, tiltres et tout ce que bon leur sembleroit. En faisant laquelle production, ledit suppliant, qui est simple homme de labour, non congnoissant les termes de plaidoyries, sans avoir conseil d'aucun advocat ou praticien, a mis et produit par devers la court de nostredit seneschal lesdictes lettres obligatoires dudit Bertran Babineau et debitis par luy achapté dudit Jehan Challes, à l'encontre dudit Pierre Girault, combien qu'ilz ne servissent de riens à la matière et ne portassent aucun prejudice audit Girault. Lequel, pour ce que a tort et mauvaise cause et pour cuider par vexacion icelle gaigner, icelles s'est efforcé d'arguer de faulx5, et pour mieux parvenir à son entente, s'est tiré par devers nostre dit seneschal et de luy, tant en son nom que ou nom de nostre procureur en ladicte seneschaucie, a obtenu certaines nos lettres, par vertu desquelles a fait mettre en nostre main tous les biens dudit suppliant, et avecques ce icelluy fait adjourner par devant nostre dit seneschal par deux ou trois assignacions et journées, ausquelles ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, ne s'est osé comparoir, par quoy est tumbé et coulé en deux ou trois deffaulx, s'est absenté du pays et n'y oseroit [p. 281] jamais retourner, converser ne demourer, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties ; en nous humblement requerant que, attendu que ladite somme de lix. royaulx xv. solz tournois luy est loyaument deue et est prest de prouver et monstrer icelle avoir esté prèstée royaument et de fait audit Babineau, et par icellui Babineau non avoir esté payée, par quoy n'y peut on noter dol ou fraude de son costé, qu'il est homme de labour, simple, rural, non lettre, ne savant lire ne escripre, et qui tousjours, selon son povre estat de labour et condicion, a tousjours bien et honnestement durant son temps vescu et conversé, sans estre actaint ne convaincu d'aucun villain cas ou blasme, portant en soy aucune note d'infamye, et mesmement d'aucun crime de faulx dont il est à present accusé, attendu aussi que par le fait d'autruy, comme simple et ignorant, a esté séduit et deceu, et que lesdictes lettres par lui produictes ne servent de riens à sa matière, nous luy vueillons sur ce impartir nostre grace et misericorde. Pour ce est il que nous, consideré ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant, en faveur de sesdiz femme et enfans, avons ou cas dessus dit quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à nostre seneschal de Poictou et à tous nos autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de mars l'an de grace mil iiiielx, et de nostre règne le xxxixe.

Ainsi signé : Par le conseil. Tribole. —Visa. Contentor. Valengelier.


1 Le registre porte « saite » au lieu d'acte.
2 S'émouvoir, s'inquiéter, s'effrayer. (Godefroy, Dict. de l'anc. langue franc., v° Esmaier.)
3 Ce sergent du roi « mal famé et renommé » pourrait bien être le même que Jean Charles, qualifié déjà a nostre sergent », qui avec sa femme et son beau-frère, Huguet Goyn, archer de l'ordonnance, demeurant à Pamproux, s'était rendu coupable du meurtre d'un homme d'armes nommé Jean de Poitou, et à la suite avait obtenu des lettres de rémission au mois de janvier 1449. (Voy. notre vol. précédent, p. 110-114.)
4 Pierre Girault, bourgeois de Poitiers, fils de feu Huguet Girault, étant sous la tutelle de Henri du Roussignol, le 14 novembre 1418, avait rendu au dauphin Charles, comte de Poitou, l'aveu de son hébergement des Forges en la paroisse de Saint-Georges-de-Baillargeaux, relevant de la tour Maubergeon, pour lequel il était tenu à hommagelige et au « devoir de ung homme de pié, armé de cotte gamboisée, de capeline, de cousteau et d'espée », pour servir le roi dans ses armées, entre la Loire et la Dordogne, pendant quarante jours et quarante nuits, toutes les fois que la commune de Poitiers était tenue elle-même de s'y rendre en armes. Son père avait fourni le même aveu à Jean duc de Berry, comte de Poitou, le 27 décembre 1408, et sa fille Guillemette, lui étant décédé, le rendit à son tour au roi Louis XI, le 9 avril 1463 n .s. (Arch. nat., R1* 2171,p. 77 ; P. 1145, fol.86 v° et 143 v°.)
5 On lit sur le registre « s'est efforcé d'avoir defaulx », ce qui est dénué de sens.