[p. 84]

MCCXCV

Rémission accordée à la veuve de Macé Secrestain, de Châtellerault, qui s'était rendue coupable d'un infanticide, trente ans auparavant.

  • B AN JJ. 188, n° 3, fol. 1 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umhle [p. 85] supplicacion des parens et amis charnelz de Jehanne, vefve de feu Macé Secrestain, à present detenue prisonnière ès prisons de Chastelleraud, contenant que, trente ans a passez, ledit feu Macé Secrestain, en son vivant, et ladicte Jehanne, sa femme, furent logiez ès foussez et douves du chastel de Puymillereou, assis ou viconté dudit Chastelleraud, où ilz s'estoient retraiz pour eslre à seureté des gens de guerre qui tenoient lors les champs1 et ilec demeurèrent l'espace d'un an et plus ; pendant lequel temps ledit feu Macé Secrestain, son mary, fut longtemps malade de fièvres quartes et tellement que, obstant sadicte maladie, il ne habita et ne congneut charnelement pendant icelle ladicte Jehanne, sa femme. Mais ce néanmoins, icelle Jehanne par mauvais conseil et ennortement à quoy elle fut induicte, eut ce pendant congnoissance charnelle d'autre homme que de son dit mary, tellement qu'elle en fut ensaincte, et d'ilec à cinq mois après ladicte concepcion ou environ, sondit mary gary habita charnelement à elle. Et pour ce qu'il la trouva lors plus grosse qu'il ne luy sembloit qu'elle avoit esté et estoit paravant, à ung certain jour après il luy deist qu'elle estoit enflée et elle luy respondi qu'elle avoit ung cuevrechier sur les rains pour doubte d'avoir froit ; et lors doubta que sondit mary eust aperceu et congneu qu'elle fust grosse d'enfant, pour ce que en l'eure et depuis, comme elle dit, il luy fist à ceste cause mauvaise chière, combien que il ne luy en dist oncques plus riens. Et huit jours ou environ au devant qu'elle fust à terme d'enfenter et qu'elle enfantast, sondit mary s'en ala dehors én ses affairès, où il demoura jusques au jour qu'elle erifanta une fille, environ l'eure de deux à [p. 86] trois heures après my jour en la presence d'une femme nommée la Bolande et d'une autre femme nommée Loyse Perrote, ses voisines et commères, lesquelles receurent ladicte fille et la baptisèrent en la paisle et l'ordonnèrent comme il appartient, et la misdrent au près de ladicte Jehanne, sa mère, laquelle estoit couchée en son lit. Et incontinent en l'eure arriva en la maison ledit mary de ladicte Jehanne, qui venoit de dehors de ses affaires; lequel icelle Jehanne, sa femme, entendi au parler, et aussi ladicte Bolande luy deist que sondit mary estoit venu ; et à ceste cause eut lors grant paour et fut moult effrayée pour le doubte qu'elle avoit que sondit mary congneust que ladicte fille n'estoit pas sienne et qu'il ne l'eust engendrée. Et à ceste cause doubta icelle Jehanne que sondit mary la voulsist faire mourir ou l'oultraigast en son corps; et pour y cuider obvier, elle estant couchée en son lit, temptée de l'ennemy, luy vint voulenté d'estaindre sadicte fille, afin que sondit mary cuidast que ladicte fille ne fust pas venue à terme, et elle estant en ceste mauvaise temptacion, de chaulde colle et chaleur toute esmeue, mist sa poictrine sur sadicte fille, et en ce faisant l'estaigny et la fist mourir ; et tantost après sondit mary arriva en ladicte chambre, à laquelle il demanda s'elle estoit ja acouchée, et lors ladicte Bolande luy respondi que oy elle estoit acouchée en celle heure d'une fille, et qu'il estoit neccessité d'avoir des compères pour luy donner baptesme, jasoit ce qu'elle eust esté baptisée en la paisle. A quoy ledit mary ne deist mot. Et après ce ladicte Bolande prist ladicte fille, laquelle elle trouva morte, dont elle s'effraya très fort, dont ladicte Jehanne ne dist aucune chose à ladicte Bolande touchant ledit cas. Et après ce, ladicte fille ainsi morte fut enterrée en terre saincte ledit jour, pour ce qu'elle avoit esté baptisée comme dit est. Et depuis ce, ladicte Jehanne eut très grant desplaisance, tristesse et douleur à son cœur d'avoir fait et commis ledit cas, et [p. 87] tellement que pour ceste cause elle ala oudit an à Poictiers au pardon qui estoit et est en l'eglise Monsieur Saint Hillaire le Grant de Poictiers, par chacun an, en chacune feste de sa translacion, et ilecques soy confessa dudit cas et autres ses pechiez à ung penitancier qui luy bailla penitance pour iceulx ; laquelle elle a faicte et parfaicte. Et tousjours depuis s'est bien gouvernée avec sondit mary, jusques il a seize ans ou environ qu'il ala de vie à trespassement. Depuis lequel temps elle s'est semblablement bien gouvernée, sans ce qu'elle ait fait, commis ne perpetré aucun villain cas, et jusques à ce que, puis six sepmaines en ça, par le moien de ce que on a eu souspeçon à rencontre d'elle qu'elle usoit de art de sorcerie, moiennant certaine quelle informacion faicte à la requeste du procureur dudit lieu de Chastelleraud sur les cas dessus diz, qu'elle a esté prise par les sergens et officiers dudit lieu de Chastelleraud, et mise ès prisons dudit lieu, ès quelles elle a esté et encores est detenue prisonnière, à grant povreté et misère. Et ilec a esté interroguée et questionnée, et sans geheyne, peine ou torment, a confessé, en la presence du juge dudit lieu de Chastelleraud, voluntairement qu'elle avoit commis ledit cas en ladicte fille, par la manière dessus dicte. Mais au regard du cas de sortilège dont elle avoit esté acusée, elle n'en a en riens esté trouvée chargée, ne jamais n'en usa ne aucune en sceut oncques, ains en est pure et innocente. Mais ce nonobstant, lesdiz supplians doubtent que, à l'occasion dudit cas ainsi fait et commis par icelle Jehanne en ladicte fille, que on vueille proceder à l'encontre d'elle par rigueur de justice, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, comme ilz dient, humblement requerant que, attendu que ladicte Jehanne commist ledit cas par la temptacion de l'ennemy et pour le doubte et fureur de sondit feu mary qui l'avoit menacée, et advint ledit cas soubdenement et de ehaulde colle, et pour cuider monstrer à sondit mary que ladicte fille n'estoit venue à [p. 88] terme, afin qu'elle demourast tousjours en l'amour de sondit mary, et que tousjours elle s'est depuis bien et honnestement gouvernée, sans jamais avoir esté actainte d'aucun cas de crisme, blasme ou reprouche, et le long temps qu'il a que ledit cas advint, comme de trente ans et plus, et aussi que ele present elle est aagée de lx. ans et plus, et que des autres cas à elle imposez, et pour lesquelz elle a esté emprisonnée, elle est innocente et non coulpable en aucune manière, il nous plaise sur ce luy impartir iceulx grace et misericorde. Pourquoy nous, etc. à ladicte Jehanne avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois de novembre l'an de grace mil cccc. cinquante huit, et de nostre règne le xxxviie.

Ainsi signé : Par leroy, ala relacion des gens du Grant conseil. Cauvigneau2 — Visa. Contentor. Puigiraut.


1 A l'époque sans doute où le connétable de Richemont disgracié fit une démonstration armée, de concert avec ses alliés les comtés de Clermont, de Pardiac et d'Armagnac, et tenta inutilement de pénétrer dans Châtellerault qui refusa de lui ouvrir ses portes, vers la Toussaint de l'année 1427. (Voir Introduction de notre huitième volume, t. XXIX des Archives historiques, p. IV.)    
2 Sic. ll faut corriger Gauvigneau, nom que l'on a rencontré déjà précédemment au bas de plusieurs lettres de la chancellerie royale. Il s'agit de Macé Gauvigneau, clerc, notaire et secrétaire du roi, qui fut, avec Jean Yver, licencié ès lois, enquêteur ordinaire au pays et comté de Poitou, ordonné commissaire; en 1460, sur fait des francs-fiefs et nouveaux acquêts en Poitou. (D'Hozier, Armorial général, in-fol., t. II, p. 459.)