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MCCLXXI

Rémission donnée en faveur de Jean de Châteaupers, licencié en loi de l'Université de Poitiers, coupable du meurtre d'un clerc tonsuré, valet de son oncle, Guillaume de Châteaupers, écuyer, qui l'avait démenti par deux fois.

  • B AN JJ. 187, n° 207, fol. 110
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de maistre Jehan [p. 6] de Chasteaupers1, licencié en loix et bachelier en decret, aagé de vingt et six ans ou environ, contenant que ledit suppliant depuis son jeune aage s'est bien, notablement et honnorablement gouverné ès universitez de Paris et de Poictiers, où ses parens et amis l'avoient mis et tenu à l'escolle, pour aprendre et avoir degré de science, et telement a ledit suppliant estudié èsdictes universitez, et mesmement en l'université de Poictiers, que il a esté licencié en loix, ce que il a esté par le congié de tout le collège des docteurs de la dicte université, commis et ordonnez à ce. Et depuis que ledit suppliant a esté licencié, pour son bon gouvernement,il a esté esleu par meure deliberacion recteur de la dicte université, et durant sa rectorie a esté bachelier en decret, et depuis ce s'est departy de la dicte université de Poictiers, pour aler veoir ses amis, et mesmement en l'ostel de Guillaume de Chasteaupers, escuier, son oncle. Ou quel hostel par l'espace d'un an et demi et plus il s'est gouverné bien et honnestement, jusques à ce que ou moys de octobre derrenier passé, ung des varletz de la maison dudit de Chasteaupers, son oncle, nommé Jehan Dardes, clerc tonsuré, aagé de vingt six à vingt huit ans ou environ, du diocèse de Laon, et ledit suppliant eurent parolles ensemble, pour ce que ledit Dardes dit audit suppliant qu'il estoit le plus fort à servir du monde, à l'occasion de ce que ledit suppliant lui avoit dit qu'il ne mettoit pas bien à point des pommes qu'il estuyoit, et vouloit qu'elles fussent mises ailleurs ; [p. 7] car la tante dudit suppliant l'avoit envoié pour les faire estuyer. Et après ce que ledit suppliant lui eut dit qu'il mist bien à point lesdictes pommes, ledit Dardes lui dist qu'il n'en feroit riens pour lui, et qu'il s'en alast au dyable, et le dist par deux ou par trois foiz. Et adoncques ledit suppliant lui dist qu'il estoit devenu trop orgueilleux, et que, quant ledit suppliant l'envoia à son dit oncle pour estre son clerc, qu'il n'estoit que ung paillart pouilleux ; lequel clerc lui dist lors qu'il n'en estoit riens et qu'il avoit menti par la gorge, et lesdictes parolles reitera par deux fois, et qu'il ne l'oseroit dire devant son dit oncle. Et lors ledit suppliant, fort esmeu et desplaisant des oultrages que lui disoit ledit Dardes et sans cause raisonnable, s'approucha dudit Dardes, lequel lui dist que s'il s'en approuchoit, qu'il le frapperoit, et leva la main pour le cuider frapper. Et lors ledit suppliant trouva ung baston de boys assez large, duquel à la chaulde il frappa ledit Dardes sur le coul, et incontinent ledit Dardes descendi du grenier, où fut fait ledit coup, et s'en ala en sa chambre, et gecta beaucoup sang par la bouche et par le nez, sans ce qu'il en gectast point par le lieu où il fut frappé, et telement perdy son sang que, par faulte de gouvernement ou autrement il est alé de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice s'est absenté du pays, ou quel il n'oseroit jamais retourner ne repairer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, comme il dit, humblement requerant que, attendu ce que dit est et que ledit Dardes, qui estoit simple serviteur, respondoit si rudement audit suppliant en le injuriant et oultrageant, que par avant ilz n'avoient hayne ne malvueillance l'un contre l'autre, mais s'entr'amoient fort, et en est ledit suppliant moult courroucié et desplaisant, et que en tous autres cas il a esté et est homme de bonne vie, fame, renommée et honneste conversacion, sans oncques mais [p. 8] avoir esté actaint ne convaincu d'aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise sur ce lui impartir nosdictes grace et misericorde. Pour ce est il que nous, ce que dit est consideré et mesmement que ledit cas est advenu par chaude colle, voulans en ceste partie misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit maistre Jehan de Chasteaupers, suppliant, avons ou cas dessus dit quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou et de Xanctonge au gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Vienne, ou moys de novembre l'an de grace mil quatre cens cinquante six, et de nostre règne le xxxve.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. de Reilhac2. —Visa.

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1 Il appartenait à une famille du Bas-Poitou sur laquelle on ne possède que fort peu de renseignements. La nouvelle édition du Dictionnaire des familles du Poitou en mentionne cinq membres des XVe et XVIe siècles, dont le premier portant le même prénom que celui dont il est question ici. Il s'agit de Jean de Châteaupers, écuyer, sr de Massigné, qui épousa, le 27 juin 1469, Marguerite Goulart, fille de Jacques, écuyer, sr de la Ferté, et de Jeanne de Montalembert, dont il eut Jeanne, mariée à Louis L'Hermite, écuyer, sr de Moudion. (Tome II, p. 310.) On ne connaît pas la filiation du recteur de l'Université de Poitiers, dont nous n'avons pas trouvé mention ailleurs, non plus que de Guillaume de Châteaupers, écuyer, son oncle, nommé quelques lignes plus bas.

2 La famille de Reilhac, originaire du Limousin, entre Saint-Junien et Confolens, où était situé son principal fief, Brigueuil, mouvant de la tour de Maubergeon, avait une branche fixée à Poitiers dans la première moitié du XVe siècle. Pierre de Reilhac était conseiller au Parlement, dans les dernières années du XIVe, et son frère Clément, mort vers 1400, avocat du roi en la même cour. La veuve de ce dernier, Pernelle de Magnac, et leurs enfants étaient en procès avec Simon de Cramaud au sujet de la terre de Brigueuil, le 11 mai 1401. (Arch. nat., X1a 48, fol. 61 v°.) L'un de ses fils, nommé aussi Clément, fut commis à la garde de la conciergerie du Palais à Poitiers dès le 9 avril 1431 (X2a 21, fol. 159 V; X2a 9194, fol. 47 v°), et comme tel fut compromis dans l'affaire de l'évasion de Jacques de Pons (à la fin du mois de février 1445), qu'on l'accusait d'avoir favorisée. Sa confession devant le Parlement, datée du 9 mars 1445, est conservée à la Bibl. nat., ms. fr. 20494, fol. 87. Mais le plus célèbre de la famille est Jean de Reilhac, nommé ici, fils de Guillaume de Reilhac, maître de la Chambre aux deniers de Louis Ier de Bourbon, comte de Montpensier.

Il était secrétaire du dauphin Louis dès l'année 1454, puis notaire et secrétaire du roi dans les dernières années de Charles VII. Conservé dans ses fonctions par Louis XI, auquel il avait sans doute rendu certains services secrets, durant qu'il était investi de la confiance de Charles VII, il fut, aussitôt l'avènement du nouveau roi, chargé de délicates missions diplomatiques. Par lettre du 13 octobre 1461, ce prince l'accrédita, avec Aymar de Poysieu, dit Capdorat, en qualité d'ambassadeur auprès du Principat de Catalogue, à Barcelone. (J. Vaësen, Lettres missives de Louis XI, t. II, p. 17; Calmette, La question du Roussillon, Annales du Midi, n° de janvier 1896, p. 17.) Jean de Reilhac ne tarda pas à devenir un des personnages importants de la cour de Louis XI, qui le créa maître des comptes, puis général des finances. Son crédit était grand et le capricieux monarque semble avoir eu pour lui une condescendance toute spéciale, pendant les premières années de son règne. La liberté de langage de Reilhac lui attira-t-elle la défaveur de son maître? Toujours est-il qu'il tomba en disgrâce; il ne reprit ses fonctions qu'à l'avènement de Charles VIII; il devait les exercer encore pendant vingt-deux ans, jusqu'à sa mort survenue en 1505. Cf. Jean de Reilhac, secrétaire, maître des comptes, général des finances et ambassadeur des rois Charles VII Louis XI et Charles VIII (Documents pour servir à l'hist. de ces règnes, de 1455 à 1499. Paris, Champion, 3 vol. in-4°, 1886-1889 ; tirés à 100 exemplaires). Dans cette publication, M. le comte A. de Reilhac élucide à la fois la biographie de son ancêtre et l'histoire des événements auxquels il fut mêlé.