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MCCCXXV

Rémission accordée à François Queret, natif de Mauléon, archer des ordonnances, qui dans une rixe avait frappé mortellement Jean Guilloteau, franc-archer, à Thors.

  • B AN JJ. 188, n° 206, fol. 103 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de François Queret, povre jeune homme de l'aage de xxv. ans ou environ, archier estant à noz gaiges et souldes soubz la charge de nostre amé et feal conseillier et chambellan, le conte de Dampmartin1 contenant que, dix ans a ou environ, ledit suppliant se parly du lieu de Mauléon en Poictou, dont il est natif, et s'en ala demourer avec ung nommé Jehan Velart, homme d'armes de nostre retenue soubz la charge de nostre cher et feal cousin le sire de Loheac2 mareschal de France, avecques lequel il a esté et demouré par aucun temps, sans avoir fait ou commis aucune chose digne de reprehencion ; lequel François, suppliant, qui puis cinq ou six ans ença a esté mis en nostre ordonnance, en estat d'archier, soubz la lance de Pierre Pommier3, homme [p. 203] d'armes soubz la charge de nostredit conseillier le conte de Dampmartin, s'est par aucun temps ença tenu au lieu de Thors en Xainctonge où ledit Pommier a son hostel et domicille, et lui estant audit lieu, est advenu que, le jour et feste de saincte Marguerite qui fut le vintiesme jour du moys de juillet derrenier passé, auquel jour se tenoit illec la foire, survint, environ l'eure de vespres, ung nommé Jehan Guilloteau, franc archier devant l'ostel d'ung nommé Jehan Legrant, assis près du lieu où se tenoit ladicte foire ; auquel Guilloteau ledit suppliant demanda s'il vouloit changer sa dague à la sienne. Lequel Guilloteau malicieusement et fierement lui respondi que non et que nous la lui avions donnée, et ledit suppliant lui dist que nous ne savions qui il estoit ; et lors ledit Guilloteau lui dist que si mieulx que lui, et ce dit, icelui suppliant en soy riant dist audit Guilloteau telles paroles ou semblables : « Quant le roy nous auroit perduz, il perdroit son royaume ». Lequel Guilloteau, desplaisant de ce et de mauvais couraige, se tray deux ou troys pas en arrière et tira sa dague, et dist audit suppliant : « Quiconques aura ma dague, il l'aura par le bon bout ». Et lors ledit suppliant lui demanda pourquoy il tiroit sa dague et s'aproucha de lui et la lui osta, et ce fait lui en bailla sur l'espaule troys ou quatre coups de plat et, après ce, mist la dague en une braye et la fist ployer et la redreça, et ce fait la gecta à terre, en disant audit Guilloteau : « Pren ta dague ; je ne te daigneroie batre de ton baston » ; lequel la print et mist en sa gaynne, et dist audit suppliant qu'il avoit fait que fol, et incontinent ledit Guilloteau se mist ou grant chemin qui estoit ilec près, et derechief tira sa dague en demandant audit suppliant s'il vouloit riens dire. Lequel suppliant, qui n'avoit pas une pouvre dague à sa sainture, print une besche et s'aproucha dudit Guilloteau, en lui disant : « Se je t'ay rendu ta dague, ne te en tiens point plus fier, et t'en va, car se ne feust pour [p. 204] l'onneur de la foire et du seigneur dudit lieu de Thors4 je t'en envoyeroie bien tost, et ne me menace point, si tu fais que saige ». Lequel Guilloteau n'en voult riens faire, ainçoys s'efforça frapper de sadicte dague deux ou troys fois ledit suppliant ; et ce voyant, ledit suppliant, qui n'avoit point vouloir de lui mal faire, se retray en l'ostel dudit Jehan Legrant, ouquel il trouva et print une broche ou haste de boys, et meu et eschauffé des oultraiges que s'estoit efforcé lui faire ledit Guilloteau, sortit et yssit hors dudit hostel et trouva ledit Guilloteau, auquel il frappa et bailla ung cop dudit haste par la poictrine, dont il ala tantost après, par faulte de gouvernement ou autrement, de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs ou mis en franchise, ouquel il n'oseroit jamais reperer, converser ne demourer, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, ainsi qu'il nous a fait dire et remonstrer, en nous humblement requerant que, attendu ce que dit est, que ledit feu Guilloteau fut agresseur et non pas ledit suppliant, aussi que ledit cas est advenu de chaulde cole et que ledit suppliant a esté et est de bonne vie et renommée, et ne fut jamais actaint ne convaincu d'aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, qu'il est jeunes homs et nous a bien et loyaument servy ou fait de noz guerres, il nous plaise sur ce lui impartir nosdictes grace et misericorde. Pour quoy nous, les choses dessusdictes considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit François Queret, suppliant, oudit cas [p. 205] avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à nostre seneschal de Xaintonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou moys de novembre l'an de grace mil cccc. cinquante et neuf, et de nostre règne le xxxviiime.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. L. Daniel. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, né en 1411, mort à Paris, le 25 décembre 1488, grand panetier de France depuis l'an 1447. (Cf. notre vol. précédent, p. 334, note.)
2 André de Laval, seigneur de Lohéac, maréchal de France, né en 1411, mort en janvier 1486, était aussi seigneur de Pouzauges et de Tiffauges par son mariage avec Marie de Laval, fille du fameux Gilles de Rais et de Catherine de Thouars, dame desdites terres et seigneuries. (Cf. notre vol. précédent, p. 398, note.) A la date des faits rappélés ici (1449), il commandait sur la frontière du Maine et de la Normandie.
3 A propos de ce personnage et sans prétendre qu'il y ait lieu à identification, nous citerons le document suivant : Quittance donnée par Christin Pommier et Jeanne Légier, sa femme, assistés de Jacques de Poignes, écuyer, sr de la Chapelle, et de Marie du Retail, sa femme, veuve de feu Pierre Pommier et mère dudit Christin, à Marie de la Brosse, veuve de Jean Légier, écuyer, seigneur de la Sauvagère, et à Jean et Jacques Légier, mère et frères de ladite Jeanne, d'une somme de 100 livres sur celle de 250 livres qu'ils lui avaient donnée en dot. 8 mai 1498. (A. Richard, Archives du château de la Barre, t. Ier, p. 140.)
4 Thors était l'une des nombreuses terres et seigneuries dont Nicole de Blois, dite de Bretagne, avait hérité de sa mère, Isabelle de Vivonne, et qu'elle apporta à son mari avec le comté de Penthièvre et autres biens de son père. Le seigneur de Thors était alors par conséquent Jean n de Brosse, seigneur de Sainte-Sévère et de Boussac, comte de Penthièvre, etc., qui avait épousé Nicole, par contrat du 18 juin 1437. (Cf. ci-dessus, p. 38, note.)