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MCCCXC

Rémission octroyée à Guyon de Vaucelles, écuyer, meurtrier de frère Vincent Fèvre, prieur de Soudun. Ils s'étaient pris de querelle au sujet d'une femme mariée dont ils partageaient les faveurs.

  • B AN JJ. 199, 11° 69, fol. 43
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et advenir, nous avoir receu l'umble [p. 440] supplicacion de Guyon de Vaucelles1 escuier, aagié de xxiii. ans ou environ, contenant que, le samedi troisiesme jour de ce present moys de decembre, ledit suppliant et frère Vincent Fèvre, prieur de la chappelle de Soudain en la parroisse de Saint Pierre de Savigné soubz Faye la Vyneuse, diacre de l'ordre de Saint Benoist, eurent noize, debat et discencion ensemble, pour occasion de Polite, femme espouze d'un nommé Jehan Brochart, avec laquelle femme ledit suppliant trouva ledit prieur, le samedi troisiesme jour dudit moys, en une roche ou cave estant au bout des vignes d'icelluy Brochart, laquelle femme ledit suppliant frappa et luy dist qu'elle s'en alast. Et ce voyant, ledit prieur dist audit suppliant qu'il estoit villain de ravoir espié et guecté et qu'il n'avoit pas fait comme gentilhomme ; et ouquel lieu ilz eurent plusieurs parolles injurieuses et noizeuses. Et ce nonobstant, se departirent sans faire autres griefz. Et le landemain quatriesme jour dudit moys, environ dix heures, ledit prieur et ung nommé Jehan Belin, prebstre2 serviteur de ladicte chappelle et prieuré, alèrent en l'ostel dudit Brochart, et illec trouvèrent icelui suppliant au dedans de ladicte maison, en [p. 441] laquelle ledit chappelain entra le premier, et après luy ledit prieur. Et quant ilz furent entrez, ilz trouvèrent ledit suppliant qui tenoit en sa main ung grant couteau tout nu, lequel incontinant, sans riens demander audit chappelain, prinst ledit prieur au collet de sa robe et en le lenant il jura qu'il l'occiroit. Et lors ledit prieur se recula hors ladicte maison et dist audit suppliant qu'il le laissast et qu'il ne luy demandoit riens. Et illec eurent plusieurs parolles injurieuses, et après entra ledit prieur de rechief au dedans de la maison dudit Brochart, et ledit suppliant entra après luy, tenant sondit couteau en sa main tout nu, en disant qu'il occiroit ledit prieur. Et adonc iceluy prieur tira ung grant couteau qu'il avoit soubz sa robe et print une petite celle de boys en sa main et dist qu'il se deffendroit. Et pour celle heure, par le moyen dudit chappelain, se departirent sans frapper. Et au departir de la dicte maison dudit Brochart, iceluy prieur et ledit chappelain, se mirent au chemin, par lequel l'en va de ladicte maison à Avrigné, et comme ilz eurent cheminé l'espace de deux getz de pierre ou environ, ledit suppliant chemina et ala après eulx, et eurent lesdiz suppliant et prieur de rechief plusieurs parolles et moult injurieuses ensemble, et de rechief ledit chappelain les departy sans autres griefz. Et lors ledit suppliant et chappelain allèrent à l'ostel de la Sixtière, appartenant au père dudit suppliant, et illec dignèrent ; et ledit prieur s'en retourna et ala où bon luy sembla. Et incontinant après digner, icelui suppliant et ung jeune homme aagié de xxv. ans ou environ, natif du païs de Normandie, lequel icelui suppliant advouoit son parent, se departirent dudit hostel de la Sixtière, disant qu'ilz aloient à l'esbat aux lièvres. Et s'en ala ledit chappelain tantost après eulx et les trouva ou chemin ; et se mist ledit chappelain ou chemin le premier devant eulx. Et allèrent ledit suppliant et sondit parent après ledit chappellain, et avec eulx alla ung jeune enfant, aagié de [p. 442] xv. à xvi. ans ou environ, nommé Simonnet de Vaucelles3, frère dudit suppliant, disant qu'il alloist après eulx à la chasse, et allèrent jusques devant la porte dudit prieuré, touchant au chemin. Et illec ledit chappellain trouva ung petit enfant, son neveu, auquel il demanda les clefz dudit prieuré, et ledit enfant lui dist que ledit prieur les avoit et qu'il estoit chieux ung nommé Regnaut Alain ; lequel suppliant et son dit parent, oyans les parolles dudit enfant, incontinant allèrent chex ledit Regnaut Alain, et ledit Simonnet après eulx, et aussi ledit chappelain, où ilz trouvèrent ledit prieur. Et lesdiz prieur et chappellain tantost se departirent de l'ostel dudit Alain, pour aller oudit prieuré, et lesdiz suppliant et son parent allèrent après eulx jusques à la porte dudit prieuré de dehors, ledit Simonnet allant après eulx. Et ledit prieur s'appuya contre ladicte porte et n'y fut guères, car ledit chappellain le mena jusques soubz le portal de l'entrée de la chappelle dudit prieuré, et ledit suppliant et sondit parent poursuirent ledit prieur, ledit Simonnet estant hors ladicte porte ou chemin, jouant avec ledit petit enfant, neveu dudit chappellain. Et audit lieu, près ledit portal, eurent de rechief lesdiz suppliant et prieur plusieurs parolles rigoreuses et injurieuses ; auquel lieu ledit suppliant dist audit prieur telz mots en substance : « Tu m'as injurié et appellé vilain. Veulz tu maintenir les parolles que tu as dictes de moy ? » Et ledit prieur lui dist qu'il n'avoit riens dit qui ne fust bien dit, et en disant lesdictes parolles, icelui suppliant tira sondit couteau et ledit prieur tira semblablement le sien. Et en ce faisant, le parent dudit suppliant s'approcha d'eulx, tenant une gaulle blanche en sa main, convenable à chasser auxlièvres, pour aider audit suppliant, et frappa [p. 443] ledit prieur de ladicte gaule. Et lors s'en sailli ledit prieur hors ladicte porte, tenant en sa main sondit couteau, lequel prieur lesdiz suppliant et son parent poursuirent. Et voyant icelui prieur qu'ilz le poursuioient, il print une pierre et la gecta contre eulx, et ilz en gectèrent semblablement une aultre ou deux. Et adonc ledit prieur fouyt, cuydant entrer en la roche et clemourance d'un nommé Gillet Alain, mais en fuyant il cheut envers, tenant sondit couteau en sa main. Et tantost ledit suppliant et sondit parent se gectèrent dessus ledit prieur ; et aussi ledit Simonnet courut comme son frère et son parent, sans ce qu'il eust baton ne glaive ; et à icelui prieur ainssi cheu disoient les dessusdiz : « Moygne, baille le cousteau », et illec se debatirent et s'efforcèrent d'avoir le cousteau dudit prieur. Et en ce faisant, ledit suppliant tenoit tousjours son cousteau en sa main, et pareillement ledit prieur tenoit le sien, et illec en ce conflit, ledit prieur eut ung cop mortel en la cuysse senestre, trois dois au dessus du genoil, par le dedans tout au travers de ladicte cuisse. Et ledit Simonnet dist à ceulx qui alloient audit debat qu'ilz les laissassent faire et qu'ilz n'en approchassent point, pour doubte qu'ilz ne voulsissent nuyre à sondit frère. Duquel cop ainsi baillé audit prieur, aucuns jours après il est allé de vie à trespas. A l'occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs et n'y oseroit jamais converser ne repperer, se nostre grace et misericorde ne luy estoit sur ce impartie. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice,audit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc. Sy donnons en mandement, par cesd ictes presentes, aux seneschal de Poictou et bailli de Touraine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Abbeville, ou mois de decembre l'an de grace mil iiiie lxiii, et de nostre règne le troisiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la rellacion du conseil. De Villechartre. — Visa. Contentor. J. Duban.

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1 Parmi les membres de la famille de Vaucelles vivants au XVe siècle, on n'en trouve point qui ait porté le prénom de Guy ou Guyon, dans la généalogie publiée par M. Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou. 1re édit., t. II. p. 777-779. D'Hozier donne aussi la filiation de deux familles du même nom, dont l'une fixée dans le Loudunais, mais il ne la fait commencer qu'au XVIe siècle. (Armorial général., in-fol., reg. 1er et Ve.) On voit plus bas que le père de Guyon était possesseur de l'hôtel de « la Sixtière », la Citière, fief mouvant du marquisat de Clairvaux. L'abbé Lalanne a imprimé une liste des seigneurs de cet hôtel, qui de 1309 à 1537 ne cessa d'appartenir aux Vaucelles, suivant laquelle Guyon ne pouvait être qu'un puîné de Simonde Vaucelles, auquel Jean d'Harcourt, vicomte de Châtellerault, permit en 1438 de fortifier la Citière, et qui avait épousé Jeanne de La Tousche, fille de Nicolas-Joseph, seigneur de la Tousche-d'Avrigny, la Varenne, etc., et de Louise de Mauroy. (Hist. de Châtelleraud et du Châtelleraudais, in-8°, 1859, t. I, p. 384.)
2 Est-ce ce Jean Belin qui devint chanoine de Saint-Jean de Ménigoute et qui est nommé dans un acte d'échange conclu, le 28 août 1467, entre le chapitre et Jean Tudert, président au Parlement de Bordeaux? (A. Richard, Invent. des arch. du château de La Barre, t. II, p. 418.)
3 Le jeune Simonnet de Vaucelles obtint aussi, à la même date, des lettres de rémission. (JJ. 199, n° 68, fol. 42.) Les faits y sont exposés exactement dans les mêmes termes qu'ici, de sorte qu'il suffit de publier l'un de ces deux textes.