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MCCCXLV

Rémission octroyée, à l'occasion du Vendredi saint, à Catherine Dangoisse, femme de Thomas Floriau, laboureur, demeurant à Fressineau, détenue dans les prisons de Châtellerault pour le meurtre de Jeanne Chiquard, qui avait débauché son mari.

  • B AN JJ. 192, n° 10, fol. 5 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Katherine Dangoisse, femme de Thomas Floriau, laboureur, demourrant en la parroisse de Fressineau ou viconté de Chastelleraud, contenant que ladicte suppliant, qui par cy devant a esté bien famée et renommée ou païs et s'est bien entretenue et honnestement gouverriée avec lëdit Thomas, son mary, sans avoir fait cas digne de reprehencion, pour ce qu'elle sceut, puis demy an ença, que son dit mary conversoit, hentoit et frequentoit avecques feue Jehanne Chiquarde, vulgaument appellée la Berthonne, femme de Jehan Morin, maçon, demourant en ladicte parroisse de Fressineau, [qui] estoit renommée en ladicte parroisse et illec environ d'estre ribaude et adultaire et de soy gouverner mal de son corps en son mariaige, et que icellui son mary venoit souventes fois de nuyt d'une maison estant en ladicte parroisse où ladicte feue aloit, se tenoit et frequentoit souvant, comme est tout notoire en ladicte parroisse et illec environ, ladicte suppliant se doubta que ledit Floriau, sondit mary, maintenist ladicte deffuncte. Pour quoy elle dist et remonstra à sondit mary par pluseurs foiz qu'il faisoit mal de ainsi hanter, converser et fréquenter avecques ladicte deffuncte et de y estre ainsi de nuyt avecques elle, qui estoit mal blasmée et renommée d'estre ribaude, et qu'elle creoit qu'il la maintenoit, et que, s'il y aloit plus, elle en seroit courroucée et dolente. Lequel [p. 286] Floriau dist à icelle suppliant par pluseurs foiz qu'il ne laisseroit pas pour elle à aller là où bon lui sembleroit et, si elle lui en disoit plus rien, qu'il la batroit. Et à cause de ce, entre ledit Floriau et ladicte suppliant, sa femme, se sont, depuis ledit temps de demy an ença, meues plusieurs noises et debatz, et mesmement le premier mercredi du mois de mars dernier passé, pour ce que, après que ladicte suppliant fut retournée de laver sa buye, lui fut dit par une petite et jeune fille d'elle et dudit Floriau, nommée Perrine, que ladicte feue Jehanne Chiquarde estoit venue en leur maison et que ledit Floriau, son père, lui avoit baillé de l'argent et l'avoit baisée, se meut au soir grant noise et debat entre eulx, tellement que à cause de ce ledit Floriau batit d'un baston ladicte suppliant, sa femme, et lui en donna pluseurs coups. Pour lesquelles causes ladicte suppliant fut très doulente et courroussée et consceut dès lors haine contre ladicte deffuncte, tellement qu'elle delibera de lui faire desplaisir du corps. Et huit jours après, qui fut le second mercredi dudit mois de mars, ladicte suppliant ala guecter et veoir aux champs si elle trouveroit ledit Floriau et ladicte feue ensemble ; et en y allant, elle trouva, à une fontaine estant en ladicte parroisse, une nommée Matheline, femme de Pierre Justaut, qui y estoit allée querir de l'eau ; à laquelle Matheline icelle suppliant demanda si elle avoit veu ledit Floriau son mary. Laquelle Matheline lui respondit que non et demanda à ladicte suppliant pourquoy elle le demandoit. Et icelle suppliant lui dist qu'elle ne l'accusast point et qu'elle estoit allée veoir si elle trouveroit sondit mary avecques ladicte deffuncte, et que, s'elle vouloit, qu'elles feroient mauvaisement les besongnes d'icelle deffuncte et la batroient tant qu'elle en mourroit. Et pour ce faire, icelle suppliant promist bailler et donner à ladicte Matheline deux blans de dix deniers. Laquelle Matheline dist et respondit qu'elle en ecstoit contente et d'accord. Et entreprindrent entre elles [p. 287] que l'endemain au matin, à l'eure que l'en meyne les bestes aux champs, elles se rendroient et assembleroient en une çourance d'eaues estant en ladicte parroisse, où ladicte deffuncte avoit acoustumé de passer pour aller et venir en ladicte maison où elle frequentoit et alloit souvant, et que ilecques elles la bastroient. Auquel jour de lendemain au matin, ladicte suppliant se rendit la première et après elle ladicte Matheline, lesquelles attendirent longtemps illec pour veoir si ladicte feue y viendroit, et pour ce qu'elle n'y vint point, ladicte Matheline ala veoir en icelle maison où ladicte deffuncte frequentoit ; laquelle elle n'y trouva, ainsi qu'elle rapporta à ladicte suppliant. Et après ce, entreprindrent entre elles que ladicte suppliant yroit en la maison où ladicte deffuncte demouroit, pour savoir si elle y estoit, et ladicte Matheline yroit en sa maison veoir de sa fille, qu'elle y avoit laissée, et que, si ladicte suppliant trouvoit ladicte feue, qu'elle yroit querir ladicte Matheline en sadicte maison, pour aller acomplir leur entreprinse. Laquelle suppliant, en fillant sa quenoille, y alla et trouva icelle deffuncte en une court devant sadicte maison, où elle cousoit en linge ; à laquelle elle demanda si elle lui bailleroit du chenevoie qu'elle lui avoit autres foiz promis de bailler. Laquelle feue lui respondit que les souriz l'avoient tout mangé, et illecques se demoura par aucun temps en fillant sadicte quenoille, et puis s'en ala devers ladicte Matheline , et lui dist qu'elle avoit trouvé icelle deffuncte devant sa maison, où elle cousoit et estoit assise en ung coing de sa court près d'un mur ; et après lui bailla lesdiz deux blans qu'elle lui avoit promis et lui dist qu'il failloit qu'elle alast la première auprès de ladicte deffuncte et qu'elle ne se doubteroit pas tant d'elle comme de ladicte suppliant qui y avoit esté, et que ladicte suppliant yroit par derrière et par dessus le mur, encontre lequel ladicte feue estoit assise, et sortiroit sur elle et la prendroit à la gorge, et ladicte Matheline lui aideroit et la prandroit au [p. 288] visaige, et lui abastroient son chapperon et ses cheveux devant le visaige et la bouche, affin que on ne l'oyst crier, et illecques l'estrangleroient. Et incontinant s'en deppartirent et, ainsi le firent et acomplirent leur mauvaise voulenté et entreprinse, et estranglèrent ladicte feue par la manière dessus dicte, environ l'eure de vespres. A l'occasion duquel cas ladicte suppliant a esté prinse par les officiers de la justice dudit lieu de Chastelleraud et mise ès prisons dudit lieu, où elle est detenue. Et doubte ladicte suppliant que on vueille contre elle rigoureusement proceder et tendre à pugnicion corporelle, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties ; requerant humblement que, attendu qu'elle a esté tousjours et jusques audit cas bien famée et renommée, et s'est de son corps bien et honnestement gouvernée envers sondit mary, duquel elle a pluseurs beaulx enffans, par quoy il n'avoit cause de maintenir autre que elle et que, par desplaisance et courroux qu'elle a eu des menasses et noises de sondit mary et de ce que icelle deffuncte, qui estoit blasmée de son corps, estoit venue en son hostel, elle a consceu ladicte hayne et icelle sans intervalle de temps a mise à execucion, aussi qu'elle se sent ensainte, que jamais elle ne fut actainte ne convaincue d'aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise, en l'onneur de la Passion Nostre Seigneur, lui impartir nosdictes grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, en l'onneur et reverence de nostre Createur et Redempteur Jhesu Crist, qui souffrit mort et passion à tel jour qu'il est aujourduy, à icelle suppliant avons oudit cas quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poitou et à tous noz justiciers, etc. Donné à Mehun sur Yèvre, ou mois d'avril l'an de grace mil iiiie soixante avant Pasques, et de nostre règne le xxxixme.

Ainsi signé : Par le roy en ses requestes, èsquelles mon- [p. 289] seigneur Charles de France1 le conte de Foix2, le sire de la Tour3, maistres Georges Havart, François Hallé4 et pluseurs autres estoient, Daniel. —Visa. Contentor. Duban.


1 Charles de France, duc de Berry, second fils et dernier enfant de Charles VII et de Marie d'Anjou, né le 28 décembre 1446, mort en mai. 1472. Louis XI devenu roi lui donna le duché de Berry avec la pairie et une pension importante; mais, poussé par ses conseillers, le jeune prince, qui « en toutes choses, dit Commines, était mené et conduit par autrui », s'allia à Charles le Téméraire et aux seigneurs mécontents et fut cause de la guerre dite du Bien public. Son frère, obligé de lui céder la Normandie, la lui reprit la même année (1466), et consentit, après de nouvelles intrigues, à lui donner le duché de Guyenne, auquel il joignit le comté de Saintonge et le gouvernement de la Rochelle, qui avaient fait partie du douaire constitué à la reine Marie d'Anjou, décédée le 29 novembre 1463. Plusieurs seigneurs poitevins se trouvant parmi les familiers de Charles, nous le retrouverons sans doute dans la suite de cette publication.
2 Gaston IV, comte de Foix et de Bigorre, pair de France, vicomte de Béarn, fils de Jean comte de Foix et de Jeanne d'Albret, sa seconde femme, fit hommage à Charles VII, le 2 avril 1442, du comté de Foix et de Bigorre et le renouvela à Louis xi, le 30 décembre 1461. Lieutenant du roi à l'année de Guyenne pour la seconde expédition contre les Anglais en cette province, il eut une grande part à la victoire de Castillon (1453). Gaston IV fit son testament, le 21 juillet 1472, à Roncevaux, où il mourut, âgé d'environ cinquante ans, et fut enterré dans l'église des Jacobins d'Orthez. (Le P. Anselme, Hist. Généalt., III, p. 374.)
3 Bertrand de La Tour, seigneur de Montgascon, était membre du Conseil de Charles VII depuis le mois de mai 1446. (De Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. IV, p. 411.)
4 Sur maîtres Georges Havart et François Hallé, cf. ci-dessus, p. 15 et 60, notes.