[p. 243]

MCCCXXXIII

Rémission accordée à Jean Bonnitaud, demeurant au village de la Jarrie. Poussé à bout par son frère aîné Guillaume, qui ne cessait de lui faire tort et de lui chercher querelle, ainsi qu'à un autre de ses frères, il l'avait, dans une rixe, frappé mortellement.

  • B AN JJ. 190, n° 41, fol. 22
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Jehan Bonnitaud, de l'aage de[p. 244] vingt trois ans ou environ, demourant ou villaige de la Jarrie ou païs de Poictou, contenant que puis aucun temps ença, pour eslongner et fouyr la compaignie de feu Guillaume Bonnitault, son frère ainsné, qui estoit de très perverse vie et avoit fait et porté plusieurs desplaisirs et dommaiges à luy, à Guillaume Bonnitault, leur frère, et à leurs feuz père et mère, icelluy suppliant et ledit Guillaume, son puisné frère, s'en alèrent du villaige de Chastillon demourer audit lieu de la Jarrie, où ils prindrent certaine maison avec aucuns heritaiges, en entencion d'y demourer et vivre ilec paisiblement, hors la compaignie dudit Guillaume, leur frère ainsné ; mais ledit Guillaume, leur ainsné, pour porter dommaige à sesdiz frères, s'en ala audit villaige de la Jarrye, où il avoit achapté ung vielz fondis et y fist faire une chetive maison près de celle de sesdiz frères, en entencion de leur nuyre, comme il dist depuis, et aussi dist qu'il les destruiroit. Lequel Guillaume l'ainsné, depuis qu'il vint demourer en icelluy villaige, a tousjours mené noise et debat à sesdiz frères et leur a fait gaster à ses bestes leurs blez de jour et de nuyt, et avec ce leur a desrobé ce qu'il a peu. Auquel villaige a ung puis qui de toute ancienneté a acoustumé estre commun à tous les habitans oudit villaige de la Jarrye, pour eulx servir de ladicte eaue, tant à abrever leurs bestes que autrement; auquel puis lesdiz supplians et Guillaume, son puisné frère, envoièrent, le mardi devant la feste de Noël l'an mil cccc. cinquante sept, leur chamberière, environ huit heures du matin, pour avoir de l'eaue pour faire du pain et pour leurs autres affaires ; laquelle chamberière trouva sur ledit puys ledit Guillaume l'ainsné, lequel, incontinent qu'il la vit et qu'elle avoit ses vaisseaulx pour emporter de l'eaue, luy dist qu'elle n'auroit point de l'eaue dudit puys. Laquelle chamberière luy dist lors : « Et pourquoy ?» et s'approcha dudit puys, pour en cuider tirer. Et lors ledit Guillaume, pour empescher [p. 245] que sesdiz frères n'eussent point de ladicte eaue...1 lesquelz par default de ce, ne peurent faire euire leur pain ce jour, parce qu'ilz estoient loing de toute autre eaue d'un quart de lieue ou environ. Lequel suppliant et Guillaume son puisné, qui dès ladicte heure de huit heures estoient alez à leurs labouraiges, arrivèrent sur le soir en leur hostel, environ souleilh couchant, et quant ilz furent ilec arrivez, trouvèrent leurdicte chamberière qui, pleuroit et estoit toute moulée. Lequel suppliant luy demanda qu'elle avoit, et elle luy respondit qu'elle venoit dudit puys pour cuider avoir de l'eaue et qu'elle y avoit trouvé ledit Guillaume l'ainsné, qui l'avoit empeschée d'en aporter, et non content de ce, luy avoit gecté ung seau d'eaue sur elle, combien qu'il gelast très fort et faisoit grant froit, et qu'elle y estoit aussi alée au matin et qu'il l'avoit batue, et que de tout ledit jour il n'estoit party dudit puys et n'avoit voulu souffrir qu'ilz eussent de l'eaue, et n'en avoient point eu de tout ledit jour, et qu'il disoit qu'ilz n'en auroient point. Et lors ledit suppliant dist audit Guillaume, son puisné frère, qu'il prist ung vaisseau et alast audit puys querir de l'eaue, pour ce qu'ilz ne s'en povoient passer et convenoit qu'ilz en eussent, et qu'il yroit après luy pour le garder que ledit Guillaume, leur ainsné, ne le batist. Lequel Guillaune print ung vaisseau pour avoir de l'eaue et s'en ala audit puys, et ledit suppliant print ung baston carré qu'il trouva en sa maison, de grosseur de plain poing et de quatre piez de longueur ou environ, et ala après sondit frère audit puys. Et estoit à heure de volée d'assée devers le soir ou environ. Et quant ledit suppliant fut près ledit puys, il vit ledit Guillaume Fainsné qui disoit audit Guillaume puisné qu'il n'auroit point de l'eaue dudit puys, et que ledit Guillaume puisné luy demandoit pourquoy, el en disant [p. 246] ces parolles, ledit Guillaume Fainsné, qui avoit en l'une de ses mains ung gros baston et en l'autre ung grant cousteau tout nu, apperceut ledit suppliant et incontinent ala à rencontre de luy en criant à l'aide et menoit grant effroy ; lequel Guillaume le voult frapper dudit cousteau qu'il tenoit tout nu en ses mains. Mais ledit suppliant retourna le coup dudit baston qu'il avoit et d'icelluy tout esmeu et eschauffé, desplaisant dont ledit Guillaume l'avoit voulu batre, le frappa parmy les jambes tellement que icelluy Guillaume l'ainsné tumba d'un genoil à terre, et incontinent se releva et dudit cousteau qu'il avoit cuida et s'efforçade rechief de frapper ledit suppliant parmy le ventre ; mais icelluy suppliant se recula et ne le frappa que parmy la robe, en laquelle il fist ung grant pertuys, et ledit suppliant en reculant audit coup frappa de rechief de son dit baston ledit Guillaume Fainsné sur aucune partie de son corps, ne scet bonnement où, parce qu'il estoit nuyt, pour lequel coup icelluy Guillaume, le landemain environ neuf heures de matin, ala de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas, icelluy suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs et n'y oseroit jamais retourner, converser ne repairer, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, comme dit ledit suppliant, humblement requerant que, attendu que ledit suppliant fut meu d'aler devers ledit deffunct parce qu'il avoit batu sadicte chamberière et qu'il les empeschoit d'avoir de l'eaue audit puys qui estoit commun audit villaige, non pas en entencion de le tuer, ains de sa mort fut et est très desplaisant et courroucié, mais seulement pour savoir pour quoy il empeschoit qu'il n'eustde l'eaue, et que ledit deffunct fut tousjours agresseur et estoit homme de mauvaise vie, etc., il nous plaise luy impartir icelles. Pourquoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant oudit cas avons quicté, remis et par- [p. 247] donné, etc. Si donnons en mandement, par cesdictes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Saint Espain, ou mois d'avril l'an de grace mil cccc. soixante, et de nostre règne le xxxviiie .

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Reynault. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Mots passés par l'inadvertance du scribe.