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MCCCLIII

Lettres données à l'occasion de l'entrée de Louis XI à Marans, portant délivrance de la personne de Jacques de Puyguyon, écuyer, détenu dans les prisons dudit lieu, et remise des peines qu'il avait encourues comme complice du meurtre d'Hector Rousseau.

  • B AN JJ. 198, n° 314, fol. 276
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France, à tous ceulx [p. 312] qui ces presentes lettres verront, salut. Receue avons l'umble supplicacion de nostre bien amé Jacques de Puiguion1 [p. 313] escuier, filz de Jehan de Puiguion, à present prisonnier ès prisons de ceste ville de Marant, contenant que, ou moys d'avril mil cccc. cinquante huit, le seneschal de Poictou ou son lieutenant qui lors estoit et les gens et conseilliers en Poictou de feu nostre très chier seigneur et père, que Dieu absoille, estans lors assemblez à Fontenay le Conte et deuement informez par informacion precedente des exactions, pilleries, excès, voye de fait, rebellions, desobeissances et autres maulx innumerables que avoit faiz et faisoit de jour en jour feu maistre Hector Rousseau, lequel demouroit en une maison assise ou villaige ou bourg de Brueil Barret, laquelle il avoit de fait et de force ostée et tollue à ung povre laboureur du païs, et pour soy deffendre et resister aux officiers royaulx et autres et à justice, ainsi qu'il estoit acoustumé de faire, y avoit et tenoit coulverines, arbalaistres et autres habillemens de guerre, et avec luy tenoit en habillement de guerre gens meurdriers, larrons et autres gens de très mauvaise vie, fut deliberé et ordonné que il et sesdiz complices seroient prins aux corps et menez en noz prisons de Poictiers, pour illec ester à droit et recevoir pugnicion et correction desdiz crimes [p. 314] et delitz, selon leurs demerites. Et pour ce faire, furent par ledit seneschal ou sondit lieutenant et par deliberacion desdictes gens de conseil données lettres ou mandement adressans à nostre premier sergent, et aussi certaine commission à Mathurin Marot, lors substitut à Fontenay le Conte du procureur en Poictou de nostre dit feu seigneur et père. Lesquelz Guerart2 et Marot, sachans que ledit Rousseau et sesdiz complices usoient de voye de fait et se tenoient en habillement de guerre, pour eulx defendre et courir sus aux officiers de justice, et que pour ce n'oseroient sans avoir aide proceder à la poursuite dudit Rousseau et de sesdiz complices, mandèrent, que que soit ledit Marot, à Jacques Jousseaume, escuier, seigneur de la Geffardière, qu'il se rendist et ses gens en bon habillement, à certain jour de dimenche, devant ladicte maison dudit Rousseau audit lieu du Brueil Barret, pour aider à prendre icellui Rousseau et sesdiz complices. Lequel Jousseaume, voulant obeir à justice, se rendy, ses gens et autres en habillement au lieu du Teil, le samedy au soir, qui est près dudit lieu du Brueil Barret, en l'ostel du père dudit suppliant. Duquel hostel ledit Josseaume et ceulx de sa compaignie partirent le landemain jour de dimenche et se transportèrent devant l'ostel dudit Rousseau audit lieu du Brueil Barret, et avecques eulx et tantost après y ala ledit suppliant et porta avecques lui une arbalaistre et certain nombre de traict. Et après ce que ledit suppliant et autres furent devant ladicte maison, et avant que lesdiz Marot et Guerrart, qui ne vindrent jusques au soir, feussent arrivez, ledit Rousseau qui s'estoit enfermé oudit hostel et huit ou dix hommes de defense avecques lui en habillement de guerre, tira traict d'arbalaistre et coulverines, en usant de parolles oultraigeuses et deshonnestes [p. 315] contre ledit Jousseaume et autres qui estoient devant ledit hostel, par aucun desqueulz y eut aussi traict tiré, mais non pas par ledit suppliant. Et ainsi que lesdiz Guerart et Marot qui avoient lesdiz mandement ou commission de prandre au corps icellui Rousseau furent arrivez et que l'en voult faire diligence de prandre au corps icellui Rousseau et ses diz complices, qui estoient enfermez oudit hostel et se deffendoient, advint par coulpe et faulte dudit Rousseau et autres qui estoient enfermez avecques luy, et par les pouldres de canon et gresses qu'ilz avoient en l'une des chambres d'icellui hostel, ouquel icellui Rousseau se tenoit et deffendoit et par la fenestre de la chambre de laquelle il avoit tiré et tiroit traict de coulverines et arbalaistes, que le feu se print soubzdainement en ladicte chambre et ou lit estant en icelle, par lequel ladicte chambre et tout ledit hostel furent ars et brulez. Et qui plus est, advint aussi que ledit Rousseau, lequel à l'occasion dudit feu s'estoit retraict sur ledit hostel fut tué d'un raillon ou autre trait d'arbalaiste, qui fut tiré par ung arbalaistier qui estoit devant ledit hostel et n'estoit avec ledit Jousseaume, ne autres de sa compaignie, et n'avoient de lui congnoissance. Pour occasion duquel cas et pour certaines lettres impetrées sur ce de nostre dit feu seigneur et père, par Loise Rabatelle, vefve dudit feu Rousseau et Albert Rousseau, ès noms qu'ilz procedent, contre ledit suppliant, en lui voulant imposer qu'il estoit chargié et coulpable dudit cas, fut dès l'an mil cccc. cinquante et huit prins au corps et constitué prisonnier ès prisons...,3 duquel il fut et a esté detenu prisonnier l'espace de deux ans ou environ, sans proceder contre luy à absolucion ou condempnement. Mais ce pendant, pour ce que il sembla audit suppliant que aucuns des conseillers de nostredicte [p. 316] court, lesquelz estoient commis à assister à cause dudit cas previlegié avecques l'official et autres officiers de nostredit conseiller l'evesque de Paris, à faire le procès dudit suppliant, l'avoient grevé et lui faisoient grief, appella d'eulx. Duquel appel il [fut] decheu et pour ce fut par nostredicte court de Parlement condempné en l'admende de soixante livres parisis, et certain temps après fut ledit suppliant par nostre dicte court de Parlement eslargy touchant ledit cas previlegié jusques à certain jour, et semblablement fut eslargy par nostre dit conseiller touchant le delit commun. Mais ce neantmoins il demoura prisonnier par long temps à cause et pour raison de ladicte amende de soixante livres parisis, et après de rechief fut eslargy à certain jour ou jours, tant par nostredicte court de Parlement que par nostredit conseiller l'evesque de Paris, sans ce que contre lui ait esté procedé à absolucion ou condempnacion ; et pour ce que tous jugemens sont à doubter et que pour raison du cas et choses dessus dictes ledit suppliant pourroit demourer en grant et longne involucion de procès, ainsi qu'il nous a fait remonstrer, requerant humblement comme, pour ladicte cause, il ait par long temps esté tenu en procès et souvent obey personnellement tant en nostredicte court de Parlement que par devant l'official de nostredit conseiller, et à ceste cause faiz si grans fraiz qu'il y a despendu tout son vaillant, que ses predecesseurs ont toute leur vie servy ou fait de la guerre pour la deffense de nostre royaume, il nous plaise le mettre du tout hors dudit procès, en lui donnant plainière grace et pardon dudit cas, et le lui pardonner et sur ce luy benignement impartir et eslargir nostre grace. Savoir faisons que nous, les choses dessus dictes considerées et les bons services que les predecesseurs dudit suppliant ont fait à nous et aux nostres ou fait de la guerre et que esperons que feront, et qu'il. a pour ladicte cause souvant comparu personnellement tant en nostredicte [p. 317] court de Parlement que en la court de l'official de nostredit conseiller, et fait de grandes mises et despenses, considerans aussi que avons bien acoustumé, après nostredit joyeulx avenement à la couronne, eslargir liberalment nostre grace à tous ceulx qui sont prisonniers ès villes et placés où nous entrons et passons, ledit Jacques de Puiguion avons, pour cescauses et [autres] consideracions à ce nous nouvans, à nostre première entrée en ceste ville et place de Marant depuis nostredit nouvel advenement à la couronne, fait delivrer et mettre hors desdictes prisons de Marant, et le fait et cas dessus declairé, les circonstances et deppendences d'icelluy, en quelque manière et pour quelque cause et occasion qu'il soit advenu, et que ledit suppliant soit ou puisse estre chargié, coulpable et tenu envers nous et justice, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, lui avons quicté, remis et pardonné, quictons, remettons et pardonnons par ces presentes, avec toute peine, offense et amende corporelle, criminelle et civille en quoy il pourroit, à cause des choses dessus dictes et des deppendances, estre encouru envers nous et justice. Et en oultre avons volu et ordonné, voulons et ordonnons que lesdiz procès qui faiz ont esté, tant en nostredicte court de Parlement que en la court dudit official de nostredit conseillier l'evesque de Paris, et les deppendances soient mis au neant et les y avons mis et mettons par ces dictes presentes, et que ledit suppliant soit entièrement mis hors de court et desdiz procès, sans ce que à cause du cas et procès dessusdiz ne des deppendences, il soit plus tenu aler ne comparoir en personne en nostredicte court de Parlement ne par devant ledit official, ne autres officiers de nostredit conseillier. Et sur ce imposons silence perpetuel à nostredit procureur, sauf l'interetz et satisfacion à partie, s'aucune en y a. Si donnons en mandement, par ces dictes presentes, à noz amez et feaulx conseilliers, les gens tenans et qui tiendront nostredit Parlement, que de nos- [p. 318] tre presente grace et octroy ilz facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joïr, etc. Donné audit lieu de Marant, le xxme jour de jamrier l'an de grace mil cccc. soixante et ung, et de nostre règne le premier.

Ainsi signé : Par le roy, les mareschaulx, les sires Du Lau et de Montglat4 et autres presens. De La Loère.


1 Déjà au mois de mai 1459 (ci-dessus, p. 151), Jacques de Puyguyon avait obtenu de Charles VII des lettres de rémission pour le même fait, c'est-à-dire pour la part qu'il avait prise au meurtre d'Hector Rousseau. Il n'en est pas question dans ce nouveau texte. Le sr de Puyguyon n'était pas encore parvenu à les faire entériner. C'est pour cela qu'il imagina ce subterfuge, de se rendre dans les prisons de Marans, ayant appris que Louis XI, se rendant de Saintes à la Rochelle, s'arrêterait dans cette ville, et afin de bénéficier de la grâce plénière que le roi avait accoutumé d'octroyer aux prisonniers à sa première entrée dans une ville. Les lettres qui accompagnaient cette mise en liberté avaient une efficacité plus grande que les rémissions proprement dites. Le roi était censé avoir accordé cette grâce de son plein gré, motu proprio, sans aucune requête et pour ainsi dire à l'insu du criminel. Dans un article intitulé le Meurtre de Jean Berry, secrétaire du duc de Bourbon, dont les coupables obtinrent, dans les mêmes conditions exactement, des lettres d'abolition, M. B. de Mandrot fait ressortir la différence que nous signalons (Revue historique, n° de mars-avril 1905, p. 246). « La lettre de grâce d'entrée de ville, dit-il, n'était pas débattue d'obreption, de subreption ni d'incivilité. » Toutefois il n'était pas fait remise de la réparation civile due à la victime ou à ses héritiers et ayants droit.

Quoique la grande chancellerie n'ait transcrit sur ses registres que les lettres de grâce d'entrée à Marans délivrées en faveur de Jacques de Puyguyon, les autres complices de l'assassinat d'Hector Rousseau n'avaient pas manqué d'avoir recours au même stratagème, alors assez fréquemment employé, comme nous l'apprend le registre du Parlement. Dès le 25 mars 1462, Jacques de Puyguyon se rendit prisonnier en la Conciergerie du Palais et présenta à la Cour ses lettres d'abolition dont il requérait l'entérinement. Les autres ne comparurent que le 6 mai et adressèrent la même requête. C'étaient Mathurin d'Appelvoisin, chevalier, Jacques Jousseaume, Jean de Puyguyon, Jean Beufmont, écuyers, Nicolas Martin et Jean Drevon (sic) dit Chauvin. Leur avocat, après avoir exposé où en était la procédure relative à l'enregistrement des premières rémissions accordées aux meurtriers d'Hector Rousseau, ajoute : « Depuis est advenu Ie trespas du feu roy, après lequel le roy s'est trouvé à Marans, où a trouvez prisonniers Appelvoisin et les autres dessus diz pour raison dudit cas, leur a fait ouvrir les prisons, leur a pardonné ledit cas touchant son interest et baillé ses lettres d'abolicion, par lesquelles il mande les mettre hors de procès et imposé silence à son procureur, sans ce qu'ilz soient plis tenuz retourner en personne. Si requiert que les lettres soient veues et entérinées, et en ce faisant qu'ilz soient mis hors de procès touchant Ie Procureur du roy, et ne soient plus tenuz de comparoir en personne. » Le procureur général, par la bouche de son substitut Simon, « dit qu'il a veu les lettres d'abolicion octroyées à Appelvoisin et autres dessus diz par le roy et pour son joyeux advènement, et a tousjours veu user en telles matières que les prisons ont esté ouvertes franchement et quictement aux emprisonnez, au moien de telles lettres d'abolicion touchant l'interest de justice, et pour ce ne peut empescher que lesdites lettres ne soient enterinées, et s'en rapporte à la discretion de la court », Popaincourt, avocat de Louise Rabateau et d'Albert Rousseau, la veuve et le frère de la victime, répondit que les demandeurs avaient tellement épouvanté les témoins que plusieurs étaient en fuite, qu'ils avaient trouvé moyen par une fausse accusation de faire mettre en prison Albert Rousseau, pour l'empêcher de faire procéder à son enquête en temps utile, qu'ils avaient usé de fraude et de contrats simulés pour se soustraire à un arrêt de la Cour adjugeant une provision pécuniaire à la veuve et aux enfants d'Hector Rousseau. Dans l'abolition qu'ils s'étaient fait délivrer à Marans, ils avaient confessé plus que dans leur première rémission. Pour ces motifs, il demandait que l'on continuât à procéder sur ladite rémission, nonobstant l'abolition, et que, pour le payement des provisions, on pût toujours user de contrainte contre les meurtriers par emprisonnement de leurs personnes, etc. (Arch. nat., X2a 32, aux dates des 15 mars et 6 mai 1462.) En effet, les procédures se poursuivirent contre Appelvoisin, Jousseaume, Pùyguyon et les autres ; mais incontestablement leur situation judiciaire était devenue bien meilleure, depuis leur subterfuge de Marans, et les réparations auxquelles ils furent condamnés par l'arrêt définitif du 10 septembre 1463 furent beaucoup moins dures qu'elles ne l'eussent été, sans les lettres de grâce du 20 janvier 1462. (Voy. l'Introduction du présent volume.)

2 Guérart est le nom du sergent royal, comme on le voit par les lettres de rémission de mai 1459 ci-dessus.
3 Quelques mots paraissent avoir été omis par le scribe en cet endroit.
4 Jean Bureau, chevalier, seigneur de Montglat et de la Houssaye, maître de l'artillerie. (Cf. ci-dessus, p. 84, note 6, et notre t. VIII, p. 172, note.) Au début de son règne, Louis XI, par lettres patentes dont on a conservé la minute sans date, confirma le sire de Montglat, trésorier de France, chambellan et conseiller du roi, maître des comptes, maire perpétuel de Bordeaux, dans les offices dont il avait été pourvu par Charles vu. (Bibl. nat., ms. fr. 20488, fol. 65.)