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MCCCXCV

Rémission en faveur de Guillaume Porchet, jeune marchand ambulant, qui, au village d'Éports, paroisse de Brigueil-le-Chantre, en la seigneurie de Fleix, en s'escrimant du couteau, pour jouer, avec Amaury Chaignon, l'un de ses compagnons, l'avait blessé mortellement.

  • B AN JJ. 499, n° 599, fol. 379 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Lois, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l'umble supplicacion de Guillaume Porchet, marchant, jeune homme de l'aage de xviii. à xx. ans, de la parroisse de Lalhé ou diocèse de Nantes en Bretaigne, contenant qu'il est marchant conduisant chevaulx à vesture1, tant de draps que autres marchandises, ès parties de Bretaigne, Poictou, Limosin, la Marche, Auvergne et en plusieurs autres parties de ce royaume, et en faisant le fait de sondit mestier de marchandise est advenu que, environ karesme prenant derrenier passé, il se partit dudit païs de Bretaigne, en la compaignie de plusieurs autres marchans voisturiers dudit païs, ses voisins, et avoit ledit Guillaume de six à sept chevaulx chargez de draps qu'il conduisoit à vesture lesques ès parties d'Auvergne et de Lion sur le Rosne. Lequel suppliant, au retour dudit païs d'Auvergne,[p. 462] si revint et amena sesdiz chevaulx, chargez d'autres marchandises, en la compaignie de plusieurs autres marchans voisturiers en grant nombre, pour s'en retourner oudit païs de Bretaigne ; et eulx arrivez en la ville de Guerret en la Marche, à leur retour, le xvie jour du mois de mars derrenierement passé, si trouvèrent en ladicte ville Amourry Chaignon, marchant, conduisant quatre charges de voirre des parties dudit païs d'Auvergne, tirant à la Rochelle ; lequel Amourry Chaignon, filz de Pierre Chaignon, marchant demourant à la Rochelle, soy acompaigna avecques ledit suppliant et les autres marchans voisturiers de sa compaignie, pour s'en aller ès parties de la Rochelle. Lesquelx partirent ensemble dudit lieu de Guerrect et journeèrent jusques en la ville de la Souterraine en Limosin, et d'ilecques, le dimenche avant Pasques fleuries, après qu'ilz eurent oy la messe et desjuné, en continuant leur compaignie, s'en alèrent ensemble jusques au lieu et vilage de l'Esport en la parroisse de Briguelz, terre et justice du chastel de Fliet en la conté de Poictou, appartenant ledit chastel de Fliet au conte de Penthèvre2, et illecques logèrent tous en une hostellerie, et y arrivèrent de soir. Lesquelz Amourry Chaignon [et] suppliant, qui estoient comme d'un aage, dès le lieu de Guerect que fut leur assemblée, si prindrent entre eulx grant congnoissance et amour et aloyent ensemble sur chemin communement, et pour l'amour singulière qu'ilz avoient prins ensemble, ledit suppliant print plaisir en ung coustel poignant, nommé bistorit, que avoit ledit Amourry, qui le vendit audit suppliant le pris de xii. solz [p. 463] vi. deniers tournois, en ladicte ville de Gueret. Et voyant ledit Amourry que point n'avoit de coustel, si en achepta ung autre grant coustel de son hoste de la Souterraine, et, comme dit est, s'en alèrent ledit jour de dimenche, après disner, de ladicte ville de la Sousterraine audit lieu d'Esport, et illecques arrivez de grant heure, logèrent tous ensemble en l'ostellerye dudit lieu. Et après ce qu'ilz eurent establez leurs chevaulx, soupèrent tous ensemble et firent grant chère, et après souper alèrent ensemble penser leurs chevaulx ; et après qu'ilz les eurent pensez, yssirent de l'estable, faisans grant chère et joyeuse. Et illecques, par devant ledit estable, avoit partie des charges desdiz marchans. Lequel suppliant s'assist sur une bale de marchandises et ledit Amourry estoit debout, lequel dist audit suppliant: « Lève toy, jouons ». Lequel Amorry eschassa et tira son coustel et joet les tours d'escrime à rencontre dudit suppliant par esbat, sans malice, et vint frapper du plat dudit coustel ledit suppliant en disant telles parolles ou semblables en effect: « Comme se j'eusse voulu, vous feussiez mort », et en faisant tousjours les tours d'escrime, si dist audit suppliant : « Deffendez vous, croysés », et incita ledit suppliant de soy lever. Lequel suppliant soy leva pour complaire audit Amourry et eschassa son coustel, en faisant ensemble les tours d'escrime, ainsi qu'ilz le savoyent faire, et frappa ledit Amourry de son coustel sur le coustel dudit suppliant, et le luy fit besser encontre bas, et fist ung pas contre ledit suppliant et rencontra son coustel et soy blessa en la cuisse ; et incontinant la plaie se mist à vuider le sang à grant boulhon. Et lors ledit Amourry dist audit suppliant: « Je suis blecié en la cuisse », et ledit suppliant pour le secourir, le prist et le fist seoir et puis coucher sur une des halles de leursdictes marchandises, et voulut arrester le sang, ce qu'il ne peut faire. Et à ceste cause, entra prestement en l'ostel et sonna l'ostesse et autres de l'ostel, et prisdrent [p. 464] ledit Amorry et le portèrent en l'ostel et le misdrent ou lit, et firent toute diligence d'arrester le sang, mais ilz ne peurent tant faire que ledit Amourry, demye heure après ala de vie à trespas. A l'occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, n'oseroit jamais seurement converser ne repairer en nostre royaume, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, humblement requerant, etc. Pourquoy, etc., voulans, etc., audit suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou ou à son lieutenant et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chartres, ou mois d'avril l'an de grace mil iiiie lxiiii, et de nostre règne le iiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Reynaut. — Visa. Contentor. Daniel.


1 Le mot est ainsi écrit ici et neuf lignes plus bas; il a évidemment le sens de « voiture ».
2 Jean de Brosse, sr de Sainte-Sévère et de Boussac, comte de Penthièvre par son mariage avec Nicole de Blois, dite de Bretagne. (Voy. ci-dessus, p. 38, note.) La terre et le château de Fleix lui appartenaient en propre. Ils avaient fait partie des biens d'Eliette de Prie, donnés par celle-ci à Louis de Malval, dont la fille Marguerite avait épousé l'aïeul du comte de Penthièvre. (Voy. Arch. hist. du Poitou, t. XIX, p. 93, note.)