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MCCCXLIV

Rémission en faveur de Jean Taillé, demeurant à Pontrot, paroisse de Vernou, poursuivi pour le meurtre de Pierre Marconnay, qui lui avait cherché querelle sans motif.

  • B AN JJ. 192, n° 69, fol. 49
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir [p. 282] faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Jehan Taillé, texier en linge, povre homme aaigé de cinquante ans, chargé de jeune femme et de quatre petiz enffans tous en bas aage et minorité, demourant en ung hostel appellé Pautrot en la parroisse de Vernou ou diocèse de Poitiers, contenant que Jehan Bonnet1 chevalier, puis aucun temps en ça a baillé à exploicter audit suppliant une pièce de pré qui est joingnant de sondit hostel, pour en prandre les fruiz, prouffiz et emolumens, en icelluy pourveans ; lequel pré à ce tiltre ledit suppliant a tenu et exploicté par deux années on environ paisiblement et paciffiquement, au veu et sceu de feu Pierre Marconnay, en son vivant aussi demourant oudit hostel Pautrot, et de tous autres qui l'ont voulu veoir et savoir. Et combien que icellui Marconnay n'eust oudit pré aucun droit, toutesvoyes par pluseurs et diverses foiz il mist ses beufz en icellui et fist gaster l'erbe qui estoit dedans, par quoy ledit suppliant lui deffendi par pluseurs foiz qu'il ne le fist plus, dont icellui Marconnay print pluseurs noises et debatz contre ledit suppliant, et non con- [p. 283] tent de ce, envoya de rechief pour faire desplaisir et dommaige audit suppliant ses beufz ou pré d'icellui suppliant, et tellement que vint à la congnoissance dudit suppliant, lequel pour les mettre hors dudit pré et preserver qu'ilz ne le gastassent, se transporta, le xvie jour du mois de septembre passé, environ heure de soleil levant, en sondit pré ouquel il trouva quatre beufz audit Marconnay appartenans, lesquelz il commança à chacer et mettre hors d'icellui pré avecques une petite javeline qu'il avoit portée en sa main, et en les chaçant et boutant hors d'icellui, pour ce que lesdiz beufz ou aucuns d'iceulx faisoient difficulté d'en yssir, ledit suppliant en picqua ung par la cuisse de derrière de ladicte javeline, dont il yssy sang, mais ledit beuf n'en fut point pire et ne laissa à charrouer et labourer, et le lendemain à mener du blé à l'ostel dudit Bonnet, chevalier dessusdit. Et lors ou tantost après, yssi dudit hostel de Pantrot ledit Pierre Marconnay, à qui appartenoient lesdis beufz, avecques une forche de bois qu'il avoit entre ses mains, et incontinant qu'il s'aproucha desdiz beufz et vit l'un d'iceulx blecié par la cuisse, cria à haulte voix, en adressant sa parolle contre ledit suppliant, telles parolles ou semblables en effect et substance : « Le faulx traitre Taillé a blessé mon beuf », et fist icellui Marconnay tourner sesdis beufz devers la rivière appellée de l'Aleu. Et ce fait, s'en revint très fort emeu et suyvy ledit suppliant jusques oudit pré où il estoit, en disant : « A ! ribault, tu as picqué mon beuf ! Par le sang Dieu, je te tueray ». Et en disant lesdictes parolles, bailla audit suppliant de ladicte fourche qu'il avoit deux ou trois coups sur l'espaulle, du cousté senestre, tellement qu'il lui rompit l'espaulle. Et ce voyant ledit suppliant et doubtant que ledit Marconnay le voulsist tuer, dist à icellui Marconnay qu'il ne le frapast plus et que s'il le frapoit plus, il se deffendroit. Et pour ce que icelluy Marconnay, qui estoit entallanté dé [p. 284] thuer ou villenenement blessier et endommaiger ledit suppliant en sa personne, comme il sembloit, s'efforça derechief frapper ledit suppliant, il, pour soy garder et preserver de ce, dressa ladicte javeline contre ledit Marconnay qui venoit contre lui, et d'icelle le frappa par la poitrine, dont yssit grant effusion de sang, et ledit cop baillé, icellui Marconnay se transporta jusques au pont dudit lieu de Pantrot, auquel pont les femme et filles d'icellui Marconnay le trouvèrent, et d'illec le portèrent en leur hostel, ouquel, par le moien dudit cop, certain temps après, il ala de vie à trespas. Pour occasion duquel cas, les biens meubles et immeubles dudit suppliant ont esté prins et saisiz par justice où ledit delit a esté commis et perpetré, et s'est icellui suppliant, doubtant rigueur de justice, absenté du païs ouquel, ne ailleurs en nostre royaume, il n'oseroit jamais seurement converser ne demourer, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce prealablement impartye, requerant humblement que, attendu les choses dessus dictes, mesmement que ledit suppliant a commis et perpetré ledit cas en son corps deffendant et que ledit deffunct a esté agresseur, aussi que icellui suppliant a esté tousjours de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actaint ne convaincu d'aucun villain cas, blasme ou reprouche, et qu'il est chargé, comme dessus est dit, de femme et de petiz enffans fans mineurs, il nous plaise nostredicte grace et misericorde lui impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poitou ou à son lieutenant et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de mars l'an de grace mil cccc. soixante, et de nostre règne le xxxixme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Des Vergiers. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Ce personnage paraît être Jean Bonnet, seigneur de la Chapelle-Bertrand, Saint-Lin, la Boissière-en-Gâtine, etc., qui, soit de son patrimoine, soit à cause de sa femme, Marie de Vivonne, fille de Jean, seigneur de Bougouin et d'Iteuil, possédait cet hôtel de Pontrot en la paroisse de Vernou-sur-Boutonne. Le registre des hommages et aveux rendus à Artus, comte de Richemont, en qualité de seigneur de Parthenay, le mentionne fréquemment ; à la première page,l'acte d'hommage qu'il fit le 8 avril 1428 pour la seigneurie de Saint-Lin y est transcrit in extenso ; puis c'est l'aveu et dénombrement du même fief, l'analyse de l'hommage de la Chapelle-Bertrand, etc. Dans un aveu et dénombrement de Mauvergne, rendu par Aymar de La Rochefoucauld, à cause de Jeanne de Martreuil, sa femme, le 21 avril 1447, Jean Bonnet est dit tenir de cette seigneurie quelques borderies de terre qui lui proviennent de la succession de Jean Ojart. (Arch. nat., R1* 190, fol. 1, 49, 63, 248, 257 et 272 v°.) M. Ledain cite d'autres aveux qu'il fit, en 1457, des seigneuries de la Chapelle-Bertrand, la Boissière et Saint-Lin, et en 1463, de celle de la Cordinière, et le qualifié chevalier. (La Gâtine historique, p. 371.) Jean Bonnet eut trois fils : Briand, sr de la Chapelle-Bertrand ; Artus, sr de Saint-Lin (dont aveu en 1473), Couzay, Bouillé, le Retailsur-Vendée ; Henri,chef de la branche du Breuillac ; et une fille, Jeanne, mariée à Guyot Du Bois, écuyer, seigneur du Port. (Dict. des familles du Poitou, nouv, édit., t. I, p. 615.)