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MCCXCVII

Rémission accordée à Jacques Mignon, pauvre aliéné, enfermé depuis huit mois dans les prisons de Thouars, parce qu'il s'accusait d'avoir noyé sa femme, la vérité de ce prétendu crime ne pouvant être établie.

  • B AN JJ. 188, n° 15, fol. 10
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion des parens et amis charnelz de Jacques Mignon, povre homme, perturbé et alteré de son entendement, à present et depuis huit mois ença detenu prisonnier ès prisons de Thouars, contenant que, quinze ou seize ans a ou environ, ledit Mignon fut marié avecques une jeune femme, nommée Mathurine Paynelle, laquelle estoit toute sote, de simple et très petit gouvernement, en telle manière qu'elle ne se savoit gouverner, non plus que ung petit enfant, et ne savoit faire son mesnaige, gouverner ne nourrir ses enfans ne faire autre chose, sans la conduicte et remonstrance d'aucune autre personne. Lequel Mignon a demouré tout son temps, conversé et repairé au villaige de la Richardère en la chastellenie de Bressuyre et ilec environ, et s'est bien doulcement et paisiblement gouverné ; et estoit amé au païs pour ce qu'il se mesloit et entremettoit de faire roues de charette, et en ce et autres choses faisoit plusieurs plaisirs aux gens du païs d'ilec environ. Et pour ce que, ung an a ou environ les voisins dudit Mignon et autres gens du païs congneurent qu'il n'avoit ne ténoit plus sadicte femme aveques luy, ainsi qu'il avoit acoustumé de faire le temps passé, et que on ne povoit savoir nouvelles de ladicte femme ne qu'elle estoit devenue, à ceste cause ledit Mignon fut prins, par souspeçon, huit mois a ou environ, et fut mis et constitué prisonnier ès prisons de Thouars, et incontinent, de sa [p. 93] franche voulenté, sans aucun parforcement, contraincte de gehaine ne autrement, dist et confessa que, à cause de ce que sadicte femme l'avoit plusieurs foiz incité et ennorté d'aler veoir ses père et mère, qui demouroient au lieu de la Trape près Mauleon, icelluy Mignon et sadicte femme se partirent, ung an a ou environ, à certain jour de samedi, environ l'eure de myenuit dudit villaige de la Richardière pour aler audit lieu de la Trape, où il y a de distance de deux lieues ou environ, et laissèrent cinq petiz enfans qu'ilz avoient, couchez en leur lit ; et en alant dudit villaige de la Richardière audit lieu de la Trape, ainsi que luy et sadicte femme furent au droit de la rivière du Puy, au dessoubz d'un molin, appellé le molin de la Voy, ledit Mignon print sadicte femme au travers du corps et la gecta en ladicte rivière, et ilec la fist noier ; et incontinent s'en retourna ledit Mignon en son hostel coucher auprès de sesdiz enfans, jusques environ le point du jour qu'il se leva, et ala à la messe à l'eglise de Flazay. Et pour ce que les officiers dudit lieu de la justice de Thouars, veans que la confession dudit Mignon estoit ainsi voulentaire et qu'il persistoit et encores persiste en icelle, et requeroit que on le fist mourir, ilz ont fait toute diligence de adverer et actaindre ledit cas autrement que par sadicte confession, et ont plusieurs foiz envoyé au lieu de ladicte rivière qui est petite, et ilec environ, pour savoir si on avoit point trouvé aucune personne morte ou noyée en icelle rivière, ne autres apparences et conjectures sur ledit cas, con formes et consonans à la depposicion dudit Mignon. Mais, pour quelque dilligence qu'ilz en aient faite, ilz n'en ont peu trouver ne savoir aucune chose, jasoit ce que ledit Mignon, à tous les interrogatoires que on luy a faiz, soit tousjours persistant à sadicte depposicion et confession, en requerant les officiers de ladicte justice qu'ilz le facent mourir. Lesquelz officiers, après ledit procès dudit Mignon fait et acomply en grant et meure deliberacion, ont fait [p. 94] consulter la matière au conseil à Poictiers et ailleurs, et ne trouvent pas que par sa simple confession ainsi faicte que dit est, et mesmement que luy mesmes requiert estre executé par justice, que ilz le doivent condempnez à mourir ; mais par l'advis et oppinion dudit conseil, ont trouvé qu'il seroit le mieulx, pour satisfaire à justice, que il nous pleust donner audit Mignon noz lettres de remission sur ledit cas et sur ce luy impartir nostre grace. Pour quoy nous, les choses dessusdictes considerées et que à rencontre dudit Mignon n'y a aucune partie formée ne poursuivant, fors seulement les officiers de la justice, pour adverer et actaindre ledit cas, la verité duquel ne peut estre sceue, fors ainsi que dit est, et qu'il est vraysemblable que icelluy Mignon soit fort blecié et perturbé en son entendement, actendu mesmement qu'il requiert luy mesmes estre mis à mort et executé par justice, et que en telles matières qui gisent en doubte et dont la verité ne peut bien clerement estre sceue et actainte, la voye de misericorde et de doulceur estre à eslire et preferer à rigueur de justice, audit Mignon avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné, ou mois de janvier l'an de grace mil cccc. cinquante huit, et de nostre règne le xxxviie, en nostre ville de Tours.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. De Puygiraut. —Visa. Contentor. J. Du Ban.