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MCCCIII

Lettres portant anoblissement de Pierre Segaud, demeurant à Champdenier, et de sa postérité.

  • B AN JJ. 188, n° 70, fol. 35
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Karolus, Dei gracia Francorum rex. Ad perpetuam rei memoriam. Decens et juri consonum arbitramur illos nobilitatibus et aliis prerogativis muniri, quos probos et fideles, ac vita laudabili, morum honestate aliisque virtutum insigniis decoratos adinvenit regia majestas. Sane, licet dilectus noster Petrus Segaud1, de patria nostra [p. 110] Pictavie oriunclus et ad presens in loco de Champdenier in dicta patria commorans, libere condicionis et de legitimo matrimonio ex innobilibus parentibus traxerit vel [p. 111] sumpserit originem, verumptamen vita laudabilis, morum honestas, vera eciam erga nos ipsius fidelitas et alie virtutes [p. 112] quibus persona ejus insignitum, ipsum nobilem in actibus reddunt et nos inducunt ut erga eum reddamus ad gratiam liberales. Notum igitur facimus universis, presentibus et futuris, quod, premissorum consideracione, necnon eciam in favorem sincere dilecti nostri fratris Johannis Bretonneau2, preceptoris preceptorie de Ysenhem, ordinis Sancti Anthonii, avunculi Marguerite, uxoris dicti Petri de Segaud, eumdem Petrum et ejus posteritatem et prolem, masculinam et femininam, in legitimo matrimonio natam et nascituram, nobilitavimus etdegracia speciali, ex nostra [p. 113] certa scientia, plena potestate et auctoritate regia nobilitamus per presentes et nobiles facimus et creamus, expresse concedentes ut ipse Petrus Segaud et ejus posteritas, nata et nascitura predicta, in omnibus suis actibus, in judicio et extra, ab omnibus pro nobilibus habeantur et reputentur ; et habiles reddimus ut ipsi universis et singulis privilegiis, libertatibus et aliis juribus quibus ceteri nobiles regni nostri, ex nobili genere procreati, uti consueverunt, utantur, gaudeant pacifice et fruantur ; ipsum Petrum et ejus posteritatem predictam aliorum nobilium, ex nobili prosapia seu stipite procreatorum, numero et cetui aggregantes, licet ipse Petrus ex nobili genere ortum non habuerit vel sumpserit originem, ut predictum est. Volentes insuper et concedentes ut idem Petrus et ejus proles, nata et nascitura, dum et quociens eisdem placuerit, a quocumque milite cingulum milicie valeant adhipisci, et feoda ac res nobiles a nobilibus et quibuscunque aliis acquirere et jam acquisitas ac eciam acquirendas retinere et possidere perpetuo, absque eo quod ea vel eas nunc vel futuro tempore, ignobilitatis occasione extra manum suam ponere vel alienare cogantur ; solvendo tamen nobis una vice dumtaxat financiam moderatam. Quocirca dilectis et fidelibus nostris gentibus compotorum nostrorum et thesaurariis, senescallo Pictavie ceterisque justiciariis et officiariis nostris, vel eorum locatenentibus, presentibus et futuris, et ipsorum cuilibet, prout ad eum pertinuerit, damus in mandatis quatinus nostris presentibus gracia et nobilitacione dictum Petrum Segaud et ejus posteros utriusque sexus, de legitimo matrimonio procreatos ac procreandos, uti et gaudere plenarie et pacifice faciant et permittant, omni impedimento cessante penitus et amoto. Quod ut firmum, etc. Nostro in aliis et alieno, etc. Datum in castro de Ruppis Trenchelion in Turonia, in mense aprilis anno Domini millesimo cccc° lix°, et regni nostri tricesimo septimo. [p. 114] Sic signatum : Per regem, domino de Montilio, Johanne

Hardoin, magistris Stephano Militis3 et Petro Doriole4 ac aliis presentibus. J. de La Loère. —Visa. Contentor. J.

Chaligaut.


1 L'anoblissement de Pierre Segaud nous fournit l'occasion de mettre en lumière deux personnalités poitevines de sa parenté, qui méritent à coup sûr d'être tirées de I'oubli, quoique leur existence se soit écoulée à peu près entièrement en dehors de leur patrie : Aimery Segaud, oncle paternel vraisemblablement de Pierre, et Jean Bretonneau, dit de Champdenier, oncle de sa femme. Le premier fut commandeur de Saint-Antoine de la Lande, non loin de Champdenier, on ne sait depuis quelle époque, mais certainement dès avant sa nomination à l'évêché de Belley, qui eut lieu au commencement de 1438. Il n'occupa pas longtemps ce siège, car dès le 28 novembre de cette même année, une bulle du pape Eugène IV le transféra à l'évêché de Mondovi en Piémont, par permutation avec Perceval de La Baume, originaire de Savoie. L'Italia sacra le qualifié ainsi qu'il suit : Aymericus Segaudus de Chevrelis, Lucionensis Gallus, ordinis Sancti Antonii et prseposilus Landensis, vir magni consilii et doctrinæ. Segaud assista au concile de Florence présidé par Eugène IV. Il s'attacha ensuite à la cause de l'antipape Félix V, duc de Savoie sous le nom d'Amédée VIII, que le concile de Bâle avait élevé sur le trône pontifical, et lui demeura fidèle jusqu'à ce que celui-ci, pour faciliter l'apaisement du schisme, eût renoncé volontairement à la tiare (1449). L'année suivante, l'évêque de Mondovi et Jacques de Valpergue furent médiateurs de la paix entre Louis Ier duc de Savoie, fils d'Amédée VIII, et François Sforza, duc de Milan. Aimery Segaud mourut chargé d'ans en 1470, et fut inhumé en l'église de Saint-Antoine-de-Viennois. (Ughelli, Italia sacra, t. IV, p. 1090 Gallia christiana, t. XV, col. 630.)

Quoique éloigné de son pays, Segaud n'avait pas renoncé à la commanderie de la Lande ; ce fut même pour sa vieillesse une cause de graves soucis et de tourments. Un compétiteur sans scrupule employa tous les moyens pour l'en déposséder. L'évêque dut soutenir, d'abord devant le sénéchal de Poitou, puis au Parlement de Paris, un long procès contre frère Pierre Faure, son adversaire, et les complices de celui-ci, et l'on ne sait comment il se termina. Les registres de la cour contiennent, entre le 1er septembre 1463 et le 1er avril 1466, les plaidoiries de cette affaire, de nombreux mandements, des arrêts interlocutoires et des appointements, des adjudications de défauts etc. ; mais on n'y trouve point l'arrêt définitif (il y a beaucoup de lacunes dans la collection des arrêts criminels). Toujours est-il que Segaud avait obtenu du sénéchal de Poitou une sentence provisionnelle portant que, pendant la durée du procès, il demeurerait en possession de Saint-Antoine de la Lande et en percevrait les fruits et revenus. Son adversaire s'étant pourvu au Parlement contre cette décision, il se vit débouté et condamné à l'amende pour fol appel. Mais au cours de son procès en appel, Pierre Faure, aidé de Mathurin Charron, Macé Bardon et Antoine Gautereau (aliàs Gauchereau), aggrava son cas, en s'emparant de force de la commanderie. Bien que Nicolas Prévost, procureur et représentant d'Aimery Segaud, leur montrât la sentence que celui-ci avait obtenue sur le possessoire et leur défendit de rien faire à son préjudice, ils dirigèrent l'attaque à la tête de vingt-cinq hommes d'armes qui rompirent la porte de l'église, au moment où l'on y chantait la grand'messe, s'y introduisirent avec Pierre Faure, qui au milieu du tumulte déclara en prendre possession ; ensuite ils pénétrèrent dans le cloître de la même façon, firent sauter Thuis de la chambre du commandeur et la mirent au pillage, emportant tout ce que bon leur sembla. Ils battirent « jusqu'à grande effusion de sang » les religieux qui étaient dans la commanderie et reconnaissaient l'autorité de Segaud, en firent sortir de force les commissaires chargés par la cour de l'administration de la communauté, et y demeurèrent en garnison pendant neuf semaines. En réparation de ces excès, Aimery Segaud demandait qu'une croix de pierre avec inscription relatant les sévices fût dressée devant la porte rompue, aux frais des coupables, qu'ils fussent condamnés à faire amende honorable, tête nue et en chemise, tenant à la main une torche de cire ardente, à restituer les biens qu'ils avaient pris, et à payer chacun deux mille livres d'amende. L'avocat de Pierre Faure et de ses complices nia tous les excès dont on les accusait, et déclara que les gens d'armes n'avaient pas été amenés par eux, qu'ils étaient logés auparavant dans le bourg de la Lande, et qu'ils n'entrèrent dans la commanderie que pour prendre les femmes que les religieux y entretenaient. Luillier répliqua pour l'évêque de Mondovi que, de l'aveu même des défendeurs, les gens de guerre avaient tenu garnison pendant neuf semaines dans la commanderie, et que par conséquent il ne pouvait s'agir de la simple opération dont ils parlaient, sans raison aucune d'ailleurs. Il requit une confrontation des coupables avec les témoins qui avaient été convoqués et dont l'on attendait incessamment l'arrivée. Les plaidoiries où sont exposés ces faits, sont du 9 février 1464 n. s. Le 1er mars suivant, on en trouve d'autres contre Guillaume Girault, substitut du procureur du roi à Parthenay, auquel Segaud reprochait d'avoir communiqué aux défendeurs les informations qu'il avait été chargé de faire contre eux, à sa requête.

Cependant Pierre Faure, qui se vantait de lasser la patience de son adversaire, avait saisi la curie romaine de sa réclamation. Le Parlement informé lui interdit de ne rien entreprendre au préjudice de l'appel pendant devant la cour. Malgré toutes les défenses, il se transporta à Rome, y fit citer Segaud et s'ingénia à l'accabler de vexations; entre autres il fit afficher sur les portes de la commanderie que l'évêque de Mondovi était excommunié. Faure ayant ainsi enfreint l'ordonnance royale interdisant à tous les ecclésiastiques de se rendre à Rome sans permission et d'y porter de l'argent pour obtenir des bulles de grâces expectatives, la cour, le 22 février 1465 n. s., adressa un mandement au bailli de Touraine, au sénéchal de Poitou, au conservateur des privilèges de l'Université de Poitiers et aux prévôts de Tours et de Poitiers, leur enjoignant de rechercher, saisir et mettre entre ses mains toutes les bulles, citations, monitions et censures obtenues ainsi à prix d'argent par ledit Faure et par l'intermédiaire de son oncle, Mathurin Faure, qui s'était fixé à Rome dans ce but, et de faire une enquête approfondie sur leur façon de procéder et sur leurs agissements, faisant en attendant défense expresse à Pierre Faure de faire usage desdites bulles. Celui-ci néanmoins les avait présentées à Guillaume Peyrochon, prieur du Bois-d'Alonne, qui n'hésita pas à les mettre ou à s'efforcer de les mettre à exécution, se rendant coupable de désobéissance et de rébellion. Le Parlement fît saisir le temporel du prieuré et ordonna à Peyrochon de comparaître en personne, par acte du 3 juillet 1465. Cependant les procédures continuaient contre Pierre Faure, qui se gardait bien de se rendre aux assignation. Le 10 juin de cette même année, il fut mis en défaut pour la cinquième fois au profit de Segaud, et ajourné-une fois de plus, sans pour cela cesser un instant de poursuivre son adversaire en cour de Rome. Etant parvenu, grâce à l'abbé de Fontaine-le-Comte, à mettre dans ses intérêts le cardinal d'Avignon, Alain de Coëtivy, il avait réussi à en obtenir la mise sous séquestre de la commanderie de la Lande. C'est un bien curieux exemple des conflits entre les juridictions royales et la curie romaine, en matière bénéficiale, qui furent si fréquents dans la seconde moitié du XVe siècle. Le Parlement adressa, le 1er avril 1466, un dernier mandement au sénéchal de Poitou, au bailli de Touraine et aux prévôts de Poitiers et de Tours, leur ordonnant de prendre au corps et d'amener à la Conciergerie Pierre Faure et Guillaume Peyrochon, et, s'ils ne pouvaient être trouvés, de les ajourner, à son de trompe et cri public en tous les lieux où ils avaient commis leurs excès et désobéissance, à comparaître en personne devant la cour, sous peine de bannissement du royaume et de confiscation, et d'être convaincus de toutes les rébellions dont ils étaient chargés, et en attendant de procéder à la saisie de tous leurs biens. (Voir Arch. nat., X1a 30, fol. 278 v°, 283, 354 v° ; X2* 31, fol. 23 v° ; X2a 32, aux dates des 20 décembre 1463, 7, 9 et 27 février, 1er et 5 mars, 10 et 26 avril et 2 juillet 1464 ; X2a 34, fol. 107 v°, 113 v°, 116 v° et 189 v°.)

2 Jean Bretonneau, que l'on trouve désigné aussi sous le nom de Jean de Champdeniers, est simplement mentionné dans la liste des commandeurs d'Isenheim ou Issenheim: « Johannes Bertonnelli, Pictavus, 1446 ». (Alsatia sacra par Grandidier, publ. par le P. lngold, 3 vol. in-8°, 1899, t. Il, p. 391.) Il entra en relations, deux ans avant cette date, avec le dauphin Louis, lors de l'expédition que ce prince dirigea en Suisse et en Allemagne, à la tête des routiers dont il voulait débarrasser le royaume, pour venir en aide au duc Sigismond d'Autriche. M. Tuetey a publié une lettre missive et deux très précieuses relations des événements qui s'accomplirent à cette époque, adressées aux bourgeois de Strasbourg par le commandeur de Saint-Antoine-de-Viennois d'Issenheim. Elles sont datées du 19 août, du 5 septembre et de novembre 1444, et contiennent des renseignements tellement précis sur les causes et les conséquences de l'expédition qu'il ne peut y avoir de doute sur la source et la sûreté de ses informations. (Les Ecorcheurs sous Charles VII, 1.1, p. 137 et suiv. ; t. II, p. 509 et suiv.) On sait d'ailleurs que Jean Bretonneau était le représentant accrédité du duc Sigismond. Le roi l'employa, douze ans plus tard, dans les négociations de l'alliance avec Ladislas, roi de Hongrie. « Au moment même où Tambassadeur du roi de Hongrie arrivait à Lyon, dit M. de Beaucourt, Charles VII mandait auprès de lui Jean de Champdeniers, commandeur d'Issenheim, qui résidait en Allemagne où il représentait le duc d'Autriche ; il l'interrogea secrètement sur la situation de Ladislas, l'étendue de ses Etats, les ressources dont il disposait. Peu de jours après (septembre 1457), rendant compte de son voyage au duc Sigismond, le commandeur lui faisait part des dispositions favorables à l'alliance qu'il avait rencontrées chez le roi et les seigneurs de sa cour. » L'année suivante, Charles VII ayant résolu d'intervenir comme médiateur entre l'empereur Frédéric III, son frère Albert et son cousin Sigismond, il donna mission à Jean, seigneur de Fénestrange, maréchal de Lorraine, et à Jean de Champdeniers, commandeur d'Issenheim, de se rendre en Allemagne et d'y parler à Frédéric et à Albert en faveur de Sigismond, dont les droits étaient méconnus. Ils étaient chargés aussi de régler d'autres questions importantes. Un rapport détaillé de Bretonneau sur la situation de l'Empire, adressé au dauphin, le 8 juin 1458 (Bibl. nat., ms. fr. 15537, fol. 165), donne à cet égard les plus curieux détails. Il préconisait la réconciliation du dauphin avec son père. (Hist. de Charles VII, par M. de Beaucourt, t. VI, p. 161, 199-202.)
3 Sur Jean Hardouin, trésorier de France, et Etienne Chevalier, maître des comptes, contrôleur des finances, etc., voir notre précédent volume, p. 177, note, et 334, note, et ci-dessous, n° MCCCXXXIX.
4 Pierre Doriole, chevalier, seigneur de Loiré en Aunis, originaire de la Rochelle, général des finances, maire de la Rochelle, conseiller maître à la Chambre des comptes de Paris, nommé chancelier de France le 26 juin 1472, destitué en mai 1483 et pourvu, le 23 septembre suivant, de la première présidence de la Chambre des comptes, décédé le 14 septembre 1485.