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MCCCXXIX

Rémission accordée, sous la réserve d'un emprisonnement de deux mois au pain et à l'eau, à Colas Godart, clerc de la trésorerie des guerres, réfugié en franchise dans l'église des Augustins de Poitiers, à la suite du meurtre dudit Saunier, dont il paraissait être le véritable auteur.

  • B AN JJ. 190, n° 18, fol. 10 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Colas Godart, jeune compaignon, chargé de jeune femme et de petiz enfans, contenant que, le lundi xxvme jour de fevrier, feste de saint Mathias, derrenière passée, environ dix heures devers le matin, ledit suppliant rencontra ung nommé Jehan Saugé, clerc du lieutenant de nostre seneschal de Poictou, devant l'ostel de Guillaume de Mons, barbier, en la rue qui va du Palais à la place Nostre Dame ; auquel suppliant ledit Saugé, après autres parolles qu'ilz eurent ensemble, lui demanda s'ilz yroient point ensembleement celle nuyt deux heures [p. 224] batre le pavé. Auquel icelui suppliant respondit qu'il en estoit content. Et ainsi qu'ilz parloient ensemble, survint ung nommé Hilairet Cosnac, auquel ledit Saugé dist : « Je parloye à Godart si nous yrions aujourd'uy batre le pavé. Il nous fault trouver tous au Palais, à deux heures après midi, pour faire l'assemblée et pour ordonner en quel lieu nous nous rendrons tous ensemble ». Et ledit Cosnac respondit qu'il en estoit contant ; et atant se departirent. Et icelui jour, heure de vespres, ledit suppliant trouva à la place Nostre Dame André Havet, son compaignon, lequel Havet lui dist que Colin Corgnou et Charlot Debutz estoient venuz ; lequel et ledit suppliant leur dist qu'ilz les alassent veoir, ce qu'ilz firent à l'Escu de France, là où ilz estoient logez ; auquel lieu ilz trouvèrent Charlot Debutz tant seulement, qui les fist boire, et ce fait, dist ausditz suppliant et Havet : « Me finerés vous d'une belle fille, vous qui estes de la ville » ? Et ledit suppliant fist responce : « Ne vous en soussiez, nous trouverons façon d'avoir quelque chose ». Et ce fait, icelui suppliant, acompaigné dudit Havet, se departit et en alant leur chemin vers Nostre Dame la Petite, trouvèrent ledit Hilairet Cosnac, et de là ledit suppliant et Havet avecques ledit Cosnac s'en alèrent à la maison du lieutenant veoir s'ilz trouveroient ledit Jehan Saugé, clerc dudit lieutenant ; et en alant, ledit Cosnac appella à la maison de maistre Estienne Jamin, pour parler à ung nommé Constantin, auquel il parla, et lui dist : « Viendras tu encores à nuyt ? » Ledit Constantin fist responce qu'il pensoit que non, pour ce qu'il ne povoit bouger de l'ostel. Et lors ledit Cosnac lui dist : « Tu y peuz bien venir ; car tu n'auras jà la fille aisnée ». Et après dist ledit Cosnac ausdiz suppliant et Havet qu'ilz alassent veoir s'ilz trouveroient ledit Jehan Saugé, clerc dudit lieutenant, et ce pendant il parleroit avecques ledit Constantin. Lesquelx suppliant et Havel furent à l'ostel dudit lieutenant, et là trouvèrent ledit Saugé, qui dist [p. 225] audit suppliant, en la presence dudit Havel : « Je te requier, ne faulx pas aujourd'uy de nuyt ». Et de rechief que ledit Saugé demanda audit Havet : « Et toy, viendras tu » ? et ledit Havet lui fist responce qu'il yroit, s'il povoit. Et ce fait, s'en partirent tous troys ensemble, et en venant vers la place Nostre Dame, trouvèrent lesdiz Cosnac et Constantin qui parloient ensemble, et tous ensemble se arrestèrent ; et demanda ledit suppliant audit Saugé, en la presence de tous les susdictz, qui seroit à l'armée ; et ledit Saugé lui respondit que les clers de la basouche et d'autres assez y seroient, Et emprès ce, ledit Saugé dist audit suppliant : « Je me rendré à ta maison », et atant se departirent tous ensemble et s'en alèrent en leurs maisons soupper ; et ala ledit Havet soupper avec ledit suppliant. Et après qu'ilz eurent souppé, lesdiz suppliant et Havet alèrent querir leur maistre, qui souppoit avecques maistre Jehan Chevredans, nostre procureur en la seneschaucée de Poictou ; et avoit ledit suppliant ses brigrandines soubz sa robe. Et en alant, trouvèrent ung nommé Mulatel, dit Longue Espée, sergent, avecques plusieurs autres armés et embastonnés devant l'ostel de Estienne Jugant ; lequel Longue Espée dist audit exposant ce qui s'ensuit : « Et ne viendras tu pas? Colas, va toy armer » ; et ledit suppliant lui dist : « Je yray tantost ». Et ce fait, se departirent, et alèrent lesdiz suppliant et Havet querir leur dit maistre comme dessus, lequel s'en estoit alé en son hostellerie au Cheval blanc ; et là lesdiz Havet et suppliant alèrent pour servir à leur dit maistre à son couchier. Et quant leur dit maistre fut couchié, ledit suppliant dist audit Havet : « Alons veoir si nous trouverons Saugé », et s'en alèrent tous seulz vers la place Nostre Dame, auquel lieu ilz trouvèrent Colin Corgnou, Charles Debutz et Jehan Desmier, hommes d'armes, qui jouoyent aux oblies soubz unghauvant ; lesquelx Corgnou, Debutz et Desmier demandèrent ausdiz Havet et suppliant où ilz aloient, et ilz leur [p. 226] firent responee qu'ilz alloient querir une fille amoureuse avecques les clers du Palais, et pour desroquer1 les escoliers, s'ilz les trouvoient. Et lors lesdiz Corgnou, Debutz et Desmier disdrent qu'ilz yroient avecques eulx, et lesdiz suppliant et Havet leur disdrent : « N'y venez pas, si vous n'avez habillemens, car vous pourriez estre bleciez ». Et tantost lesdiz Corgnou, Debutz et Desmier leur disdrent : « Il fault que vous nous en baillez ». Et lesdiz suppliant et Havet leur disdrent qu'ilz n'en avoient point, mais que Guillaume Pye en avoit bien, s'il leur en vouloit bailler. Et tous ensembleement alèrent à l'ostel dudit Pié et trouvèrent ledit Pye à sa porte ; auquel lesdiz Corgnou, Desmier et Debutz disdrent : « Cappitaine, il fault que vous nous baillez de vostre harnois; nous voulons aler à l'esbat, et si les escoliers nous trouvoient, ilz nous pourroient bien batre ». Et emprès ce, montèrent en la chambre dudit Pye et prindrent, oultre son gré et voulenté, unes curasses, deux brigandines, sallades, gantellez et deux ou troys javelines, pour lesdiz Corgnou, Desmier et Debutz, et pour leurs diz varletz chacun une salade et ungs ganteletz. Et ce fait, partirent tous ensemble de l'ostel dudit Pye et s'en allèrent devant la maison dudit lieutenant, cuidant trouver ledit Saugé, et passèrent oultre jusques au Pilory. Et la ledit suppliant se transporta jusques vers ung nommé Guillaume Michau, affin qu'il lui prestast ung baston ; lequel Michau lui presta, selon qu'il dit, une hache. Et ce fait, tous ensemble s'en alèrent jusques au Marchié Viel, et là print à son hostel une javeline, et ledit suppliant en bailla une autre audit Havet, et bailla ladicte hache à ung desdiz hommes d'armes ; et d'ilec se transportèrent tous ensemble vers Saint Hilaire de la Celle et d'ilec à Saint Supplicien, auquel lieu, une nommée la Rousse, femme [p. 227] amoureuse et mariée, fait sa résidence. Et ledit suppliant frappa deux ou troys cops du pié contre l'uys d'icelle, tellement qui le rompit et brisa. Et ce fait, ledit suppliant yssit hors dudit hostel avecques ledit Havet, et lesdiz Corgnou, Desmier et Debutz et leursdiz varletz entrèrent au dedans dudit hostel et envoyèrent le mary de ladite Rousse dehors ; et ce pendant firent leur plaisir de ladite Rousse, ainsi que depuis le disdrent audit suppliant lesditz Corgnou, Desmier et Debutz, mais ledit Havet et lui ne touchèrent en aucune façon à icelle Rousse, et au partir, tant le mary d'elle que eulx (sic) furent d'eulx contans; et atant s'en partirent tous ensemble, sans autre bruyt. Et d'illec tous ensemble s'en vindrent du long de la rue Saint Pierre devant la maison dudit maistre Jehan Chevredans, nostre procureur ; auquel lieu ledit suppliant passa devant la compaignie, en disant : « J'oy gens, laissez moy aller ; car si se sont les clercs du Palais, nous ne leur demanderons riens ». Et quant ilz furent au coing de Sernouze le chappellier, ilz rencontrèrent certaines gens armez et embastonnez jusques au nombre de six ou sept, entre lesquèlx ledit suppliant entendit ung nommé Archilaïs Jacques et ung nommé Mignot, ausquelx ledit suppliant dist : « Estes vous là, Archilaïs » ? Auquel ledit Archilaïs respondit oy, et lors ledit suppliant dist: « Tout ung, tout ung ». Et lors ledit Archilaïs demanda audit suppliant et à sesdiz compaignons : « Dont venez vous, Messieurs? » Auquel ledit suppliant fist responce : « Nous venons devers Saint Pierre, où nous n'avons riens trouvé ». Et lesdiz Archilaïs et Mignot disdrent : « Ne nous aussi » ; et en oultre dist ledit Archilaïs : « Avez vous point trouvé quatre de noz compaignons? » et lui qui parle leur respondit que non, et atant se departirent et disdrent adieu d'un cousté et d'autre. Et lesdiz Corgnou, Desmier, Debutz, Havet et leurs varletz s'en alèrent jusques davant l'ostel de l'Image Nostre Dame ou environ, et ledit suppliant demoura en la compaignie [p. 228] d'un des compaignons desdiz Archilaïs et Mignot davant la maison de Pierre le Pintier, duquel compaignon il n'a aucune congnoissance. Et tantost ledit suppliant et ledit compaignon, lequel il ne congnoist, se departirent, et subitement ledit suppliant oy ung cry jecté de la partie desdiz Archilaïs et Mignot, disans : « Vées cy gens, sus, sus ! » Et lors ledit suppliant tourna avecques Archilaïs et Mignot et leurs gens tout court, et entrèrent tous ensemble en la rue de Besuchet2 et ilec rencontrèrent en ladicte ruelle ung compaignon armé de brigandines et deux ou troys autres armez de harnoys blanc, cuidant que ce fussent gens qui leur voulsissent courir sus ; et lors crièrent : « Tuez, tuez, à mort, à mort ». Et lors s'entrebatirent, donnèrent et frappèrent de grans cops d'un costé et d'autre, en assaillant et deffendant, mais ne savoient sur qui, pour ce qu'il estoit nuyt et ne veoit on riens. En parfin l'un d'iceulx contre qui ilz frappoyent, qui estoit armé d'un harnois blanc fut frappé d'un cop d'estoc parmy la gorge ; et après lesdiz cops ainsi frapez, lesdiz compaignons se misdrent en fuite et l'un d'iceulx cria et dist : « Ha, je pers tout le sang » ; et ilec ledit suppliant oy dire que c'estoit ung nommé Saunier, qui estoit des clers dudit Palais, dont il fut très desplaisant, car il l'amoit très fort ; et s'en ala désarmer et puis après vint veoir ledit Saunier en la maison du barbier où on le mettoit à point, et vit que il avoit esté frappé en la gorge. Par quoy doubte, veu qu'il frappa deux ou troys cops d'estoc et qu'il trouva sa javeline senglant, que il frappa ledit cop. Duquel ledit Saunier ala, deux heures après ou environ, par la grant effusion de sang qu'il vuida, mauvais gouvernement ou autrement, de vie à trespas. A l'occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est mis en [p. 229] franchise en l'eglise des Augustins de Poictiers, dont il n'oseroit saillir, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, humblement requerant que, attendu ce que dit est et les bons services que ledit suppliant nous a faiz en la compaignie de nostre amé et feal trésorier de noz guerres, maistre Anthoine Raguier3, et fait encores chacun jour avecques l'un de ses clers et autrement, que ledit suppliant n'avoit aucune hayne ne malveillance audit Saunier, ains fut très desplaisant quant il sceut le dit Saunier avoir ainsi esté tué et mutilé, que ledit cas est advenu par fortune, etc., nous lui vueillons nostre dicte grace et misericorde impartir. Pour quoy nous, les choses dessus dictes considerées, voulans grace et misericorde preferer à rigueur de justice, audit Colas Godart avons quicté, remis et pardonné, etc., pourveu qu'il tiendra prison fermée deux moys, au pain et à l'eau. Si donnons en mandement, par ces presentes, à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou moys de mars l'an de grace mil cccc. cinquante et neuf, et de nostre règne le xxxviiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil., Rolant. — Visa. Contentor. Chaligaut.

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1 Desroquer, aliàs desrochier, avait la signification de renverser, culbuter, en parlant des personnes. (Cf. Godefroy, qui cite précisément ce passage, Dict. de l'anc. lang. Franç., v° Desrochier.)
2 Sans doute la rue où se trouvait l'hôtel habité par Jean Bésuchet, alors receveur ordinaire du roi en Poitou, sur lequel voy. ci-dessous une note biographique (n° MCCCXLII).
3 Antoine Raguier était déjà trésorier des guerres, le 30 mai 1441. Les fragments importants qui nous restent de ses comptes (celui de l'année 1441 est le quatrième dans l'ordre chronologique) sont fréquemment cités par les historiens du XVe siècle de Beaucourt dit que Raguier remplaça en 1428 Guillaume Ripault en qualité de receveur général de toutes les finances delà les rivières de Seine et Yonne, et qu'il eut lui-même pour successeur, le 25 juillet 1443, Etienne de Bonnay. (Histoire de Charles VII, t. III, p. 177, 179, 466, 467.) ll etait sans doute fils d'Hémon Raguier, mort avant le mois d'août 1423, qui avait été trésorier des guerres sous Charles VI. Antoine Raguier décéda en 1468 et exerça cette charge jusqu'à sa mort. Son fils aîné Jean, écuyer, sr de la Mothe, aussi trésorier des guerres au duché de Normandie, fut investi, de 1468 à 1480, de l'office de receveur général des finances de Normandie.