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MCCLXXII

Rémission accordée à Mathurin Chappeau, écuyer, de Jaunay, prisonnier à Poitiers comme complice du meurtre d'un homme de guerre, tué dans une mêlée par divers habitants de Jaunay, au préjudice desquels il avait commis divers excès, ainsi que deux de ses compagnons.

  • B AN JJ. 487, n° 208, fol. 110 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion des parens et amis charnelz de Mathurin Chappeau, escuier, demourant ou bourg de Jaunay1 près la ville de Poictiers, aagé de quarante ans ou environ, chargé de femme et de six petiz enfans, contenant que ledit Mathurin Chappeau dès son jeune aage s'est employé en nostre service et ses frères ou fait de la guerre contre noz ennemis anciens les Anglois, et encores par ung sien frère en nostre ordonnance, par lesquelz noz ennemis ledit Mathurin, estant en la compaignie du seigneur de Boussac ou païs de Beauvois en Beauvoisin2 et ailleurs ès frontières et marchès des Anglois, [p. 10] fut prins prisonnier par lesdiz Angloys, et son dit frère y a esté prins par neuf foiz ; à l'occasion desquelles prinses et rançons où ilz ont esté mis, et pour eulx entretenir et mettre sus pour le fait de la guerre, audit Mathurin et son dit frère a convenu vendre leur héritage qu'ilz avoient bel et de bonne revenue, et de present n'ont pas que à peine vaille dix livres de rente, dont ledit suppliant vit povrement. Et depuis certain temps ença ledit Mathurin s'est marié et a sa femme et six petiz enfans, dont il a grant charge, comme dit est, et est à present demourant ou bourc de Jaunay près de la ville de Poictiers, où il vit de ce petit d'eritage que lui et son dit frère ont, le mieulx qu'il peut. Et soit ainsi quele jour precedant la veille de saint Barnabé derrenierement passée, vindrent audit lieu de Jaunay troys compaignons de guerre qui se disoient estre à ung cappitaine qu'ilz nommoient Chambre3 [p. 11] ou autrement ; lesquelz trois compaignons estoient avec huit ou dix autres compaignons de guerre, qui estoient logiez les aucuns à Saint-Georges de Baillargereux (sic), les autres à ung petit village appellé Clain, qui sont assez près dudit lieu de Jaunay, et lesquelx compaignons de guerre ont fait de grans et innumerables maulx ou païs de Poictou et ailleurs ilec environ où ilz ont logié, et s'en aloient par le païs pillant et rançonnant, bastant gens et faisant autant de maulx ou plus que jamais on feist par le temps de la guerre, et se sont en plusieurs lieux efforcez de forcer femmes, et en ont forcé femmes en la Marche Basse, et mesmement ledit jour precedant ladicte veille, lesdiz trois compaignons qui ainsi estoient venuz oudit bourc de Jaunay furent chés ledit Mathurin Chappeau, où ilz trouvèrent sa femme seule avec ses enfans; à laquelle ilz se prindrent pour la vouloir forcer ; mais pour ce qu'elle se escria, ilec survindrent gens et la laissèrent. Mais non obstant, ilz emportèrent de sa maison ung quartier de mouton et un couvre chief que depuis ilz ne recouvrérent Et ce fait, iceulx compaignons alèrent devant le four bannier dudit bourc, qui estoit fermé, et parlèrent à ung nommé Tiffailleau, fournier, auquel ilz distrent que leur ouvrist ledit four. Lequel leur dist que non feroit il, qu'il y avoit du pain qui estoit aux povres gens dudit bourc, et que si ledit pain estoit perdu, qu'il n'auroit pas de quoy leur restituer ; et leur dist qu'ilz avoient assez pain et qu'il n'estoit point mestier qu'ilz entrassent oudit four. Lesquelz lui dirent et regnièrent Dieu qu'ilz romproient l'uys dudit four. Et ledit fournier leur dist qu'il s'en rapportoit à eulx et qu'il ne l'empescheroit pas ; et leur dist que ledit four estoit au cappitaine de Chasteleraut. Et pour ce lors ilz s'en alèrent à leur logys. Auquel logys ilz se vantèrent que le lendemain ilz occiroient ledit fournier. Et ledit lendemain, qui fut ladicte veille de saint Barnabé, lesdiz compaignons retournèrent, armez et [p. 12] habillez d'armes invasibles et leurs espées nues, oudit bourc et s'en alèrent chés ledit Tiffailleau et ilec rompirent les ponnes4 où l'en fait la buhée ou lessive, les escuelles de boys et les seilz de ladicte maison, et y firent plusieurs autres grans dommages, et non contens de ce, la femme dudit fournier, qui estoit en la dicte maison et se debatoit avec eulx, la prindrent à la gorge, la firent crier et frapper contre les murs de la teste et la frappèrent sur le braz telement que de long temps elle ne s'en est pu aidier. Et pour ce que une jeune femme, bruz de la dicte femme, qui estoit ensaincte, la voulut secourir, ilz se prindrent à elle et la batirent et lui passèrent une dague par plusieurs coups par entre les jambes et cuisses, croyans la frapper par le ventre, et lui firent plusieurs pertuis en sa robe et lui depessèrent et rompirent ung sien chapperon et le misdrent en plus de cent pièces ; par quoy firent ilec lesdites femmes grant cry. Auquel survindrent deux des enfans dudit Tiffailleau et ung nommé Morin dudit village, qui estoient et besoignoient assez près de ladicte maison, en une loge en laquelle ledit Tiffailleau a acoustumé besoigner en charpenterie, quant il en a à besoigner. Et incontinent que lesdiz compaignons les apperceurent, saillirent contre eulx les espées traites, dont lesdiz enfans et Morin eurent tele paour et fraieur qu'ilz s'en fouirent et lesdiz compaignons coururent après eulx. Et au bruit et conflict qui fut oudit village, ledit Mathurin Chappeau, qui estoit sur son lit en son hostel où il s'estoit dormy, et mis sa jacquette et sa chemise et tout nuz piez, saillit de sa maison en la rue, et en son chemin devant l'estable de ses beufx, trouva une fourche de fer, laquelle il print. Et quant il fut en la rue, il vit [p. 13] lesdiz compaignons de guerre, dont l'un estoit à cheval et les autres de piez, leurs espées nues, et l'un d'eulx avoit abatu ledit Morin soubz soy d'un cop d'espée qu'il avoit baillé sur la teste, et lui avoit fait une grant plaie dont sailloit grant effusion de sang ; et l'eussent tué se n'eussent esté autres qui survindrent ilec. Et quant ledit Mathurin fut arrivé à eulx, leur dist teles parolles ou semblables : « Messeigneurs, messeigneurs, ce n'est pas bien fait de batre les povres gens ». Et incontinent sans autre chose dire, l'un d'eulx nommé Jehan Biglier, natif du pays de Picardie, vint contre lui, sa dicte espée nue, disant teles parolles : « Villain, en parles tu ? tu en auras autant comme lui », et avec sa dicte espée le cuida frapper. Mais ledit Mathurin rabaty le coup, et en le revalant haussa sa fourche et bailla audit Jehan Biglier ung coup ou deux entre le coul et les espaules, dont il cheut à terre, sans lui faire aucune plaie ; et depuis ne le toucha plus. Et lors les diz enfans dudit Tiffailleau se ralièrent ensemble contre l'autre desdiz compaignons de guerre, et secoururent ledit Morin, lequel pour leur aider se releva et ilec batirent les diz compaignons de guerre telement qu'ilz l'abatirent à terre, et après le laissèrent, pour ce que ledit Chappeau et autres qui ilec estoient presens les gardèrent que ne le tuassent. Et après ce alèrent audit Jehan Biglier que ledit suppliant avoit frappé, auquel iceulx enfans et autres dudit village donnèrent plusieurs coups tant de pierres par le visage que de fourches et bastons. Et après ledit conflict, lesdiz compaignons de guerre dudit Jehan Biglier, qui ainsi avoit esté frappé, le misdrent à cheval et en le y mettant, on lui demanda s'il se vouloit confesser, et que ilec avoit ung chappellain, lequel dist que non, et se print à chanter une chançon qui est : « Dont venez vous, Janette, ma mie? », et après l'en emmenèrent à leur logys qui diste dudit lieu, où furent les choses dessus dictes faictes, de trois traiz d'arc ou environ, [p. 14] où, une heure et demie après ala de vie à trespassement, à l'occasion des diz coups que lui baillèrent lesdiz Tiffailleau et autres, ou par faulte de bon gouvernement. Et [quoi] que ledit Chappeau ne sache ne autres ne sauroient dire la verité qu'il soit mort du coup que lui bailla ledit Chappeau ou desdiz coups qui depuis lui furent baillez, comme dit est, ce non obstant ledit Mathurin Chappeau, à l'occasion dudit cas, a esté prins et constitue prisonnier ou lieu de Poictiers, où il est de present detenu, et se doubte que, à l'occasion de ce et qu'il estoit en la compaignie des dessus diz quant le cas advint, où il survint en la manière dessus dicte, l'on vueille contre lui proceder à aucune pugnicion corporelle ou à l'en mettre en aucune grosse amende, qui seroit bien piteable chose. Requerant que, attendu le cas tel qu'il est advenu, qu'il n'a frappé fors ainsi que dessus est dit, et que lesdiz Tiffailleau et autres le batirent depuis, et que ce que ledit suppliant a fait il l'a fait en soy deffendant et pour obvier que ledit Biglier ne le tuast, comme de ce faire et sans cause il estoit entalenté et s'efforçoit de faire, et que ledit Mathurin est homme bien famé et renommé, né et extrait de noble, non actaint ne convaincu d'aucun villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise sur celui impartir nosdictes grace et misericorde. Pourquoy nous, ces choses considerées, voulans en ceste partie misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit Mathurin Chappeau, suppliant, avons quicté, pardonné et remis, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Vienne, ou moys de novembre l'an de grace mil quatre cens cinquante six, et de nostre règne le xxxvme.

Par le roy, à la relacion du conseil. Rolant. — Visa. Contentor. Daniel.

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1 Il y avait en Poitou plusieurs familles nobles de ce nom. Celle qui était fixée à cette époque à Jaunay, et à laquelle appartenait Mathurin, est fort peu connue. MM. Beauchet-Filleau mentionnent seulement un Thomas Chapeau, paroissien de Jaunay, qui céda ses droits sur une maison près de Montierneuf à Jean Chapeau, habitant de Poitiers, le 22 janvier 1370. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. II, p. 238.)

2 L'événement rappelé ici paraît devoir se rapporter à une expédition relatée par Monstrelet, à la fin de 1431, ou dans les premiers mois de 1432. Après la campagne du sacre, Charles VII avait créé Jean de Brosse, sr de Boussac et de Saint-Sévère, son lieutenant général au delà des rivières de Seine, Marne et Somme, par lettres données à Jargeau, le 11 novembre 1430. A la fin de l'année suivante, on le trouve le plus souvent en résidence à Beauvais : « Item, en l'an dessus dit, le mareschal de Boussac, Pothon de Sainte-Treille et messire Loys de Waucourt et aulcuns autres capitaines tenans le parti du roy Charles, accompagnés de huit cens combatans ou environ, partirent de la ville de Beauvais, pour aler querir leur aventure et fourer le pays, envers Gournay en Normandie. » Cette entreprise venue à la connaissance du comte de Warwick, il assembla en grande diligence six cents hommes, se mit à leur tête et chevaucha en tirant de Gournay à Beauvais. Il surprit l'ennemi et avant que Boussac ait eu le temps de se préparer à la défense, il l'assaillit vigoureusement, le déconfit et mit sa petite armée en déroute. Huit ou dix hommes seulement furent tués, mais il y eut soixante prisonniers, parmi lesquels Waucourt et Saintrailles, et les autres avec le maréchal s'enfuirent à Beauvais et s'y enfermèrent. (Chronique de Monstrelet, édit. Douët d'Arcq, pour la Soc. de l'hist. de France, t. IV, p. 433.) C'est dans cette circonstance sans doute que Mathurin Chappeau tomba entre les mains des Anglais.

3 Il s'agit ou de Nicole Chambre (forme francisée de Chambers), fils du capitaine de la garde écossaise de Charles VII (cf. notre volume précédent, p. 366, note), ou, si, comme on le prétend, Nicole était mort en 1454, de quelqu'un de ses parents. On conserve une lettre de Catherine Chenin, veuve de Nicole Chambre, au roi Louis XI, datée de Villeneuve-la-Comtesse, le 15 août [1461 probablement], lui demandant des secours en souvenir de son mari, qui avait été compromis pour l'avoir servi du temps qu'il était dauphin et par suite avait subi de graves préjudices. Elle le priait aussi de l'autoriser à prêter hommage devant le sénéchal de Saintonge, pour les terres de Villeneuve-la-Comtesse, Champagne-Mouton et la Jarrie-Audouin, appartenant à elle et à ses enfants. (Bibl, nat., ms. fr. 20486, fol. 191.) Elle rendit son aveu pour Villeneuve-la-Comtesse, le 20 novembre 1461. (Arch nat., P 1145, fol. 142 et v°.)
4 Cuviers. Dans le Poitou on nomme encore aujourd'huiponne une sorte d'auge ronde en pierre ou en terre cuite, dont on se sert pour la lessive. (A. Theuriet,Le fils Maugars, p. 75, cité par F. Godefroy. Dict. de l'anc. langue française.)