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MCCLXXXV

Rémission octroyée à Jean Paynnot, de Beauvoir-sur-mer, et à sa femme, meurtriers de Guillaume, anglais pris à Castillon, devenu valet de Jean Loiset, de Beauvoir, contre lequel ils avaient été obligés de se défendre à la suite de remontrances qu'ils lui avaient adressées parce qu'il laissait paître dans leurs avoines les chevaux de son maître.

  • B AN JJ. 189, n° 157, fol. 73
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace, de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue Fumble supplicacion de Jehan Paynnot, filz de feu Nicolas Paynnot1 et de Marie Pouillète, sa femme, fille de feu Jehan Pouillet, demeuransà Beauvoir sur mer2, aagez de xviii. à xx. ans ou environ, contenant que, sept ans a ou environ, les diz supplians furent conjoings ensemble par mariage en ladicte ville de Beauvoir ou bas païs et conté de Poictou, duquel lieu ilz et leurs predecesseurs d'ancienneté sont natifs, lesquelz supplians demourèrent orphelins et en bas aage et pupillarité soubz le gouvernement de certains leurs tuteurs, après le décès de leurs pères et mères ; et pour ce que les diz supplians, ou temps de leurs mariages, estoient jeunes et n'avoient encores sens ne discrecion de tenir maison ne gouverner leurs [p. 49] heritaiges, Jaques Barbier, bourgeois dudit lieu de Beauvoir, prouchain parent et lignagier de ladicte Marie, suppliant, retira à luy et en sa maison lesdiz supplians ; avec lequel Barbier ilz ont demouré par aucun temps, durant lequel ilz se sont bien doucement gouvernez. Et puis deux ou trois ans ença, se sont lesdiz supplians mis à leurmesnaige et à tenir maison audit lieu de Beauvoir, où ilz se sont gouvernez bien et honnestement et conversé avec leurs voisins doulcement et paisiblement, sans avoir noise ne division à aucune personne, et jamais ne furent souspeçonné, actains ou convaincus d'aucun cas digne de reprehencion. Lesquelz supplians, à cause de ladicte Marie Pouillète, entre autres heritaiges qui leur compettent et appartiennent, sont seigneurs proprietaires d'une pièce de pré contenant quatre journaulx ou environ, nommé le Pré Gaultier, assis près ledit lieu de Beauvoir, ou fief et tenement, appellé la Mareschaucie, encloz ledit pré de fossez et fermant à une barrière ; lequel pré ledit Jehan Paynnot, suppliant, environ la feste de Chandeleur derrenière passée, loua à ung nommé Laurens Carbiret, cousturier dudit lieu de Beauvoir, pour ung an, et environ la feste saincte Katherine derrenière passée, ledit Jehan Paynnot, suppliant, pour avoir en l'année avenir de quoy nourrir son mesnaige, fist mettre et semer de l'orge sur les bossilz et levées qui sont à l'entour dudit pré. Et pour ce que les bestes chevalines d'un nommé Jehan Loyset, demourant audit lieu de Beauvoir, qu'il mettoit oudit pré et auquel Loyset, comme l'en dit, ledit Carbiret avoit loué et affermé ledit pré, durant le temps de sa ferme, et degastoient de jour en jour ledit orge, ledit suppliant requist plusieurs foiz ledit Loyset et autres gens de sa famille qu'il leur pleust retraire lesdictes bestes et gaiger qu'elles ne luy gastassent sondit orge ; dont ledit Loyset ne tint conte, mais bouta et fist bouter ses dictes bestes oudit pré, comme paravant, et ne les garda ne fist [p. 50] garder de gaster ledit orge qui a du tout esté mengé, gasté et perdu par lesdictes bestes, en quoy ledit suppliant a esté grandement endommaigé, et a ledit Loyset fait faire ce que dit est à l'occasion de certaines haynes par luy conceues sans cause à l'encontre desdiz supplians. Lesquelz supplians, le mardy d'après Noël, jour de saint Jehan l'Euvengeliste derrenier passé, alèrent disner en l'ostelde André Gauguin, distant dudit lieu de Beauvoir d'un quart de lieue ou environ, et après qu'ilz eurent disné et s'en vouloient retourner en leur maison, ledit Paynnot suppliant print en sa main une verge de fleau, non pensant à aucun mal, et en eulx retournant ilz passèrent par ledit pré, pour ce qu'il est près du chemin, et trouvèrent les bestes dudit Loyset qu'ilz gastoient ledit orge. Et lors ledit Paynnot suppliant se print à chasser lesdictes bestes et les amena jusques auprès de labarrière qui est à l'entrée dudit pré, à laquelle barrière survint ung nommé Guillaume, anglois et natif du païs d'Angleterre, lequel avoit esté prins à la journée de Castillon3 ou voyage de Gascongne, comme on dit, qui estoit varlet et serviteur dudit Loyset, et avoit demouré avec luy l'espace de cinq quartiers d'an ou environ ; et portoit ledit Guillaume une pale ferrée sur son espaule et une dague à sa [p. 51] sainture ; après lequel venoit une jeune fille de l'aage de vingt ans ou environ, chamberrière dudit Loyset. Auquel Guillaume ledit suppliant dist que les bestes de sondit maistre luy avoient fait grand dommaige en sondit orge et que c'estoit mal fait de les y mettre, et qu'il ouvrist ladicte barrière et les emmenast. Lequel Guillaume respondit en jurant Dieu et saint George qu'il neouvreroit point ladite barrière et que lesdites bestes demou[re-] roient pour pasturer oudit pré, et que sa maistresse, femme dudit Loyset, lui avoit commandé de les y mettre et tenir. Oye laquelle responce, ledit Jehan Paynnot suppliant ouvrit ladicte barrière, pour cuider mettre lesdictes bestes hors du pré. Mais incontinent ledit Guillaume, qui estoit fort et puissant de corps, de l'aage de trente six ans ou environ, leva ladicte paile ferrée et l'aproicha de la gorge dudit Jehan Paynnot suppliant, pour l'en vouloir frapper. Lequel Paynnot, voiant la malice et mauvais propos dudit anglois, se tira arrière et de ladicte verge de fleau qu'il tenoist en sa main, destourna le cop dudit anglois, qui non contant de ce et en perseverant en sa malice et mauvaise voulenté, releva ladicte paile et en frappa ledit Jehan Paynnot suppliant sur la teste, tellement qu'il luy fist cheoir à terre ses chappeau et bonnet, et à l'occasion dudit coup fut ledit Paynnot comme estourdy ; et lors laissa ledit anglois ladicte paile, laquelle ledit Jehan Paynnot suppliant print pour empescher que ledit anglois ne le blessast et frappast d'icelle. Et ce voyant ledit anglois, il tira sa dague et d'icelle s'efforça frapper ledit Paynnot par la poictrine pour le murtrir et tuer, et l'eust murtry de fait, se ne fust que ledit suppliant se desmarcha, et néanmoins le frappa ledit anglois de la dicte dague sur le bras dextre et persa la menche de sa robe. Lequel Paynnot suppliant, qui cuidoit estre très enormement blecié, pour resister à la fureur dudit anglois, qui tousjours le poursuivoit, tenant ladicte dague [p. 52] en sa main, print son chappeau à sa main senestre et s'en targea pour doubte que ledit anglois ne le tuast et murtrist, et à sa main dextre tira ung petit cousteau de Prasgue qu'il avoit pendu à sa sainture, duquel cousteau ledit suppliant, en soy deffendant, frappa ledit anglois par la poictrine et luy entra dedens le corps. Mais ce non obstant ledit anglois, en perseverant en sa mauvaise voulenté, ne laissa point de tousjours poursuir ledit Paynnot, jusques [à ce que] ladicte Marie, femme dudit Paynnot suppliant, voyant le dangier en quoy estoit sondit mary d'estre tué, se vint mettre entre luy et ledit anglois, lequel anglois elle print et le arresta, et lors il luy aproicha sadicte dague du ventre pour la cuider ferrer, mais elle se escria en disant audit anglois qu'il ne la frappast point, et que s'il la frappoit, elle le feroit pendre. Et à ceste cause se escouy ledit anglois, pour soy eschapper des mains de ladicte Marie suppliant, et la fist reculer et tumber à ung genoil, à laquelle cheute elle descira et rompit la chemise dudit anglois, et lors se escreva la playe qui avoit esté faicte par ledit Paynnot suppliant audit anglois, lequel incontinent estuya sa dague et leva ladicte paile qu'il avoit laissée cheoir en terre et s'en ala audit lieu de Beauvoir, en donnant grans menasses ausdiz supplians. Lesquelz, voyans ledit cop ainsi advenu et le sang qui yssoit de ladicte playe, eurent grant desplaisance et encores ont de present dudit cas et debat. Et quant ledit anglois fut audit lieu de Beauvoir, il se fist, comme l'en dit, charmer par ung franc archier demourant audit lieu de Beauvoir et laissa sadicte playe, sans soy faire aucunement penser ne abiller, au moins par personne experte à ce; mais print ung barbier qui est viel et ancien, non congnoissant en telz besongnes, et par faulte de gouvernement et d'estre apareillé comme il appartenoit, est ledit anglois, unze jours après ladicte blessure, alé de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas, [p. 53] lesdiz supplians se sont absentez du païs, et ont esté leurs biens prins et saisiz par Ja justice de nostre très cher et amé cousin le conte d'Angolesme, seigneur dudit lieu de Beauvoir4, et n'oseroient iceulx supplians jamais retourner au païs, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu ce que dit est, etc., il nous plaise leur impartir icelles. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, ausdiz supplians oudit cas avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, aux seneschaulx de Poictou et de Xantonge et gouverneur de la Rochelle, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois de janvier l'an de grace mil cccc. cinquante sept, et de nostre règne le xxxvie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Briçonnet5. — Visa. Contentor. J. Du Ban.

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1 Nous avons publié dans notre t. VIII, p. 290 et suiv., des lettres de rémission en faveur de Thibaut Paynnot, écuyer, demeurant en l'île de Magné. On trouve aussi vers la même époque une famille de ce nom établie à Boismé et aux environs, dont Guillaume Paynot, meunier de la Rénelière, possessionné à la Maurière et propriétaire d'une maison à Boismé. (Actes du 28 décembre 1473 et du 23 juillet 1477; Archives du château de la Barre, par A. Richard, t. II, p. 346, 347.) Il est probable que ces personnages et les Paynnot de Beauvoirsur-mer n'avaient de commun que le nom.
2 Trois ans après la date de ces lettres, Emery Gautier, curé de Beauvoir-sur-mer, et Nicolas son frère, portèrent plainte au Parlement contre plusieurs habitants de cette localité qui les avaient assaillis dans leur maison, avaient brisé les portes et les fenêtres, leur avaient jeté des pierres, etc., pour se venger de ce. que ledit Emery Gautier leur avait intenté un procès. (Mandement d'enquête du 15 septembre 1461, X2a 30, fol. 88.)
3 La «journée » de Castillon (Dordogne), 17 juillet 1453, décida du sort de la Guyenne. L'armée française avait entrepris le siège de cette place et les opérations en étaient dirigées par Jean Bureau, Joachim Rouault et le comte de Penthièvre. Les forces réunies devant la ville s'élevaient à environ 1800 lances avec un corps defrancsarchers; elles étaient sous les ordres de l'amiral de Bueil, du grand maître Chabannes et des maréchaux de Lohéac et de Jalognes. Talbot, pressé par les habitants de Bordeaux, se décida, après quelque hésitation, à se porter au secours des assiégés II livra bataille aux Français qui s'étaient retranchés dans un vaste camp, à une demi-lieue de . la place, entre la Dordogne et la Lidoire. Elle fut désastreuse pour les Anglais Talbot et son fils furent tués et leur armée, réduite de moitié (elle avait perdu 4.000 hommes), s'enfuit en désordre. Castillon capitula le 20 juillet, L'armée française marcha aussitôt sur Saint-Emilion et sur Libourne, qui ouvrirent leurs portes. La campagne se termina par l'occupation de Bordeaux, 10 octobre. (De Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. V, p. 271-277.)
4 Jean comte d'Angoulême, fils puîné de Louis de France, duc d'Orléans, et de Valentine de Milan, né le 26 juin 1404, resta prisonnier en Angleterre, comme otage de son frère, de 1412 à 1444, et ne prit possession de son comté qu'en l'année 1445. Il mourut au château de Cognac, le 30 avril 1467. Dans son contrat de mariage avec Marguerite de Rohan, seconde fille d'Alain IX, vicomte de Rohan, et de Marie de Bretagne, contrat qui porte la date du 31 août 1449, le comte d'Angoulême promit à sa future épouse, pour son douaire, la somme de neuf mille écus d'or vieux de soixante-quatre au marc, avec l'usufruit pendant vingt ans des terres de Beauvoir-sur-mer et de l'île d'Yeu, ladite rente rachetable au cours de ces vingt ans moyennant la somme de quarante mille écus d'or. (Orig., Arch. nat., P. 14031, pièce n° VI.) On verra par des lettres de décembre 1465, publiées ci-dessous, que Jean d'Angoulême avait d'autres possessions en Poitou. A la mort du comte Jean, son fils aîné, Charles, qui épousa plus tard (1484) Louise de Savoie, et fut père du roi François était âgé de sept ans seulement et fut placé, ainsi que ses sœurs, sous la tutelle de leur mère, qui vivait encore en 1496. Marguerite de Rohan, à peine veuve, voulut imposer sur les habitants de Beauvoir-sur-mer une taxé de 200 livres par an, et fit saisir les biens de ceux qui refusaient le paiement. Ceux-ci protestèrent et firent assigner la comtesse douairière au Parlement, qui, par mandement du 19 novembre 1467, prescrivit une enquête. (Arch. nat., X2a 36, fol. 51 v°.) La justice s'exerçait à Beauvoir, au nom du comte d'Angoulême, par un sénéchal dont les sentences étaient portées en appel au Parlement de Paris. (Acte du 12 décembre 1463, X2a 32.)
5 Jean Briçonnet, sr de Varennes, originaire de Tours, fils de Jean et de Jeanne Belleteau, fut secrétaire du roi, puis receveur général des finances de Languedoïl, à la place de Pierre Jobert, par lettres datées d'Orléans le 14 décembre 1466. (Bibl. nat., ms. fr, 20685, fol. 401.) Il avait été commis à la régie de la régale de Tours en 1443 et au paiement des ouvrages du château de Langeais, en 1465 et 1467. Briçonnet fut le premier maire institué à Tours, fit rebâtir l'église de Saint-Clément de cette ville, représenta le bailliage de Touraine aux Etats généraux de 1484, mourut le 30 octobre 1493, et fut enterré, avec ses père et mère, en l'église Sainte-Croix de Tours, suivant le désir qu'il en avait exprimé dans ses testaments de 1471 et 1491. (Le P. Anselme, Hist. généal., t VI, p. 428.)