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MCCCIV

Rémission accordée à Jean Dousset, sergent du roi à Poitiers, qui avait frappé mortellement Jean Michau, franc-archer, parce que celui-ci s'opposait par la force à l'accomplissement d'un exploit de justice dont l'exécution était confiée audit Dousset, contre l'abbaye de la Colombe.

  • B AN JJ. 188, n° 62, fol. 31 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Jehan Dousset1, nostre sergent, demourant[p. 115] rant en nostre ville de Poictiers, contenant que certain procès en matière de nouvelleté fut ja pieça meu et intenté pardevant vous2, à Poictiers, entre deux parties contendans l'abbaye de la Coulumpne3, assise en nostre dit païs de Poictou, lequel procès par appel a esté devolu en nostre court de Parlement et encores y est pendant, et pour ce que l'un desdiz contendans tenoit gens de guerre en ladicte [p. 116] abbaye, qui est ung peu fortiffiée, pour empescher que ladicte abbaye et fruiz d'icelle ne feussent sequestrezet mis en nostre main, par le moien du fournissement de complaintes l'autre contendant obtint plusieurs lettres à vous addreçans et au prevost de Poictiers, par lesquelles vous estoit mandé, et aussi audit prevost et à chascun de vous, fournir ladicte complainte et mettre ladicte abbaye en nostre main, nonobstant opposicions et appellacions quelconques, et en ce faire par manière que feussions entie- [p. 117] rement obey, et des rebelles et desobeissans prendre au corps jusques à certain nombre et les mener prisonniers, soubz seure garde, en nostre dicte court de Parlement, comme tout ce et autres choses l'en dit plus à plain apparoir par nosdictes lettres. Pour lesquelles mettre à execucion, nostredit prevost, acompaigné dudit suppliant et autres noz sergens, se transportèrent ou mois d'octobre derrenier passé audit lieu de la Coulumpne et trouvèrent par informacion qu'il y avoit en ladicte abbaye plusieurs gens de guerre, tant de noz frans archiers que autres, et qu'ilz ne obeyroient point à nosdictes lettres ; mais ce non obstant ledit prevost, acompaigné des dessusdiz, se transporta par devant ladicte abbaye, et par vertu desdictes lettres fist commandement de par nous ausdiz gens de guerre qu'ilz obeissent et meissent ladicte abbaye en nostre main, selon la teneur de nosdictes lettres, dont ilz ne vouldrent riens faire. Et à ceste cause et moyennant l'informacion sur ce faicte, ledit prevost, en executant nosdictes lettres, delibera en prendre ou faire prendre au corps jusques au nombre qui luy estoit mandé par icelles. Et pour ce que ledit suppliant advisa ung compaignon franc archier, nommé Jehan Michau, qui avoit une arbaleste et estoit yssu hors ladicte abbaye et se tenoit aux foussez et douhes d'icelle, en monstrant qu'il se vouloit deffendre, ledit suppliant se addreça à luy et mist les mains en luy de par nous, en disant qu'il le feroit nostre prisonnier, et tantost ledit franc archier tira ung grant cousteau qu'il avoit, duquel il frappa ledit suppliant sur la main dextre, tellement qu'il luy eoppa presque tout le bras et luy fist une playe ou deux, parle moien de laquelle il est perdus dudit bras à jamais. Et lors ledit suppliant, voyant que ledit franc archier s'efforçoit de le tuer, qui fut chault et esmeu, volant garder nostre auctorité, à la main senestre tira sa dague et d'icelle frappa ledit Michau, franc archier, par les joues et luy fist seulement une playe, par le moien [p. 118] de laquelle ou autrement, par mauvais gouvernement, on veult dire que ledit Jehan Michau, franc archier, ala de vie à trespassement. Et doubte ledit suppliant que à ceste cause on voulsist proceder contre luy à la prinse de sa personne, et que nostre procureur et la vefve dudit feu Jehan Michau l'en vueillent mettre en procès et tendre à pugnicion corporelle ou autres grosses amendes, et à privacion de son office, qui de raison ne se devroit faire, attendu le cas ainsi advenu ; et pour ce nous a humblement fait supplier et requerir que, attendu ce que dit est, que ce qu'il a fait a esté en officiant, que ledit Jehan Michau ne devoit desobeir, qu il fut agresseur, par quoy de raison estoit leu (sic) et permis audit suppliant de soy deffendre, qu'il ne l'a pas fait par malveillance ne d'aguet apensé, mais par chaleur et en soy deffendant, nous luy vueillons sur ce pourveoir de noz grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., audit Jehan Dousset ou cas dessusdit avons quicté, remis et pardonné, etc., satisfacion faicte à partie civilement tant seulement, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois d'avril l'an de grace mil cccc. cinquante neuf, et de nostre règne le xxxviie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Daniel. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Jean Dousset, aliàs Doucet, exerçait encore les mêmes fonctions de sergent du roi à Poitiers l'an 1467, comme on le voit par deux mandements du Parlement, l'un du 4, l'autre du 16 mars de cette année. Ayant fait, en vertu de son office, divers exploits et exécutions contre l'official et autres officiers de l'évêque de Poitiers, il avait encouru leurs rancunes et subi leurs vexations. Ainsi, le jour de Pâques 1466, Dousset assistant à la messe à Saint-Germain, sa paroisse, le curé refusa publiquement de lui donner la communion et déclara qu'il ne l'y admettrait que s'il en avait congé des officiers de l'évêque. Dousset se rendit alors, avec Yves Simon, chanoine de l'église cathédrale, en l'hôtel épiscopal, où ils trouvèrent Michel Groleau, Jean Tapault et Jean Petit, qui reconnurent hautement avoir interdit de le recevoir à la communion, parce qu'il était excommunié, ayant commis un sacrilège en saisissant en pleine église les bulles de messire Jean Pelaud. Dousset leur ayant remontré qu'il n'avait agi que par ordre de la cour, il lui fut répondu que la cour avait gravement manqué à ses devoirs en donnant cet ordre, et lui en l'exécutant. Les officiers de l'évêque s'étaient en outre vantés de le faire inhumer en terre profane, s'il venait à mourir. On approchait de Pâques, et Dousset, redoutant la répétition delà même scène scandaleuse, avait adressé requête à la cour afin quelle fît défense à ses persécuteurs de recommencer. Le mandement du 4 mars ordonné au sénéchal de Poitou et aux enquêteurs audit pays de faire information sur ce fait et de renvoyer close et scellée a Paris. Celui du 16 mars prescrit aux mêmes :1° de faire défense à l'official, à Michel Groleau et à Me Jean Petit et autres de ne rien entreprendre ou innover au préjudice du procès pendant au Parlement, au sujet desdites exécutions ; 2° de s'enquérir des graves excès dont ils s'étaient rendus coupables à l'égard dudit Dousset. (Arch. nat., X2a 34, fol. 301 v°, 302.)

2 Il s'agit sans doute du sénéchal de Poitou, à qui les lettres sont adressées.

3 L'abbaye de la Colombe (Columpna, puis Colomba), commune de Tilly, canton de Belâbre (Indre), était (fille de Preuilly en Brie, de l'ordre de Cîteaux, et avait été fondée, en 1146, dans les domaines du vicomte de Brosse. Anciennement du diocèse de Bourges, puis de celui de Limoges, elle faisait partie de la sénéchaussée de Poitou. Ses principaux bienfaiteurs furent les seigneurs de La Trémoïlle, par lesquels elle fut restaurée et très largement dotée, et qui avaient leur sépulture dans une chapelle de l'église, dite des La Trémoïlle. La liste des abbés qui se trouve dans le Gallia christiana donne simplement pour cette époque : « Petrus II, 1454 et 1455 ; Philippus II de Lapha, ab anno 1456 ad 1489», sans rien de plus. (Tome II, col. 640.) Les deux personnages qui se disputaient la possession de l'abbaye de la Colombe et qui avaient interjeté appel du sénéchal de Poitou au Parlement, comme il est dit ici, étaient, d'une part, Jean Brachet, licencié en décret, protonotaire du Saint-Siège, appelant, et d'autre part, Philippe de La Fa. Le premier prétendait que Pierre Troillon, précédent abbé de la Colombe, avait occupé ce siège pacifiquement pendant dix ans, puis l'avait résigné entre les mains du légat du Saint-Siège, à son profit, et que le légat la lui avait baillée en commende, qu'il en avait pris possession à ce titre, et en avait joui longtemps. La Fa ayant entrepris de le troubler dans sa légitime possession, Brachet, en qualité d'étudiant en l'Université d'Orléans, avait obtenu des lettres ordonnant que le litige serait soumis au conservateur des privilèges de ladite Université. Néanmoins Philippe de La Fa le fit assigner devant le sénéchal de Poitou, et sous ce prétexte Jean Audoyn, sergent royal, voulut mettre l'abbaye en la main du roi, exécution dont ledit Brachet releva appel. Puis celui-ci avait obtenu du roi des lettres en vertu desquelles le garde du sceau royal à Limoges, après constat de la possession exercée par ledit Brachet, avait fait surseoir à l'exécution et attribué à celui-ci la jouissance de l'abbaye. Son adversaire n'avait point appelé de cette décision. Toutefois Jean Vaillant, autre sergent, vint à son tour pour mettre l'abbaye sous séquestre, et Brachet interjeta de nouveau appel de cet exploit.

Philippe de La Fa, de son côté, disait que Pierre Troillon, en raison de certains grands crimes et délits par lui commis, avait été cité pardevant l'abbé de Citeaux, son chef d'ordre, à qui la connaissance et la correction desdits faits appartenaient. Déclaré coupable, il fut dépouillé de sa dignité abbatiale et condamné à l'amende. L'abbaye étant ainsi vacante, le père abbé de Cîteaux en pourvut La Fa, du consentement du convent de l'abbaye et du chapitre général de tout l'ordre. Le légat, tenu dans l'ignorance de ce qui s'était passé, donna en effet l'abbaye de la Colombe en commende à Brachet, mais contre tout droit. Celui-ci, pour en prendre possession, la fit assiéger par trois cents hommes armés, et il contraignit par la violence les moines à lui en ouvrir les portes. Une fois dans la place, il y prit et emporta tout ce qu'il voulut. C'est pourquoi La Fa l'avait fait assigner devant le sénéchal de Poitou. Depuis, les deux prétendants avaient décidé de s'en remettre à certains arbitres et de terminer leur débat à l'amiable. Mais Brachet refusant de sortir de l'abbaye, comme il le devait, en attendant la sentence, La Fa s'était fait délivrer des lettres en vertu desquelles Audoyn d'abord, puis Vaillant, avaient saisi l'abbaye au nom du roi, nommé des commissaires pour en administrer les revenus, et fait défenses aux parties de se pourvoir ailleurs que devant le sénéchal de Poitou. Pendant ce temps, Brachet restait toujours à la Colombe avec ses hommes de guerre, et, avec son principal complice, nommé Huguet Ambasmare, il s'y livra à divers autres excès sur lesquels une enquête fut ordonnée. C'est alors que des arrestations furent prescrites et que se produisit le . meurtre, pour lequel Jean Dousset obtint la présente rémission. Brachet et Ambasmare furent ajournés l'un et l'autre au Parlement, pour répondre de ces faits criminels. Par arrêt du 9 juin 1459, la cour déclara Jean Brachet mal fondé en sa cause d'appel, approuva les exécutions des deux sergents et, en conséquence, enjoignit à l'appelant d'évacuer les lieux et de les rétablir en l'état où ils étaient, quand il s'en était emparé. De plus et en attendant la fin du procès, elle commit Philippe de La Fa au gouvernement de l'abbaye, moyennant qu'il rendrait compte à justice de son administration. Elle renvoya les parties devant le sénéchal, au siège de Poitiers, leur donnant jour au 15 juillet suivant, pour juger de la cause de nouvelleté et des excès commis par Brachet et ses complices, et condamnant ceux-ci aux dépens de l'appel. (Arch. nat.,X1a 88, fol. 63, et X1a 1484, fol. 52 v°.) L'affaire n'était pas terminée en mars 1460. A cette date, Brachet fut de nouveau condamné aux dépens par la cour sur un point de procédure (X1a 1484, fol. 101 v°). Finalement Philippe de La Fa demeura en possession de l'abbaye de la Colombe, à la tête de laquelle il était encore en 1489, comme le dit la Gallia christiana.