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MCCCV

Rémission accordée à Lucas et Pierre Rateau et à leurs femmes, coupables du meurtre de Pierre Baron, lequel, à la suite de discussions d'intérêt qu'ils avaient eues ensemble, les avait provoqués et injuriés et s'était livré à des voies de fait contre la femme de Lucas Rateau.

  • B AN JJ. 188, n° 76, fol. 36 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble [p. 119] supplicacion de Lucas Rateau et Ysabeau Romaige, sa femme, et Pierre Rateau, povres gens de labour, chargiez de petiz enfans, contenant que feuz Guillaume Romaige et Huguete Andrie, père et mère de ladicte Ysabeau et de Pernelle, sa seur, femme dudit Pierre, furent conjoinctz par mariage, pendant et durant lequel ledit feu Romaige ala de vie à trespassement, survivant à luy ladicte Huguete ; laquelle aucun temps après convola à secondes nopces avecques Pierre Baron, du païs de Xaintonge. Depuis la consummacion duquel mariage, plusieurs debatz, questions et controuverses se sont meues entre lesdiz supplians, d'une part, et ledit Baron, d'autre, pour raison des partaiges et divisions des biens meubles et immeubles demourez du décès dudit feu Romaige, en quoy ledit Baron, qui estoit homme de perverse condicion, impetueux et plain de sa voulenté, a par diverses foiz desnyé ausdiz supplians leurs droiz èsdiz biens, et en ce faisant, leur a donné plusieurs grans menaces, disant qu'il les tueroit et qu'ilz ne mourroient jamais d'autres mains que des siennes. A l'occasion desquelles menasses, iceulx supplians, doubtans sa fureur, en ont esté souventes foiz espoventez, tellement qu'ilz en ont fouy et delaissié sa compaignie. Paravant ou pendant lesquelz debatz et questions, iceulx supplians prindrent à service, pour garder leur bestail, Jehan Romaige, aagié de douze ans ou environ, frère desdictes femmes, seurs. Pour lequel service icelluy Baron, le septiesme jour de ce present mois d'avril1, vint devers lesdiz supplians et tout impetueusement leur demanda le salaire dudit Jehan Romaige ; sur quoy iceulx supplians et Baron eurent plusieurs grosses parolles et injurieuses l'un contre l'autre, tellement que ledit Baron qui, comme dit est, estoit tout esmeu et hors de bon propos, [p. 120] tira ung cousteau neuf qu'il avoit pendu à sa sainture, et le print en l'une de ses mains et en l'autre une pierre, et jura la couronne de Dieu qu'il les tueroit tous quatre tous platz, et qu'ilz ne mourroient d'autres mains que des siennes; et non content de ce, perseverant en sa malice, appella ladicte Ysabeau paillarde et luy dist, en la presence de sondit mary, plusieurs autres injures et villennies qui grandement touchoient l'onneur et estat de sa personne et de sondit mary ; de quoy ladicte Ysabeau qui d'icelles se sentoit pure et innocent, le desmenty seulement, en hayne de quoy ledit Baron gecta ladicte pierre, qu'il tenoit en l'une de ses mains, contre ladicte Ysabeau, tellement que, s'elle n'eust obvié audit coup, il l'eust grandement endommaigié en sa personne. Et lors ledit Lucas, mary d'elle, desplaisant desdictes injures que ledit Baron avoit dictes et proferées à sadicte femme, et que ce néanmoins il l'avoit voulu frapper, luy dist qu'il s'en alast de ladicte place et il feroit que saige. Mais ce non obstant ledit Baron insista tousjours de vouloir tuer lesdiz supplians, en jurant derechef la couronne Dieu qu'il les tueroit tous quatre, et les poursuivant pour ce faire, ledit cousteau en sadicte main. Laquelle Pernelle, veant sa fureur et son obstinacion en sa malice et mauvais propos, doubtant que inconvenient n'en avenist ausdiz supplians ou à aucuns d'eulx, bailla audit Pierre Rateau, son mary, ung baston de la grosseur d'un pal de charrette ou environ, disant à sondit mary qu'il se deffendist, ou autrement il estoit mort ; lequel Pierre à ceste cause desplaisant et comme de chaulde colle, sans y penser, print ledit baston et en donna ung seul coup sur le col dudit Baron, du costé senestre. Après lequel coup icelluy Baron s'adreça contre ledit Lucas et le voult derechief blecer dudit cousteau qu'il avoit ; et lors ledit Lucas, voyant tousjours qu'il continuoit en sa malice, le frappa par la poictrine d'un baston qu'il tenoit, tellement qu'il tumba à terre, et après qu'il [p. 121] fut tumbé, lesdictes femmes, doubtans qu'il se relevast et leur portast dommaige, le frappèrent sur les jambes quatre ou cinq coups de bastons, et ce fait, lesdiz supplians le laissèrent en la place et s'en alèrent. Et après ledit Baron fut emmené en sa maison par sa femme et une sienne fille, et six jours après ou environ, à l'occasion desdiz coups, il est alé de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas, iceulx supplians, doubtans rigueur de justice, se sont absentez du païs et n'y oseroient jamais retourner, converser ne repairer, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, comme ilz dient, humblement requerans que, attendu ce que dit est, que ledit deffunct fut agresseur, etc., il nous plaise leur impartir icelles. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, ausdiz supplians ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers et officiers, etc. Donné à Chinon, ou mois de may l'an de grace mil cccc. cinquante neuf, et de nostre règne le xxxviie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. de Puigirault. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Sic, bien que la rémission soit datée de mai. La supplique, dont les termes sont évidemment reproduits dans ce texte, avait sans doute été présentée au mois d'avril.