Pierre de Navarre, comte de Mortain
Pierre de Navarre, comte de Mortain, né à Évreux en 1366, était fils de Charles le Mauvais, roi de Navarre, et de Jeanne de France, et cousin germain de Charles VI. Membre du grand conseil dès l'année 1394, il se trouva mêlé aux [fol. 304] dissensions intestines qui agitèrent si profondément les premières années du xve siècle. Lorsque éclatèrent les hostilités entre les Armagnacs et les Bourguignons, il fit partie de l'expédition dirigée contre le duc de Berry et accompagna son souverain au siège de Bourges, en juin 1412; des chaleurs excessives dont l'action dévorante se fit sentir pendant plus de trois mois occasionnèrent une épidémie qui décima l'armée royale; Pierre de Navarre, atteint de cette maladie pestilentielle, succomba à Nevers après la levée du siège. Son corps fut transporté à Paris, et le vendredi 5 août, le Parlement se rendit à l'abbaye de Saint-Antoine pour recevoir la dépouille mortelle de ce prince, qui fut inhumé aux Chartreux, où il avait fondé quatre cellules en 1396. On lui éleva un tombeau de marbre blanc et noir dans une arcade du sanctuaire du côté de l'épître, avec la représentation de sa femme couchée à ses côtés, mais les restes de celle-ci n'y furent jamais déposés (Arch. nat., X1A 1479, fol. 210 r°). Le comte de Mortain avait épousé, au mois d'août de l'année 1411 Catherine d'Alençon, fille de Pierre II, comte d'Alençon, laquelle se remaria le 1er octobre 1413 au duc Louis de Bavière; il ne laissa aucune descendance légitime, mais seulement un fils naturel, Pierre de Navarre, dit de Peralta connétable de Navarre. Sa fortune fut divisée en trois parts; le premier tiers, comprenant les domaines de Carentan, constitua le domaine de Catherine d'Alençon; les deux autres tiers, composés des seigneuries de Tracy, Vassy, Monci, Condé-sur-Noireau, avec l'hôtel de Mortain, furent attribués à Charles, roi de Navarre, son frère et héritier. Le comte de Mortain possédait encore à Paris, rue de la Vieille-Tixeranderie, un bel hôtel que lui avait légué la reine Blanche, veuve de Philippe de Valois; cet immeuble, dont le roi de Navarre s'était enigaré après le décès de son frère, fut vendu judiciairement dans les premiers mois de 1415 et adjugé pour la somme de 4,500 livres Tournois au maître des comptes, Alexandre le Boursier. Le produit de cette vente servit à solder partie d'une créance de 7,100 livres Tournois, due à Étienne de la Charité, notaire et secrétaire du roi (Accords des 22 décembre 1413, 14 décembre 1414 et 2 mai 1415, Arch. nat., X1C, 106, 108, 109).
- S, Bibliothèque nationale de France, Moreau 1161, fol. 604 r°.
A tous ceulx qui ces presentes lettres verront et orront, Pierre, Glz du roy de Navarre, conte de Mortaing, salut. Savoir faisons que nous, attendant et considerant qu'il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine que l'eure d'icelle, non voulant trespasser de cest siecle intestat, avons fait et ordené, faisons et ordenons nostre testament ou ordenance de derreniere voulenté, sain de pensee et d'entendement, supposé que nous soions agrevé de maladie, en revocant tous autres testamens que faiz avons ou temps passé, ou nom [fol. 305] du Pere, et du Filz et du benoist saint Esperit, en la maniere qui s'ensuit :
- Premierement, nous recommandons nostre ame, quant du corps departira, a Dieu nostre createur, a la glorieuse Vierge Marie sa mere, a monseigneur saint Jehan Baptiste, saint Pierre, saint Pol et tous apostres, a monseigneur saint Denis et a tous sains et a toutes sainctes, et eslisons nostre sepulture en l'eglise Nostre Dame de Vauvert lez Paris, ou est l'ordre des Chartreux; et du luminaire et autres choses qui sont convenables a faire le jour de nostre obit et de noz obseques nous voulons estre faiz par l'ordenance de nos executeurs cy apres escrips et nommez, par lesquelx nous volons premierement, et avant que rien soit ailleurs distribué de noz biens meubles, heritages et conquestz, nos debtes dont il apperra par legitime preuve estre paiees et contentees, et aussi nos torfaiz estre amendez.
- Item, toutes nos gens et serviteurs, qui nous ont servi et servent, nous voulons estre paiez et agreez de tout ce qui leur est deu de gages, et sur le demourant de nos biens que don leur soit fait par nos diz executeurs, eu regart au long temps qu'ilz nous ont et auront servi, et a la charge et diligence qu'ilz auront eu en nos besongnes et aux proufiz que nous leur avons fait, selon le regart et ordenance de nos diz executeurs, et le demourant de noz biens meubles, heritages et conquestz nous voulons estre exploitié et donné aux povres de Nostre Seigneur, a povres eglises et povres religieux, et a povres mesnagiers, et convertis en piteuses aumosnes selon l'ordenance d'iceulx nos executeurs.
- Aussi voulons nous et ordenons nostre tres chiere et amee compaigne estre assignee et contentee de son douaire, jusques a trois mil livres Tournois de revenues par an, sur toutes nos terres de Mortaing, de Normandie, de Champaigne et de Brye, en suppliant monseigneur le roy et monseigneur le roy de Navarre, nostre frere, en tant comme chascun puet toucher, que ainsi le vueillent faire, et consentir tous les droiz que nostre dicte compaigne puet et doit avoir avec nous, lesquelx nous lui voulons estre saufs et reservez. Et en oultre voulons [fol. 306] qu'elle ait et lui appartiengne tous les biens qu'elle a apportez avec nous, c'est assavoir, robes, joyaulx et autres teles choses.
Et pour toutes les choses contenues et escriptes en nostre present testament ou derreniere voulenté enteriner et acomplir nous avons fait, ordené etestabli, faisons, ordenons et establissons nos executeurs et feaulx commissaires, nostre dicte compaigne; seule et pour le tout, et avecques elle, pour lui estre en aide, conseillier et conforter, enteriner et acomplir nostre dicte ordenance, nos amez et feaulx chambellans, les sires de Goy et de Caigny, nostre conseillier, maistre Etienne de la Charité, nostre chapellain, messire Pierre Corsin; ausquelx nos executeurs, lesquelx ou aucuns d'eulx ne pourront en ce aucune chose besongner sans nostre dicte compaigne, nous avons donné et donnons povoir et auctorité de enteriner, faire, acomplir et mettre a execucion nostre dicte presente ordenance, testament ou derreniere voulenté.
Et es mains d'iceulx nos executeurs qui en ce vouldront vaquer et entendre, en especial es mains de nostre dicte compaigne, nous avons mis et bailiié, mettons et baillons par ces presentes la possession et saisine de tous noz biens meubles, heritages et conquestz, et des maintenant les en avons saisiz et vestuz, saisissons et vestons, et les soubzmettons a la jurisdicion de la cour souveraine de Parlement de mon dit seigneur le roy a Paris, pour iceulx estre venduz et adenerez par nos diz executeurs, en la maniere dessus dicte, pour nostre ditpresent testament et ordenance acomplir et enteriner, en revocant, comme dit est dessus, tous autres testamens par nous faiz avant la date de ces presentes, et nous voulons que nostre present testament vaille et tiengne par la meilleur forme et maniere que valoir pourra et devra.
Et afin qu'il soit a tous notoire que ce vient de nostre voulenté et ordenance, et queplusgrant foy y soit adjoustee, nous avons signé et fait seeller ce present testament de nostre seel de secret en l'absence du grant, en presence de nos amez et feaulx chambellans, les sires de Goy et de Caigny, Jacob Loron, maistre de nostre hostel, [fol. 307] messire Pierre Corsin, nostre chapellain et aumosnier, Adenet de Villers, nostre eschançon, et Jehan du Puis, nostre varlet de chambre.
Donné a Sancerre le xxviiie jour de juillet, l'an mil cccc et douze.
Ainsi signé: Pierre.