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MCCLXXXVIII

Rémission accordée à Guillaume et à Pierre Lorteau, demeurant à la Cailletière, paroisse des Brouzils, coupables du meurtre d'un nommé Jean Pichet, leur ennemi, qui les avait dépossédés induement de la ferme de la Noue-Baron, et lésés dans leurs intérêts en d'autres circonstances.

  • B AN JJ. 187, n° 174, fol. 90
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Guillaume et Pierre Lorteau, povres gens de labour, demourans ou villaige de la Cailletère en la parroisse de Broussilz en la chastellenie de Montagu, contenant que les diz supplians, qui sont povres gens, demourans ensemble en une communauté oudit village de la Cailletère, chargé de femme et de plusieurs petiz enffens, pour faire et entretenir leur labeur, quatre ans a ou environ, louèrent et affer- [p. 61] mèrent d'ung nommé Collas Aimart1 et Marguerite Baronne, sa femme, une pièce de heritaige, vulgaument appellé la Nohe Baron, à huit années après ensuivant, pour certaine ferme ou cense que les diz suplians estoient tenuz faire chacun an ausdiz Admiraud et sa femme, durant les huit années. Et combien que les diz suplians, au moyen et tiltre de la dicte ferme, à eulx faicte dudit heritaige en ayent depuis joy et usé et de ses appartenances, et ayent encores povoir d'en joyr par autres quatre années, selon ladicte cense, ce non obstant ung nommé Hurtault Dupré, demourant à l'Erbergement Entier, en hayne de ce que les diz suplians avoient prins ou fait prendre de ses bestes qu'ilz trouvoyent ès appartenances dudit heritaige, se trahit par devers les accenseurs ou bailleurs d'icelluy heritaige, et d'eulx le print et afferma au desceu des diz supplians, ce qui ne se povoit faire, obstant ladite première acsense ou ferme faicte ausdiz supplians, comme dit est. Lequel heritaige, comme on dit, le dit Hurtaut depuis bailla à feu Jehan Pichet, en mariaige faisant de sa fille avec le filz dudit Pichet. et l'avoit prins ledit Pichet pour nuyre et grever les diz supplians, pour ce que dès longtemps il avoit conceu grant hayne contre eulx à l'occasion du tenement de la Varinère, pour raison duquel iceluy Pichet qui estoit ung grant plaideur, fort noiseux et rioteux, et lequel avoit esté homme de guerre, et souvantes fois avoit debat avecques plusieurs gens de bien, a fait convenir et adjourner lesdiz supplians et mis en involucions de procès en diverses instances en la court des grans assises de Montagu, et non content de ce, pour celle cause a autresfois très fort batu ledit Guillaume Lorteau et feu Maurice Laurteau, frère et nepveu des diz suplians, dont il gagea [p. 62] l'admende, et pour ces moyens se conceut entre eulx plus grant hayne et malvueillance que devant. Et il soit [ainsi] que, le samedi xxviiie jour de janvier dernièrement passé, les diz suplians qui ignoroient le droit que ledit Hurtaut et Pichet se disoient avoir audit lieu et heritaige de la Nobe, conclurent entre eulx, et aussi ledit Guillaume, leur nepveu, de aler querir de la ramehée audit lieu de la Nohe, pour mettre sur leurs fèves et choux qu'ilz avoient plantez, naguères avoit. Et de fait ledit Guillaume, leur nepveu, s'en ala le premier audit lieu, pour en copper et dist audit Pierre supliant, son oncle, qu'il amenast après luy les beufz et la charrette pour emmener ladite ramée audit lieu de la Cailletère. Et de fait ledit Guillaume print une coignée et une sarpe et s'en alla le premier, et ledit Pierre alla lier les beufz et les atela à la charrette, et print une fourche à deux doiz pour decloure le pas, affin d'entrer en ladite Nohe Baron et se rendi avecques les diz beufz et charrette audit Guillaume, son nepveu, qui estoit oudit heritaige et illec esbranchoit ung chesne; et ledit Pierre supliant monta en la dite charrette pour faire la charge de la ramée, et ledit Guillaume, aussi supliant, commança à luy en bailler branches et reymes pour mettre en ladicte charette, et, en cliargant, ledit Pierre regarda vers ledit villaige de la Cailletière et vit ledit Jehan Pichet venir contre eulx impetueusement, et avoit en sa main une fourche de fer à deux doiz et une grant serpe à sa sainture. Et lors ledit Pierre dist audit Guillaume, son nepveu : « Voyés là Pichet qui vient vers nous, bien eschauffé. Je vous prie qu'il n'y ait point de noise ne de tabust, car il vouldroit mieulx laisser tout et nous en aller ». Lequel Guillaume luy respondit : « Ne vous chaut, laissez le venir ». Et quant ledit Pichet arriva à eulx, il leur dist très rigoureusement qu'ilz ne meneroient point ladite ramée et qu'elle estoit sienne, parce qu'ilz l'avoient prinse en son heritaige ; auquel ledit [p. 63] Pierre respondit bien gracieusement qu'ilz tenoient ladite Nohe, où ilz avoient prins ladite ramée, de Colas Amyaud et de sa femme, à ferme de huit ans, dont n'estoient encores passés que quatre, et que à ceste cause, ilz l'avoient encor à tenir autres quatre années. Et avec ce luy dist ledit Pierre que, se de leur debat il vouloit croire gens de bien, que au regart de luy et dudit Guillaume ilz en estoient d'accord, sans sur ce avoir aucun debat. Mais ledit Pichet très rigoureusement et despiteusement luy respondi qu'il ne digneroit, et sans autre chose dire, vint contre ledit Pierre avec ladicte fourche de fer qu'il avoit et luy vint mettre les deux doiz contre la poictrine, mais ledit Pierre se trahit bien tost, en disant audit Pichet: « Ne me frappé point, car se tu me frappés, tu t'en repentiras ». Et adonc icelluy Pichet vint derrechief contre luy avec ladicte fourche et luy cuida passer d'estoce parmy le ventre, maiz il se retrahit encores en arrière, et ledit Guillaume estant illec près, [voyant] que ledit Pichet poursuivoit ainsi de près ledit Pierre, son oncle, pour le tuer ou mutiller, dist audit Pichet : « Ne frappé point mon oncle, car je ne te veulx point frapper ». Et iceluy Pichet lui respondi en jurant le sang Nostre Seigneur : « Et luy avec ! » et de fait en ce disant ledit Pichet frappa ledit Guillaume de ladicte fourche par la poictrine et luy persa la robe et le double jacques à la chair. Lequel Guillaume, [tenant] en sa main ladicte fourche ferrée que avoit aportée son dit oncle, soy voyant avoir esté ainsi frappé et oultragé par ledit Pichet, le frappa de la dicte fourche sur la teste ung cop tellement qu'il cheut à terre, et depuis, tantost après, pour ledit cop il ala de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas, doubtant rigueur de justice, les diz suplians se sont absentez du pays, ouquel ilz n'oseroient jamaiz converser, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu ce que dit est, qu'ilz sont povres simples gens, chargez de femmes et de plu- [p. 64] sieurs petiz enffans, que ledit deffunct fut agresseur, etc., il nous plaise leur impartir icelles. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, ausdiz suplians avons oudit cas remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de mars l'an de grace mil cccc. cinquante sept , et de nostre règne le xxxvime.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. G. de Thoucy. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Sic. Le même personnage est nommé plus loin Admiraud et ailleurs encore Amyaud. La seconde leçon parait la plus vraisemblable ; car on trouve des Admirault dans la région, à cette époque.