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MCCCXXII

Rémission octroyée à Pierre Champtegain, laboureur, coupable du meurtre de son frère Michaut, dans une rixe provoquée par celui-ci.

  • B AN JJ. 188, n° 177, foi. 88 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Pierre Champtegain, povre homme de labour, chargié de femme grosse, preste à gesir, et de quatre petiz enfans, contenant que ledit suppliant et feu Michau Champtegain, son frère en son vivant, estoient demourans ensemble, et durant le temps qu'ilz ont demouré ensemble, ilz ont tousjours vesqu paisiblement et jusques à ce que, en mestives dernières passées a eu ung an, ledit suppliant et Micheau son frère, estans avec leurs gens en une pièce de froment à eulx appartenant, en laquelle ilz mestivoient et cueilloient le blé estant en icelle, environ heure de prime, se departirent et delaissèrent de leur besongne et ouvraige, pour aler desjeuner ou champ mesmes ouquel ilz mestivoient et cueilloient ledit blé ou froment. Et ainsi qu'ilz vouloient commencer à desjeuner et prendre leur refection, icelluy feu Michau, frère dudit suppliant, apparceut et vit leurs beufz qui vouloient aler en dommaige; lequel feu Michau dist au filz dudit suppliant, nommé Estienne, telles parolles en effect et substance : « Estienne, pren du pain et va virer les beufz ! » Lequel Estienne respondi et dist audit feu Michau, son oncle, telles parolles : « Je n'ay cure d'y aler, car vous ne faictes que dire que je ne vueil riens faire ». Et lors ledit suppliant dist à sondit feu frère que lesdiz beufz n'estoient point encores en dommaige, car il n'y avoit guères qu'il les avoit veuz. Lequel sondit feu frère respondit mal gracieusement que de par tous les dyables il ne seroit pas temps de y aler, [p. 193] quant ilz seroient en dommaige. Et ce voyant, la femme dudit suppliant dist gracieusement audit feu Michau, son serourge, telles parolles en substance : « En verité, vous avez une mauvaise grace, car quant voz gens vueillent prendre leur refection, vous ne les faites que noiser et tancer». Lequel feu Michau respondi à sadicte serourge bien malgracieusement et dit : « Forz vostre fievre cartaine ! » Et lors icelluy suppliant luy respondi : « Qui te puissent tenir ! — Mais toy », dist ledit feu Michau audit suppliant, «  car, par le sang Dieu, il yra ». Lequel suppliant respondi que sondit filz n'y entreroit point, et icelluy feu Michau dist que si feroit. Et adonc icelluy suppliant respondi que non feroit, en disant à son dit feu frère : « Va te chier, bavart ! » Et en eulx contralyant ilec de parolles injurieuses, ledit suppliant print une plaine borroche de prunes estant ilec, laquelle il gecta à rencontre de sondit feu frère, le cuidant atteindre par la teste, mais il ne le frappa point ; et voiant qu'il ne le peut attaindre ne frapper de ladite borroche, estant tousjours esmeu à cause desdictes parolles à luy dictes par sondit feu frère, print une courge à porter eaue ilec estant, de laquelle il poussa sondit feu frère par le cousté, lequel sondit feu frère vint à rencontre dudit suppliant, ung cousteau ou poing, et le cuida frapper d'icelluy, et de fait l'eust frappé, se ledit suppliant ne se fust reculé arrière, et pour doubte qu'il ne le frappast dudit cousteau, commença icelluy suppliant à fouyr à l'environ d'un aubespin. Mais ce non obstant, sondit feu frère le poursuyvoit tousjours, en le cuidant frapper d'icelluy cousteau, et tellement poursuyvi icelluy deffunct ledit suppliant qu'il luy osta sadicte courge, delaquelle il luy donna si grant coup parmy la teste que il le coucha à terre, duquel coup yssit grant effusion de sang et tellement que icelluy suppliant demoura à terre par long temps, sans se povoir relever. Et après ce que ledit suppliant fut relevé, esmeu et eschauffé de ce que sondit feu frère l'avoit [p. 194] ainsi villainement navré et mutilé, s'en vint vers sondit feu frère, et eulx contralyèrent encores de plusieurs parolles injurieuses. Voyant que sondit feu frère tenoit encores icelle courge en sa main, s'en ala querir son cousteau, lequel il avoit gecté à terre, quant il print ladicte courge, pour frapper sondit feu frère, et estant eschauffé et esmeu de ce que sondit feu frère l'avoit ainsi navré et injurié, comme dit est, frappa sondit feu frère en chaulde cole dudit cousteau ung coup seulement par la poictrine, le cuidant frapper ou bras ; à l'occasion duquel, tantost après il ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs, ouquel il n'oseroit jamais retourner ne repairer, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties ; requerans humblement que, etc., il nous plaise luy impartir icelles. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant, avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois de septembre l'an de grace mil cccc. cinquante neuf, et de nostre règne le xxxviie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. Gautier. — Visa. Contentor. Chaligaut.