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MCCCLIV

Rémission octroyée à Florent Morin, de Sainte-Gemme, soupçonné d'avoir causé la mort de Mathurin Barbier, son voisin, parce que, dans une altercation, il l'avait frappé d'un bâton à la tête.

  • B AN JJ. 198, n° 150, fol. 131
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et à venir, nous avoir receue l'umble supplicacion des parens et amys charnelz de Florant Morin, chargié de deux petiz enfans orphelins, demourant ou bourg Sainte Gemme en Poictou ou diocèse de Luçon, contenant que, le vendredi devant la feste monsieur saint Vincent, ou moys de janvier derrenier passé eut ung an, ledit suppliant se trouva près l'ostel d'un sien voisin oudit lieu de Sainte Gemme, nommé Mathelin Barbier, ouquel hostel il avoit acoustumé aler, venir et converser paisiblement comme chex son bon voisin, et illecques desjuna et incontinant après s'en yssy hors dudit hostel, pour aler là ou bon lui sembleroit, comme il avoit acoustumé ; et tantost emprès lui souvint qu'il avoit oublié ung bissac chex ledit Mathelin, lequel il retourna querir, et en entrant oudit hostel et à l'entrée d'icellui, il ouy ledit Mathelin Barbier [p. 319] reprochant à sa femme qu'elle avoit esté icellui matin chez ledit Florant Morin, suppliant, dont il n'estoit riens ; mais oudit debat ou reproche dudit Mathelin et de saclicte femme, dist ledit Mathelin plusieurs parolles portant haynne etjalousie contre ledit suppliant. Auquel suppliant ladicte femme dist, au retour qu'il vint querirsondit bissac, tantost qu'elle le vit : « Ne venez plus ceans, car je suis batue par depit de vous ». A la quelle sondit mary va respondre : « Tu mens », et elle lui respondy : « Vrayement, si suys. » Après lesquelles parolles, ledit suppliant va dire : « Vrayement si, vous l'avez batue par despit de moy. Car je l'ay bien ouy dès l'uvs, quant je suis entré seans». Et lors ledit mary dist : « Et bien, veez la par despit de vous », en frappant sadicte femme du pié par my le costé, elle toute estandue en la place par devant lui. Et incontinant ledit suppliant s'avança pour defendre ladicte femme, pour l'oster du dangier de sondit mary, et les vouloit separer pour les rapaiser ; car il veoit ledit Mathelin vilainnement esmeu pour oustragier sadicte femme, et le rebouta doulcement. Et lors ledit Mathelin va dire : « Vous en faites de belles, quant je n'y suis pas ». Auquel ledit suppliant, desplaisant desdictes paroles, va dire : « Vrayement, tu mens » ; et ledit Mathelin respondi : « Vrayement, mais toy, et va ou deable ». Puis icellui suppliant va repplicquer : «Mais toy », tant que plusieurs foiz se retournèrent comme bien courroucez, en disant l'un à l'autre : « Mais toy, mais toy, mais toy ». Pour occasion desquelles parolles, ledit Mathelin s'efforça de vouloir rebatre sadicte femme ; et lors ledit suppliant, fort esmeu et courroucé que par despit de luy et desdictes paroles il vouloit rebatre sadicte femme en sa presence, print emprès lui ung batoer à bute qu'il trouva devant lui sur une huche, et de chaude colle frappa deux cops sur la teste dudit Mathelin, qui se efforçoit de vouloir frapper ledit suppliant. Après lesquelz cops, ladicte femme se mist entre deux pour les deppartir, [p. 320] et ledit suppliant s'en yssi hors dudit hostel. Et incontinant icelle dicte femme s'en ala plaindre et denoncer à justice que ledit suppliant avoit batu son mary ; après laquelle denonciacion, ladicte femme s'en retourna à sondit hostel par devers sondit mary, lequel elle fist abiller de sa teste, laquelle il avoit blecée, comme dit est. Et tantost après, en ladicte heure et jour, ala et vint ledit Mathelin par sondit hostel, et beut et menga comme il avoit acoustumé de faire paravant, jusques au dimanche ensuivant qu'il se senty fort malade quoy que soit de l'estomac, lequel il avoit de long temps grevé et debilité, et aussi des autres parties de son corps, dont il se senty fort alteré et vesqui jusques au mercredi ensuivant. Pendant lequel temps, ledit Mathelin disposa et ordonna son fait et derrenière voulenté, tout ainsi que bon lui sembla ; et entre autres choses lui desplaisoit très fort, à la fin de ses jours, d'avoir eu suspeçon contre sadicte femme ne aussi d'avoir injurié ledit suppliant. Pour laquelle foiblesse et autres maladies, et par deffault de gouvernement ou autrement, il est alé de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs et n'y oseroit jamais retourner, converser ne demourer, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, humblement requerant iceulx, etc. Pour quoy nous, consideré ce que dit est, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit suppliant, en faveur de ses diz petiz enfans, le cas dessusdit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces dictes presentes, au seneschal de Poictou [ou à son lieutenant] à son siège de Fontenoy le Conte, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de janvier l'an de grace mil iiiie lxi, et de nostre règne le premier.

Ainsi signé : Par le conseil. Authouis. — Visa. Contentor. Valengelier.