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Rémission octroyée aux frères Perrin et Jean Guynaut, fermiers de la Gengaudière, paroisse de Saint-Laurent-de-Jourde, que Geoffroy Taveau, chevalier, seigneur de Mortemer et de Lussac, avait baillée à perpétuité à leur père et à ses descendants, lesdits frères coupables du meurtre d'Etienne Michelet, ancien homme de guerre, qui ne cessait de les troubler dans la possession et l'exploitation de cette terre.
- B AN JJ. 190, n° 24, fol. 14
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Perrin Guynaut et Jehan Guynaut, frères, contenant que, dix neuf ans a ou environ, Geoffroy Taveau, chevalier, seigneur de Mortemer et de Lussac1 [p. 231] bailla et afferma à perpetuité, pour lui et les siens, à feu Huguet Guinaut, père desdiz supplians, et aux siens et qui cause auroient de lui, le lieu et appartenances de la Jangaudière, assis et situé en la parroisse de Jorde, feussent [p. 232] lesdictes choses, maisons, fondeis, murailles, vergiers, terres labourées et non labourées, prez, bois, pasturaiges et autres choses, qui antiennement furent à ung nommé Jehan de Jorde, pour certain pris et ferme de blé et d'argent[p. 233] , que ledit feu Guinault promist et s'obliga lui en rendre et paier par chacun an. Et en ce faisant, fut dit, parlé et accordé entre lesdictes parties, entre autres choses, que ledit feu Guinault seroit tenu labourer certaine quantité [p. 234] de boys, tant qu'il le pourroit faire ou faire faire, et desdictes terres ou boys estans en blez seroit tenu, ledit Guenant, preneur, rendre et paier audit chevalier et aux siens ruitiesme gerbe des fruiz croissans en icelles, et des appartenances et appendances duquel lieu de la Jongaudière, qui estoit partie en labouraige et partie en boys, vulgaument nommée et appellée la Riougeroye, autrement le champ de la Charbonnière, contenant douze provenderées de terre ou environ, tenant, d'une part, au chemin par lequel l'en va de Gençay à Lussac, et, d'autre part, le long d'un terrier en tirant au Cormenier des Laurencelles et d'illec tirant au Chaigne Jehan Grant; laquelle pièce de terre ou la plus part d'icelle ledit feu Huguet Guinaut, durant sa vie, et lesdiz supplians ses enfans, en sa compaignie, essartèrent de grans boys et bruyères où elle estoit de paravant, et icelle mirent et convertirent en labouraige, et depuis ont icelle tenue, possidée et explectée, joy et usé, prins, levé et parceu les fruiz paisiblement, en payant l'uitiesme gerbe audit chevalier, mesmement en joy et usa ledit feu Huguet Guinault jusques à son décès et trespassement, qui peut avoir esté cinq ou six ans ou environ, et après son trespassement, lesdiz supplians en ont semblablement joy et usé,sans aucun contredit ou empeschement , jusques quatre ansa ou environ, que ung nommé Estienne Michelet dist et declaira ausdiz supplians que ladicte pièce de terre dessus declairée lui appartenoit. Et soubz umbre de ce, ledit Estienne Michelet, qui avoit esté homme de guerre, leur donna de grans menasses de les batre et envillanner, s'ilz exploictoient ne labouroient plus ladicte pièce de terre. Lesquelx supplians, qui sont pouvres simples gens de labour, furent en grant doubte et crainte des menasses que leur donnoit ledit Estienne Michelet à l'occasion de ladicte pièce de terre, et à ceste cause se tirèrent par devers ledit Geoffroy Taveau, en lui remonstrant qu'ilz avoient essarté et mis en labouraige la pluspart de ladicte [p. 235] pièce de terre, soubz umbre de la baillète qu'il avoit faicte audit feu Huguet Guinaut, leur père, où ilz avoient mis et exposé leurs corps, frayé et despendu bien largement du leur, et que ledit Estienne Michelet la leur vouloit oster et tollir ; et pou de temps après, firent adjourner ledit Estienne Michelet par devant lui. Lequel Geffroy Taveau deffendit audit Michelet qu'il ne feust si hardy ne osé de soy mettre ou intruyre en ladicte pièce de terre, et qu'il en laissast joir et user lesdiz supplians, sans leur faire aucun empeschement en la joissance d'icelle. Et depuis a ledit Estienne Michelet esté absent du païs l'espace de troys ans ou environ, durant lequel temps lesdiz supplians ont tousjours joy et usé de ladicte pièce de terre, jusques environ la saint Michel derrenierement passée, que ledit Michelet vint au pays. Et tantost après qu'il fut retourné, donna encores de grans menasses ausdiz supplians que, s'il les trouvoit labourans et exploictans ladicte pièce de terre, qu'il les feroit courroussez du corps et que il coupperoit certaine grant quantité de arbres fructiers que lesdiz supplians et ledit feu Huguet Guynaut, leur père, avoient plantez et nntez en ladicte pièce de terre, disant qu'il en vouloit faire sa clouaison à l'entour d'icelle pièce de terre ; laquelle lesdiz supplians ont labourée par plusieurs années derrenières passées en bien grant doubte de leurs personnes, et souventes foiz quant ilz laissoient leur areau et autres habillemens de leur labouraige en ladicte terre, ilz les trouvoient rompuz et gectez hors d'icelle pièce de terre, afin qu'ilz ne s'en peussent aider, et mesmement le jour des octaves de Toussains derrenierement passé, ung jeune enfant de l aage de xiii. ans ou environ, nommé Jehan Malereau, filz de ung nommé Mery Malereau2, prouchain [p. 236] voisin desdiz supplians, vint dire à iceulx supplians, à leur maison dudit lieu de la Jongaudière, où ilz estoient et se esbatoient, parce qu'il estoit feste ce jour, que ledit Estienne Michelet estoit en ladicte pièce de terre avec une poignée et qu'il voulloit aller coupper leurs autes, qui estoient en icelle terre. A l'occasion de quoy, lesdiz supplians partirent de leur maison qui estoit près et joignant de ladicte pièce de terre, et prindent chacun ung baston en son poing, c'est assavoir ledit Perrin Guinaut ung baston ferré en forme de demye lance, et ledit Jehan Guynaut trouva en son chemin ung baston de haye, ainsi qu'ilz aloient droit là où estoit ledit Estienne Michelet, qui estoit en icelle pièce de terre. Lequel Estienne Michelet, si tost qu'il vit et apparceut lesdiz supplians, qui estoient en chemin qui est le long de ladicte terre, vint et se adreça vers eulx, ladicte congnée qu'il avoit en son poing, en disant qu'ilz avoient labouré sa terre oultre et contre son gré et voulenté, et qu'il les en paieroit bien et ne mourroient d'autres mains que des siennes. Lesquelx supplians estans oudit chemin, le long de ladicte terre, remonstrèrent le plus doulcement qu'ilz peurent que ladicte pièce de terre leur appartenoit,comme des appartenances et appendances de leur hostel de la Jongaudière, au moien de la baillette que leur en avoit faicte ledit Geffroy Taveau. Mais ledit Estienne Michelet disoit tousjours que ladicte terre lui appartenoit et qu'il les garderoit bien qu'ilz n'en joissent, en leur donnant de grans menasses que, s'il les trouvoit dedans, qu'il les tueroit. Sur quoy ilz eurent entre eulx plusieurs parolles contencieuses, parce que lesdiz supplians disoient qu'ilz ne laisseroient point pour lui à exploicter. A l'occasion desquelles noises et debatz, Michelle Guerine, [p. 237] femme dudit Perrin Guynault, suppliant, sortit hors de la maison dudit lieu de la Jongaudière et s'en tira vers le lieu où estoient sondit mary et son frère, et si tost qu'elle y fut, remonstra audit Estienne Michelet que c'estoit mal fait à lui de prendre noise et question avecques sondit mary et ledit Jehan Guynaut, son frère, à l'occasion de ladicte pièce de terre, dont eulx et leurs predecesseurs, tenans et exploictans ledit lieu de la Jongaudière, en avoient joy et usé de tout temps et ancienneté. Et soubz umbre de ce, eurenl lesdiz supplians et Michelet entr'eulx plus grans noises que devant ; et s'efforça ledit Estienne Michelet, qui estoit au dedans de ladicte terre, ladicte congnée toute tendue en son poing, comme dit est, de passer hors d'icelle pièce de terre par dessus une vieille haye ou clouaison qui estoit entre lui et eulx, pour venir contre lesdiz supplians. Et laquelle chose voyant, ledit Perrin suppliant, qui estoit oudit chemin avecques ledit Jehan son frère, doubtant que ledit Estienne Michelet, qui estoit homme de guerre, comme dit est, ne le frappast de ladicte coignée, tendit au devant dudit Estienne Michelet sondit baston ferré qu'il avoit en forme de demie lance, et d'icelui frappa ledit Estienne Michelet,...3 tantost après, lui estant encores en ladicte pièce de terre, ala de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas, lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, se sont absentez du pays et n'y oseroient jamais retourner ne seurement demourer, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties ; humblement requerans que, attendu que ledit cas advint de chaulde colle et que lesdiz supplians, quant ilz alèrent devers ledit deffunct, n'avoient pas entencion de le tuer, mais de sa mort furent et sont très desplaisans et courrouciez, et ne prindrent lesdiz bastons fors pour obvier qu'il ne les batist, parce qu'il estoit homme de guerre et [p. 238] les avoit menassez de les batre et tuer, Comme dit est, que les premiers mouvemens ne sont pas en la puissance de l'omme et qu'ilz sont pouvres gens de labour, bien famez et renommez, non actains ou convaincuz d'aucuns autres villains cas, blasmes ou reprôuches, il nous plaise leur impartir icelles. Pour quoy nous, ces choses consi derées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, ausdiz Perrin et Jehan Guynault, supplians, oudit cas avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons enmandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou moys de mars l'àn de grace mil cccc. cinquante et neuf, et de nostre règne le xxxviiime.
Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. de La Loère. —Visa. Contentor. J. Du Ban.