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MCCCLXVI

Rémission octroyée à Louis de Lestang et à Louis Torin, de la châtellenie de Mirebeau, coupables du meurtre de Guillaume Sicault, dans une discussion que ce dernier avait eue avec la dame de la Bournalière, femme de Floridas Frotier, qu'ils accompagnaient.

  • B AN JJ. 198, n° 385, fol. 351.)    
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France, à tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut. L'umble supplicacion de Loys de Lestang1 natif de la chastellenie de Mirebeau, et Loys Torin, demourant en ladicte chastellenie, avons receue, contenant que, le venredy xviiie jour de septembre derenier passé devers le soir, ung nommé Jehan Paen2, receveur dudit lieu de Mirebeau pour nostre très [p. 361] chier et très amé oncle le roy de Jherusalem et de Secile, duc d'Anjou3, se transporta en l'ostel de Ry près ledit lieu de Mirebeau, appartenant au père dudit Loys, suppliant, et requist et pria par pluseurs foiz ledit Loys qu'il lui pleust aller le landemain d'icellui jour avec luy, pour acompaigner la dame de la Bournalière, femme de Floridas Frotier4, à aler querir du blé au lieu du Vergier de [p. 362] Marconnay assis en ladicte chastellenie de Mirebeau, et qu'il menast avecques lui ledit Guillaume Torin, suppliant, portier dudit hostel de Ry, et le varlet du sire de Rocheffort5. Lequel Loys de Lestang suppliant, qui ne savoit qui esmouvoit ledit Paen à lui requerir ce que dit est, par pluseurs foiz lui dist qu'il avoit ailleurs à besongner et qu'il ne yroit point ; mais ledit Paen, qui avoit desir que ledit Loys suppliant obeist à sa voulenté et requeste, par parolles blandines le duisy à conscentir ce dont il l'avoit requis, et ne l'osareffuser ledit Loys, tant parce que ledit Paen avoit grant amour et aliance avec sondit père, comme aussi parce qu'il creoit que ledit Paen, qui est notables homs, ne le requeroit de ce que dit est que pour tout bien ; et conclurent illec lesdiz Paen et Loys, suppliant, que le landemain d'icelluy jour ilz yroient audit lieu de la Bournalière. Et celluy jour de vendredi, ung nommé Phelippon Rousseau estoit venu audit hostel de Ry pour certains ses affaires ; auquel lieu de Ry ledit Loys de Lestang, Rousseau, Torin et ledit varlet dudit sire de Rocheffort deliberèrent, en l'absence dudit Paen, d'aler ledit landemain avec luy, et de fait ledit landemain bien matin, iceulx [p. 363] Loys, Rousseau, Torin et varlet se partirent dudit hostel de Ry et s'en alèrent audit lieu de la Bournalière, où ledit Paen et Denis, nostre sergent, se trouvèrent. Et quant il furent audit lieu, ladicte dame de la Bournalière fist habiller sa charrette et print des sacs; et pour ce que ladicte dame veoit que sa charrette ne pourroit souffire à charroier ledit blé, commanda audit Denis André aler au lieu de la Bournalière pourchacer du chasroy, et ledit Paen de soy se delibera d'aler au lieu de Poix faire provision de charrettes pour ledit blé faire charroyer. Et lors ladite dame de la Bournalière monta en sadicte charrette et ledit Torin suppliant avec elle, qui avoit une arbalaistre et du trait, laquelle arbalaistre il avoit continuellement acoustumé porter, et eulx acheminèrentpour aller audit lieu du Vergier de Marconnay; et avec eulx allèrent ledit Loys de Lestang suppliant, qui avoit à sa sainture ung cousteau ou bistorie que par avant tousjours il portoit, ledit Rousseau qui avoit ung cousteau et ledit varlet une petite javeline et une dague; et eulx estans ou chemin public, devant l'ostel de feu Guillaume Ciquault, trouvèrent des mestiviers qui bastoient du blé, et illec incontinant qu'ilz y furent arrivez, demandèrent les aucuns à ladicte dame si c'estoit illec qu'ilz devoient chargier, et elle leur fist response que oy. Et adonc ledit Rousseau descendi à pié de dessus son cheval et ledit Torin de ladicte charrette, et tous illec se arrestèrent, cuidans que ledit blé fust à ladicte dame ; et vouldrent lesdiz Rousseau et Torin commancer à mesurer et misdrent en ung boisseau. Et incontinant Medart Sicault, filz dudit feu Guillaume Sicault, dist à ladicte dame qu'elle n'avoit riens oudit blé et qu'elle n'en auroit point, et elle lui fist response que si auroit et qu'elle ne vouloit riens du sien, et que icellui blé lui appartenoit. Et tantost ledit Medart tant qu'il peut s'en alla en son hostel et y print une fourche de fer, et impetueusement et malicieusement vint contre les dessus nommez, et ledit feu Guillaume Sicault [p. 364] sortit ou chemin où l'en ventoit ledit blé par dessus ung mur et commança en grant arrogance à parler à ladicte dame malicieusement, en lui disant que ledit blé estoit sien et qu'il l'avoit achapté, et elle lui dist qu'il se dépportast et qu'elle né savoit qui lui avoit vendu et qu'il estoit sien, et qu'elle ne mourroit pas de fain. Et ledit feu Guillaume Sicault se despoilla et se mist en chemise, et print des pierres en ses mains et commança à jurer à grans seremens qu'il ne souffreroit point que ladicte dame de la Bournalière eust aucune chose dudit blé et que avant il morroit en la place ; et malicieusement et par forme de invazion vint contre lesdiz Loys, Rousseau et varlet dudit sire de Rocheffort, disant que, s'ilz se prenoient audit blé, quil les mettroit à mort ou qu'ilz lui nietteroient, en appellant son dit filz qui jà avoit ladicte fourche de fer, en lui disant telles parolles : « Laisserons nous ainsi mauvaisement emmener nostre blé ? » Et ce voyant, ledit Loys de Lestang, qui n'avoit aucune intencion de faire aucun mal audit feu Guillaume Sicault, lui dist doulcement qu'il ne fist point de noise. Mais ledit Sicault n'en tint conte et vint droit à luy, tout esmeu et eschauffé ; et quant ledit Loys vit qu'il ne se vouloit cesser, tira son dit cousteau et dist audit Sicault que s'il se approchoit de luy, qu'il le frapperoit, et dist aux dessus nommez qu'ilz se deffendissent chascun en droit soy. Et tantost ledit Sicault dist à son dit filz ces parolles : « Et me laisseras tu mourir? » Et combien que ledit feu Guillaume Sicault fust adverty par ladicte dame et autres de sa compaigniée de soy depporter de faire noise, ce neantmoins ledit Medart, son filz, vint contre ledit Loys, suppliant, qui n'avoit point frappé ledit feu ne lui, et de ladicte fourche de fer lui donna de toute sa puissance ung cop sur le bras tellement qu'il fit cheoir à terre ledit cousteau qu'il tenoit, lequel ledit feu Sicault recueilly et leva de terre, et avec icellui impetueusement vint contre les dessusdiz pour les oultrager, et de fait se [p. 365] efforça de ainsi le faire, et en combatant avec eulx, il cheut contre terre et lui donna ledit Rousseau sur le dos ung cop du plat de sondit cousteau, sans le blecier, et ledit Loys suppliant, qui est jeune homme de l'aage de xx. ans ou environ, ce voyant, descendit de dessus son cheval et print en sa main ladicte javeline que avoit ledit varlet dudit sire de Rocheffort, et vint contre ledit feu Sicault en lui demandant son cousteau, et pour occasion de la reddicion dudit cousteau se meurent entre eulx plusieurs parolles injurieuses ; et ainsi qu'ilz se desbatoient, ledit feu Guillaume Sicault fut frappé par ledit varlet dudit sire de Rocheffort d'un baston non ferré ; et après ledit feu Guillaume rendit audit Loys son cousteau, lequel lui fist promesse de non l'en frapper. Et si tost que ledit Loys eut sondit cousteau, dist audit feu Sicault qu'il se tirast arrière, mais ledit Sicault ne le voult croire et vint droit ausdiz Rousseau et varlet de Rocheffort, tout esmeu, et ainsi qu'il s'aprocha, l'un d'eulx le frappa du baston de ladicte javeline tellement qu'il rompit en deux pièces, et ledit filz d'icelluy feu Sicault haulsa le manche de ladicte fourche qu'il tenoit et d'icellui s'efforça frapper ledit varlet de Rocheffort sur la teste, mais il mist sa dague au devant du cop et le receut, dont il cheut presque à terre. Et ce voyant ledit feu Sicault, qui estoit saisy d'un gros baston, vint contre ledit varlet, lequel varlet qui avoit sadicte dague nue en sa main, quant ledit Sicault fut joingnant de lui, ou conflict et à la chaulde lui donna de sadicte dague ung seul cop par le cousté, dont ledit feu Guillaume Sicault cheut, à terre tout mort. Pour occasion duquel cas lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, se sont abscentez du païs et n'y oseroient jamais retourner ne converser, se nostre grace et misericorde ne leur estoit sur ce impartie, humblement requerant que, attendu ce que dit est, et mesmement que ledit feu Sicault et sondit filz furent agresséurs dudit debat, et que lesdiz supplians n'aloient pas avec [p. 366] ladicte dame en entencion de faire aucun mal, mais seulement pour l'acompaigner, pour ce qu'elle est noble femme et leur voisine, et aussi que en tous autres cas ilz ont esté de bonne et honneste conversacion, etc., et que pour ledit cas ainsi advenu que dit est ledit varlet dudit sire de Rocheffort, qui en est principalement tenu, ait obtenu de nous remission, nous leur vueillons impartir icelles. Pour quoy nous, etc., ausdiz supplians ou cas dessus dit avons quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à nostre bailly de Touraine, des ressors et exempcions d'Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chastelleraud, le quatriesme jour de jung l'an de grace mil cccc. soixante et deux, et de nostre règne le premier.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Le Prevost.


1 Louis de Lestang était le second fils d'Héliot de Lestang, écuyer, seigneur de Ry, et de Perrette Fouchier. Héliot avait partagé, le 11 février 1448, avec Mathurin de Montléon, son beau-frère, les biens de sa mère, Perrette, aliàs Françoise de Ry, qui avait apporté l'hôtel de Ry à son second mari, Guillaume de Lestang. Ce fief, qui en 1434 était dans les mains de Jean de Montléon, premier époux de ladite Perrette, se composait alors de la forteresse de Ry avec ses clôture, fossés, fuie, garenne à conils, des moulins de Ry, de Chaudour et de bois et terres valant 20 livres environ, de l'hôtel de Vilaines, valant 20 livres, de l'hébergement du Breuil, paroisse de Blalai, valant 15 livres, de l'hôtel des Touches, paroisse de Varennes, valant dix livres. Après le second mariage de Perrette de Ry, ce domaine fut démembré et l'hôtel du Breuil ainsi que celui de Vilaines furent tenus en parage par les filles et gendres de son fils Héliot : Béatrix de Lestang, femme de Pierre de Montléon, seigneur de Massoignes; Perrette, mariée à Renaud du Vergier; Jeanne, épouse de Jean Baudouin, écuyer, et Marie, femme de Pierre de la Touzay, écuyer, toutes mentionnées, avec Bertrand de Lestang, écuyer, fils aîné d'Héliot, qui fut seigneur de Ry après son père, et Louis le cadet, dans l'acte de partage de la succession de leurs père et mère, le 4 février 1466 n. s. (È. de Fouchier, La baronnie de Mirebeau, etc., p. 241 ; Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou, 1er édit., t. II, p. 295.)

2 Nous avons cité précédemment (ci-dessus p. 306, note) l'arrentement d'un hébergement à Seuilly, fait en 1459 à Jean Payen, bourgeois de Mirebeau, par Jean Mourraut, conservateur des privilèges royaux de l'Université de Poitiers. (Arch. de la Vienne, G. 1213.) Ce nom, dans les actes dont nous allons parler, est écrit tantôt Paen, tantôt Paien. Ce même Jean Payen, demeurant à Mirebeau, avait porté plainte au Parlement contre le procureur et les autres officiers du roi de Sicile, duc d'Anjou,) audit lieu. Il disait que pour se venger d'un procès qu'il avait dû leur intenter, Jean de Hurnay (aliàs Vivray), Antoine Delafont, Jean Valette, Jean Thomas, Colin Haquet, Jean Cholet, Jean Chatart et Christophe Maunourry, André Brunet et Thibaut Pignart (tels sont les noms de ces officiers), l'avaient menacé et le menaçaient encore de le frapper et de le mutiler, de sorte que sa femme, ses enfants et lui n'osaient plus demeurer à Mirebeau. La cour les prit sous sa sauvegarde par lettres du 11 mars 1466 n. s. Le 27 mars, Jean Payen vint à Paris avec ce sauf-conduit et obtint mainlevée des biens que ses adversaires avaient fait saisir, moyennant qu'il s'engagea à bailler caution de 1000 livres et à se présenter, le 15 mai suivant, devant le sénéchal de Poitou ou 1e conservateur des privilèges de l'Université. Bien qu'il eût rempli toutes les formalités requises, les officiers de Mirebeau, sous des prétextes futiles, ne voulurent pas consentir à la délivrance de ses biens. Le Parlement ordonna au premier huissier de les lui faire délivrer, par arrêts des 13 mai et 19 août 1466. Malgré tout, André Brunet, Thibaut Pignart, Jean de Hurnay et autres, qui avaient pris ou détenaient lesdits biens, refusèrent plus que jamais de les restituer. Le 20 juillet 1467, Jean Payen n'ayant toujours rien pu obtenir, la cour délivra contre ses principaux adversaires un mandat de prise de corps, ordonnant, si on ne pouvait s'emparer de leurs personnes, de les ajourner à son de trompe et cri public, sous peine de confiscation et de bannissement. (Arch. nat., X2a 34, fol. 182 v°, 186 v°, 201 v°, 227 v° et 336.)

3 René d'Anjou, duc d'Anjou, de Lorraine et de Bar, comte de Provence, roi de Sicile et de Jérusalem, né à Angers le 16 janvier 1409, mort à Aix en Provence, le 10 juillet 1480.

4 La dame de la Bournalière était Marguerite Beslon, fille de Guillaume, seigneur de Ringère, qui avait en effet épousé, le 26 juin 1450, Floridas Frotier, deuxième fils de Colin Frotier, chevalier, seigneur de la Messelière et de Chamousseau, et d'Isabelle d'Usseau. A la mort de son père (1447), celui-ci fut placé sous la tutelle de Guy, son frère aîné. Le Dict. des familles du Poitou (nouv, édit., t. III, p. 614) dit que Guy, seigneur de la Messelière, mari de Jeanne de Maillé, se voyant sans enfants et sans doute mécontent de son frère Floridas, par amitié pour son cousin Prégent Frotier, baron de Preuilly, fit don à ce dernier de tous ses biens, le 4 janvier 1466 ; mais, après la mort de Guy (qui d'ailleurs vivait encore dix ans après cette date), le baron de Preuilly renonça à cette succession en faveur de Geoffroy, fils de Floridas. L'on y voit aussi que ce Floridas transigeait, le 4 mai 1482, avec Jeanne de Maillé, veuve de son frère. Cette transaction se rattaché sans doute au procès relatif à la possession de la seigneurie d'Empuré, que Guy Frotier et sa femme soutenaient depuis de longues années contre Geoffroy Taveau, baron de Mortemer et de Lussac, procès que nous avons amplement exposé dans la notice sur ledit Geoffroy (ci-dessus, p. 230). Nous avons vu en cet endroit que cette affaire compliquée fut reprise, après la mort de Guy, par Floridas, qualifié écuyer, sr de la Messelière, ou plutôt en son nom, par son fils Geoffroy, qui lui avait été donné comme curateur par autorité de justice, parce qu'il était « simple, sans grant sens et entendement ». Geoffroy, qui fut seigneur de la Messelière, Chamousseau, Queau, Chambonneau, sans conteste après que, le 24 janvier 1489, le baron de Preuilly eut renoncé, en sa faveur, à la succession de Guy Frotier, avait épousé Jeanne, fille d'Antoine de Lezay, seigneur de l'Isle-Jourdain en partie.

5 Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet, était encore, à la date de ces lettres, seigneur de Rochefort en Mirebalais. Cette terre et seigneurie, avec le château, après avoir appartenu à la famille d'Argenton, était en 1449 en possession de Jean de Xaincoins. Confisquée sur ce financier, le 17 décembre de la même année, avec celles de Champigny-le-Sec et du Roignon, Charles VII en fit don à Guillaume Gouffier, son ancien gouverneur. Ce ne fut qu'en 1464 ou 1465 que celui-ci vendit Rochefort à Jean de Moulins, notaire et secrétaire du roi, maire de Poitiers, sur lequel cf. ci-dessus, p. 216, note. (E. de Fouchier, La baronnie de Mirebeau du XIe au XVIIe siècle, p. 230, 231.)