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MCCCXV

Rémission octroyée à Maurice Marbeuf, complice du meurtre de Jean Cheverron, fermier de l'imposition de la draperie à Montaigu, qui l'avait ajourné devant les élus de Poitou, à Mauléon.

  • B AN JJ. 188, n° 111, fol. 55
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir [p. 166] faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Morice Marbeuf1, jeune homme de [p. 167] l'aage de xxviii. ans ou environ, chargié de femme et d'enfans, contenant que, ceste presente année, Jehan Cheverron a prins à ferme de Colas Guerry ou de son filz, fermiers de l'imposicion de la drapperie de la ville de Montagu en Poictou, le droit et prouffit d'icelle imposicion en icelle ville, et pour ce que ledit suppliant se mesle de vendre aucun pou dé draps, icelluy Cheverron demanda audit suppliant qu'il luy baillast soixante solz pour l'imposicion des draps qu'il avoit venduz en ladicte ville, lequel suppliant luy dist qu'il ne luy devoit pas tant, mais qu'il estoit content de le paier raisonnablement et qu'il luy sembloit qu'il ne luy povoit devoir que douze ou quinze solz tournois, qu'il estoit prest de luy bailler, dont ledit Cheverron ne fut pas content ; et à ceste cause, icelluy suppliant, voulant eschever plait et procès, luy voult bailler vingt solz, mais il les reffusa et fist bailler audit suppliant adjournement par devant les Esleuz en Poictou, ou leur lieutenant ou commis à Mauleon, au lundi xxie jour du mois de may derrenier passé. Et pour aler à sadicte journée, ledit suppliant se disposa dès le dimanche precedant, et s'acompaigna avec Jehan Savary, Jehan Jardrin et Guillaume Quillaut, tous marchans ; et eulx estans à chemin, ledit Savary se party d'eulx pour aler à ung sien hostel, nommé la Belutière, où icelluy suppliant et autres dessus nommez ne vouldrent aler, parce qu'ilz vouloient aler couchier au lieu de Saint Martin l'Art, pour estre le landemain au matin audit lieu de Mauleon. Et en alant leur chemin, passèrent par le lieu de la Guyonnière, où ilz beurent chez ung mareschal, et estoit jà le souleil couchié ; et ainsi qu'ilz beuvoient, survint ilec frère François Savary, religieux de l'abbaye ele Mauléon, oncle mater- [p. 168] nel de la femme dudit suppliant, lequel leur dist qu'il vouloit aler audit lieu de Mauléon, dont icelluy suppliant fut bien joyeulx, et s'en partirent lesdiz suppliant, Jardrin et religieux, et ledit Quillaut demoura pour recevoir de l'argent que luy devoit ledit mareschal, et s'en alèrent leur chemin vers ledit lieu de Saint Martin, où ilz avoient entencion d'eulx logier pour celle nuit ; et eulx estans au chemin, ledit Quillaut qui estoit demouré comme dit est, les attaigny près d'un molin à vent, et quant il fut à eulx, il leur dist qu'il avoit trouvé ledit Cheverron, en disant telles parolles ou semblables : « J'ay trouvé Cheverron là ou boys qui vient après nous et nous menace fort, et dit que nous perdons noz pas d'aler à Mauléon, et qu'il aura deux blancs de chacun de nous pour chacune lieue ». Et tantost après, ledit Cheverron qui estoit à cheval survint sur icelluy suppliant et autres dessus nommez, qui aloient tout bellement parce que ledit religieux estoit à pié et ilz le surattendoient, et incontinent icelluy Cheverron leur dist : « Demourez ! » et ilz luy respondirent : « Mais vous ?» Et lors dist ausdiz supplians et autres: « Vous n'estes pas encores ou yous cuidez», et audit suppliant : « Je ne vous quicteroye pas à present pour lx. solz tournois ! » et audit Quillaut : « Me cuidez tu esbaïr pour aler à Mauléon ? », et leur dist plusieurs autres parolles rigoureuses et malgracieuses. Auquel lesdiz suppliant et autres dessus nommez, veans que il ne demandoit que noise et debat, disdrent qu'il chevauchast devant ou derrière. Lequel respondi qu'il n'en feroit riens, et en ce disant, ledit Quillaut frappa comme par manière d'esbatement icelluy Cheverron d'un petit baston qu'il avoit parmy l'eschine ung coup, en luy disant : « Chevauche devant ou derrière, et nous laisse ester». Et incontinent ledit Cheverron descendi à pié et tira ung cousteau qu'il avoit, en renyant Dieu quelles tueroit, et s'adreça vers ledit suppliant, et cuida prendre la bride de son cheval, mais icel- [p. 169] luy suppliant le frappa d'un petit baston gros comme le posse d'un homme sur la main ; et en ce debat frappèrent les dessus diz de bastons qu'ilz avoient, trois ou quatre coups sur ledit Cheverron, sans aucune violence ou mutilacion ; mais icelluy Cheverron se deffendi tellement qu'il les mist tous trois en fuyée et s'en aloient leur chemin ; et quant ilz furent ung peu esloignez, ilz oyrent ledit Savary religieux qui venoit tout bellement après eulx, qui crioit, et incontinent retournèrent pour luy aider, et trouvèrent que ledit Cheverron le tenoit par la poictrine et ne le vouloit lascher, combien qu'il luy dist qu'il ne luy demandoit riens. Et incontinent que lesdiz suppliant et autres dessus nommez furent arrivez sur eulx, il laissa ledit religieux et leur vint courir sus, et gecta son cousteau qu'il tenoit ou poing contre eulx, pour les frapper ou l'un d'eulx, et frappoit sur eulx d'un gros baston qu'il avoit partout où il pouvoit attaindre, et tellement se eschauffèrent ensemble que ledit suppliant tira une dague qu'il avoit et d'icelle frappa une foiz et plusieurs ledit Cheverron, ne scet en quelle part, aussi frappèrent sur luy de bastons lesdiz Quillaut et Jardrin, et tellement que icelluy Cheverron chey à terre ; et incontinent les dessusdiz et suppliant s'en partirent et s'en alèrent couchier audit lieu de Saint Martin, et cuidoient que ledit Cheverron fist le mort ou le malade ; et le landemain, parce qu'ilz virent que il ne venoit point audit lieu de Mauléon, furent fortesbays, et ont sceu que, à l'occasion desdiz coups ou autrement par faulte d'estre pensé et habillé, il est alé celle mesme nuyt de vie à trespassement. Et à ceste cause ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs et n'y oseroit jamais retourner, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, ainsi qu'il nous a fait dire et remonstrer, en nous humblement requerant que, attendu que ledit cas est advenu de chaulde cole et qu'il fust meu de retourner, parce qu'il oyt crier ledit frère [p. 170] François Savary, qui est oncle de sa femme, et que avant qu'il frappast ledit Cheverron de ladicte dague, icelluy Cheverron l'avoit frappé et blecié, etc., il nous plaise nosdictes grace et misericorde luy impartir. Pour quoy nous, etc., audit suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers et officiers, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Chinon, ou mois de juing l'an de grace mil cccc. cinquante neuf, et de nostre règne le xxxviie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Daniel. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Guillaume Marbeuf, parent de Maurice, avait été condamné à cent livres tournois d'amende, en 1439, conjointement avec six autres commissaires et collecteurs des tailles de la ville et châtellenie de Montaigu, par Adam Hodon, secrétaire du roi et enquêteur en Poitou, « tant pour trop fraiz qu'ilz pourroient avoir mis en leurs dictes tailles que pour non avoir apporté la pluspart de leurs rolles, commissions et assiètes du temps passé. » (Bibl. nat., ms. fr. 24160, fol. 40.) Ils n'avaient sans doute rien de commun avec la famille noble de Marbeuf, originaire de Bretagne, dont La Chenaye-Desbois, Dict. de la noblesse, a publié la généalogie. Maurice Marbeuf, Guillaume Guilhaud et Jean Dujardin (leurs noms sont ainsi écrits sur le registre du Parlement, au lieu de « Quillaut » et « Jardrin ») avaient obtenu chacun séparément des lettres de rémission du meurtre de Jean Chevron, Cheveron ou Cheverron. La veuve de la victime et ses autres héritiers s'étaient accordés avec les meurtriers et avaient finalement consenti à l'entérinement de ces lettres par le sénéchal de Poitou, auquel elles étaient adressées. Mais l'un de ses fils, messire Nicole Chevron, prêtre, chanoine en l'une des églises d'Orléans, et se disant étudiant à l'Université de cette ville, s'y était opposé et, pour avoir réparation du meurtre, avait assigné ses trois auteurs par-devant le conservateur des privilèges de ladite Université. Le sénéchal avait rendu une ordonnance interdisant à celui-ci de prendre connaissance de l'affaire et la lui avait fait signifier par Jean Grasmouton, sergent royal en Poitou. Alors Nicole Çhevron s'était porté appelant au Parlement de cette procédure contre le sénéchal et le sergent. La cause d'appel fut plaidée devant la cour, Ie 25 mai 1462. Toute la question se résumait à savoir qui, du sénéchal de Poitou ou du conservateur des privilèges de l'Université d'Orléans, devait être juge du principal, c'est-àdire de l'affaire d'assassinat et de l'entérinement des rémissions. Nicole Chevron fit exposer ses raisons par l'avocat Nanterre, et Artaud plaida pour Maurice Marbeuf. Le procureur général requit une confrontation entre celui-ci et ses deux complices, « pour averer la verité du cas ». La suite du procès ne se retrouve pas dans les registres du Parlement. Il n'y a d'intéressant en réalité dans les plaidoiries que la version du crime exposée par le demandeur; il la donne d'ailleurs sommairement, puisqu'il s'agit surtout de la procédure. Jean Chevron, son père, était en son vivant notable homme, dit-il, fermier de l'imposition de la draperie à Montaigu, où il demeurait. Marbeuf et Guillaume Guilhaud étant tenus envers lui pour le fait de ladite imposition et refusant de le payer, il les fit ajourner par-devant les élus à Mauléon. De là leur haine contre lai; ils résolurent de le tuer et le firent induire par Dujardin à se rendre en personne à Mauléon. Il répondit tout d'abord qu'il n'était pas nécessaire qu'il y allât, puisqu'il avait son procureur près de l'élection, et que sa femme d'ailleurs n'était point d'avis qu'il fit le voyage. Finalement il consentit à se mettre en route. Alors Marbeuf, Guilhaud et Dujardin prirent les devants; ils allèrent jusqu'à la Guyonnière et de là à Saint-Martin-l'Ars. Quand ils eurent dépassé ce lieu, ils se mirent en embuscade dans lin bois, guettant l'arrivée de Chevron. Aussitôt que celui-ci fut à leur portée, ils se jetèrent sur lui, et le battirent et navrèrent tellement qu'il resta mort sur la place. Pour dissimuler leur crime, ils se rendirent le lendemain à leur assignation, requirent défaut contre leur victime et envoyèrent Guilhaud en l'hôtellerie où ledit Chevron avait coutume de descendre, pour faire apprêter son dîner. On voit combien ce récit, si court qu'il soit, diffère de l'exposé contenu dans les lettres de rémission. (Arch. nat,, X2a 32, aux dates des 18 et 25 mai 1462, matinée et après-dîner.)