[p. 435]

MCCCLXXXIX

Lettres d'abolition accordées, moyennant douze mille écus d'or, à Jean Barbin, sr de Puygarreau, détenu prisonnier et poursuivi judiciairement pour avoir commis des abus de pouvoir en sa charge d'avocat général au Parlement, et tenu des propos injurieux contre le roi.

  • B AN JJ. 199, n° 74, fol. 46
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion des parens et amys charnelz de maistre Jehan Barbin, licencié en loix, seigneur de Puygarreau1, contenant que puis certain temps [p. 436] ença, à la requeste de nostre procureur, certaines informacions ont esté faictes à rencontre dudit Barbin, au moien desquelles l'on l'a chargé de plusieurs choses et mesmes que, soubz umbre de ce qu'il a longtemps esté conseiller et advocat general de feu nostre très chier seigneur et père, que Dieux absouille, en sa court de Parlement, et par le moyen de l'auctorité, port et faveur qu'il avoit, tant entour nostredit feu seigneur et père que à cause de sondit office d'avocat, il a faictes plusieurs acquisicions de droiz cessez à luy faiz de diverses personnes, moyennant lesquelz droiz cessez il avoit donné plusieurs grandes et indeues vexacions et travaulx à plusieurs de noz subgez et les tenoit longuement en procès, et tellement que par ces moyens il est venu à ses fins, et autrement en plusieurs et diverses manières il a donné plusieurs troubles et fait de grans tors à nosdiz subgez, semblablement avoit fait plusieurs contractz usuraires, frauduleulx et deceptifz, aussi soubz umbre de sondit office avoit fait plusieurs abuz de justice en diverses manières, prins de ceulx qui avoient eu [p. 437] à besongner à luy plusieurs dons que l'on pourroit dire corrumpables, et fait plusieurs autres choses que nostre procureur dit estre frauduleuses et deceptives, et en icelles faisant ledit Barbin avoit commis graves crimez et deliz. En oultre a l'on chargé ledit Barbin que depuis nostre nouvel advenement à la couronne, à l'occasion de la desplaisance qu'il avoit dont avions disposé de sondit office, il a par legiereté de courage ou autrement dictes et proferées certaines parolles à nostre charge et desplaisance, et que mesmes, avant que venissons à la couronne, il en avoit dictes les aucunes. A l'occasion desquelles choses et au moyen desdietes informacions sur ce faictes par certains noz commissaires sur ce depputez, tous les biens, tant meubles que immeubles, dudit Barbin ont esté prins et mis en nostre main et sa personne constituée et detenue en prison fermée, et sont tous ses diz biens, tant meubles que immeubles, traictez et gouvernez soubz nostre dicte main par divers commissaires ; lesquelz biens, pour ce que au gouvernement et administracion d'iceulx n'y est pas, comme l'on dit, quant ad ce garde, se pourroient consumer et gaster. Pour laquelle cause nous aient iceulx supplians humblement supplié et requis qu'il nous plaise avoir consideration au fait dudit maistre Jehan Barbin et à son ancien aage, à la foiblesse et indisposition de sa personne, et en ce faisant lui quicter, pardonner et abolir tout ce qu'il pourroit avoir offencé envers nous et justice, en nous offrant par aucuns desdiz supplians paier la somme de douze mil escus d'or à present aians cours, pour ledit Barbin, au lieu de l'amende en laquelle il pourroit estre condampné envers nous par la fin dudit procès, s'il tiroit oultre, et sur ce lui begnignement impartir nostre grace. Pour ce est il que nous, ces choses considerées et que par la longueur dudit procès lesdiz biens dudit maistre Jehan Barbin se pourroient consumer et gaster, sans ce qu'ilz tournassent à prouffit à nous et à luy, aians [p. 438] aussi consideracion à sa viellesse et à l'indisposicion de sa personne, voulans en ceste partie user de benignité et grace envers luy, et misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit maistre Jehan Barbin, inclinans à la supplicacion et requeste de sesdiz parens et amis, et moyennant ladicte somme de xiim escuz d'or courans à present, à laquelle somme sesdis parens et amis ont composé avec nous, et de laquelle somme sommes deuement asseurez [et] tenons pour contens ; pour ces causes et consideracions et autres ad ce nous mouvans, avons quicté, remis, pardonné et aboli et par la teneur de ces presentes, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, quictons, remettons, pardonnons et abolissons entierement tout ce qu'il a et peult avoir mesprins envers nous et justice, tant pour avoir acquis lesdiz droiz cessez, prins dons corrumpables, soubz umbre et coulleur de justice et autrement, comme pour avoir dictes et proferées lesdictes parolles à nostre charge et desplaisance, et generallement tous autres maulx, crimes, maleficez et deliz qu'il a et peut avoir faiz, diz, commis et perpétrés, en quelque manière ne pour quelque cause ou occasion que ce soit, et de quelque qualité ou gravité qu'ilz soient, ensemble toute paine, offence corporelle, criminelle et civile en laquelle il pourroit pour occasion de ce estre encouru envers nous et justice, de tout le temps passé jusques à present, excepté murdre d'aguet apensé, forcement de femmes, boutement de feu et sacrelege, tout ainsi que si lesdiz cas estoient nommement desclarez et exprimez en cesdictes presentes, en metant au neant tous procès sur ce faiz contre ledit Barbin, ensemble les appeaulx que ledit Barbin, sa femme ou autres ses procureurs ou entremeteurs pourroient avoir sur ce faiz et interjectez, avec tous autres explois qui pourroient avoir esté faiz pour occasion des choses dessusdictes et leurs deppendances, lesquelz nous y avons mis et metons du tout [au neant], en tant que touche l'interest de nous et de justice, [p. 439] par cesdictes presentes. Sy donnons en mandement, par cesdictes presentes, à noz amez et feaulx conseillers les gens de nostre Parlement, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc., que ledit maistre Jehan Barbin ilz facent, etc., joir et user, etc., sa personne et sesdiz biens luy mettent ou facent mettre sans delay à plaine delivrance, et aussi à luy rendre compte et reliqua de l'administration de ses diz biens, contraignent ou facent contraindre ceulx qui ont esté commis au gouvernement, leurs gaiges ou sallaires raisonnables premierement deduiz, etc. Donné à Saint Riquier en Poitou2, le dix neufviesme jour de decembre l'an mil iiiie lxiii, et de nostre règne le troisiesme.

Par le roy, messire Charles de Melun3 et autres presens. J. de La Loère. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Jean Barbin, seigneur de Puygarreau, avocat du roi au Parlement, mari de Françoise Gillier, né en 1406, mort en 1469. Aux renseignements relatifs à ce personnage qui se trouvent dans notre précédent volume (p. 288, note), on peut en ajouter deux ou trois autres, dont le premier intéresse surtout un autre personnage dont il est aussi question par deux fois dans ledit volume (p. 296 et s., 355 et s.). C'est un mandement du Parlement au sénéchal de Poitou, daté du 20 novembre 1464, donné à la requête de Guillaume Siet, des environs de Châtellerault, de sa femme et de ses enfants. Ce Guillaume était laboureur, quand, vingt ans auparavant, des revers de fortune lui firent perdre tous ses biens et le contraignirent de quitter le pays. Depuis un an il était venu demeurer à Poitiers, où il obtint l'office de héraut crieur de la ville. Plusieurs de ses créanciers le menaçant chaque jour de le faire emprisonner, il leur abandonna, par acte passé devant le sénéchal, tout ce qu'il pouvait avoir encore en sa possession, et fit notifler cette cession et l'inventaire qui l'accompagnait à tous ceux auxquels il était redevable, particulièrement à Jean Barbin. Néanmoins Jean Pompon, receveur des exploits et amendes du Parlement, avait fait enfermer dans les prisons de Poitiers ledit Siet, pour une amende à laquelle il avait été condamné par arrêt de la cour. Depuis, en considération de sa pauvreté, remise entière lui avait été faite de cette amende, et il aurait été remis en liberté, si Barbin n'avait fait opposition à son élargissement. Le sénéchal renvoya au Parlement la connaissance de l'affaire et maintint Siet en prison jusqu'au jugement. C'est alors que la cour manda à celui-ci de lui rendre la liberté, après s être assuré qu'il était poursuivi au civil seulement et qu'il avait réellement fait cession de tout son avoir à ses créanciers. (Arch. nat., X2a 34, fol. 56.) Après la mort de Jean Barbin, Françoise Gillier, sa veuve, conclut avec les chanoines de Saint-Hilaire de Poitiers un accord en vertu duquel elle paya 50 écus d'or pour droits de lods et vente de l'hôtel du Dognon, dépendant de la seigneurie d'Ouzilly, que son mari avait acquis de Pierre Mestivier. Puis Joachim Gillier, seigneur du Puygarreau, vendit cet hôtel à Nicole Bourgeau, femme de Jean Goeslard, marchand et bourgeois de Poitiers. (Arch. de la Vienne, fonds du chapitre de Saint-Hilaire, G. 927.)

2 Sic. Le scribe par distraction a écrit « Poitou » au lieu de « Ponthieu ».
3 Charles de Melun, chevalier, seigneur de la Borde, Nantouillet, ele., baron de Landes, chambellan du roi, bailli de Sens, capitaine de Vincennes et gouverneur de la BastilIe. Il jouit pendant quelques années de toute la faveur de Louis XI, qui érigea sa terre de Landes en baronnie, au mois de juin 1462 (anc. mém. m. de la Chambre des comptes, fol. 16), lui donna, en août 1463, la confiscation des biens du comte de Dammartin, le fit son lieutenant général dans le royaume et grand maître de France, en 1465 ; il eut pour un temps l'autorité sur toutes les armées de France, et il ne lui manquait que le titre de connétable, dont il faisait les fonctions. Cette faveur ne fut pas de longue durée. Charles de Melun, accusé d'intelligence avec les ennemis du roi, tomba en disgrâce ; son procès aboutit a une condamnation capitale et il eut la tête tranchée sur le marché d'Andely, le 20 août 1468. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. VIII, p. 381.)