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MCCCLII

Rémission accordée à Guillaume Guérineau, marchand de l'île de Bouin, meurtrier d'Yvonnet Joye, boucher, qui l'avait attaqué, pour se venger de ce qu'il l'avait fait exécuter pour dette.

  • B AN JJ. 198, n° 69, fol. 68
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Guillaume Guerineau, marchant demourant en l'isle de Bouing, de l'aage de vingt et cinq ans ou environ, contenant que, pour estre paié de la somme de cent solz monnoie de Bretaigne et cinquante et deux livres de suif en quoy ung nommé Yvonnet Joye, boucher, luy estoit tenu au terme saint Michel derrenier passé, pour certain appointement fait entre eulx deux, et auquel appoinctement tenir et garder lesdictes parties avoient esté condennées de leurs consentemens et à leurs requestes, ledit suppliant voyant que ledit Joye ne le paieoit ainsi que faire devoit raisonnablement, fist faire execucion sur les biens dudit Yvonnet Joye, en son absence, jusques à la valeur des dictes sommes...1 par justice dudit lieu de Bouign touchant la Bretaigne, le dix neufviesme jour du moys d'octobre derrenier passé, dont ledit Yvonnet Joye fut couroucé, et à ceste cause en conceut hayne contre ledit suppliant, en disant qu'il en paieroit bien de ce qu'il avoit fait faire sur lui ladicte execucion ; et en ce mesmes[p. 310] jour trouva manière de rencontrer ledit suppliant, lequel estoit audit lieu de Bouign et s'en aloit à la maison de sa mère, environ l'eure de souleil couchant. Et incontinant que ledit Joye apparceut ledit suppliant,il lui dist en soy monstrant fort esmeu, telles parolles en effect : « Tu m'as aujourd'uy fait exécuter ! » A quoy ledit suppliant respondit que il l'avoit fait pour estre paié desdictes sommes que ledit Yvonnet Joye lui devoit bien et raisonnablement, en lui disant oultre qu'il le contentast et il lui feroit rendre ses gaiges. Et lors ledit Joye, en respondant audit suppliant et comme esmeu plus que devant, lui dist que voirement il le paieroit, mais que ce seroit tout à ung cop, qui sonnoit forme de menasse envers la personne dudit suppliant, jà soit ce que lui et ledit feu Yvonnet Joye feussent en asseurté l'un vers l'autre, et par ce ne se deussent meffaire l'un à l'autre sur peine capitale, selon les coustumes et usaiges de nostre dit païs de Poictou. Et en procedant de parolles en effect, ledit Yvonnet Joye se print malicieusement à la personne dudit suppliant et aussi icellui suppliant, en resistant à la malice dudit Yvonnet, embrassa ledit Yvonnet et se tindrent au corps l'un l'autre par aucun temps, et jusques à ce qu'il survint des gens qui par charité les departirent. Lesquelx, voyans le felon couraige dudit Yvonnet Joye, le detindrent a force, afin qu'il ne courut sus audit suppliant. Lequel suppliant incontinant à ceste cause se mist à chemin pour s'en aler, et en s'en retournant, rencontra la femme dudit Yvonnet Joye, laquelle incontinant lui courit sus et le print aux cheveulx et lui donna plusieurs cops sur le visaige et ailleurs ; et non contens de ce, ledit Yvonnet Joye acourut contre ledit suppliant, tenant ung cousteau en sa main ; et quant il fut près dudit suppliant, survint illec ung homme qui le print au corps ou à la robbe. Laquelle chose voyant, ledit suppliant qui estoit fort esmeu et desplaisant des oultraiges que on lui faisoit desdiz debatz et ques- [p. 311] tions, et en grant chaleur, et lequel à ceste cause doubtant estre envilleny de sa personne par ledit Yvonnet Joye, et pour obvier à sa fureur, tira ung petit cousteau, qu'il avoit en sa gayne ataché à sa saincture, et en frappa ledit Yvonnet Joye ung seul cop en la cuisse et le ventre ; lequel Yvonnet tout incontinant couru après ledit suppliant et par l'effusion du sang qui yssy de sa playe cheut à terre et en fut emporté à la maison d'une sienne parante, et tantost après, par faulte de bon gouvernement ou autrement, ala de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du pais et n'y oseroit jamais retourner, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant, [consideré] ce que dit est et que ledit suppliant n'a esté aggresseur en ce fait ne en parolles, et que ce qu'il a fait il l'a fait faire par justice et pour estre paié de ses debtes, et que en tous autres cas il est bien famé et renommé, il nous plaise sur ce lui impaitir iceulx. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons ou cas dessus dit remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par cesdictes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de decembre l'an de grace mil cccc. soixante et ung, et de nostre règne le premier.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Gavigneau. — Visa. Contentor. Detaise.


1 Blanc de deux ou trois mots sur le registre.