II
Nous avons réservé pour être placés ici les développements que comporte l'examen critique d'un attentat particulièrement dramatique et odieux, parmi tant d'autres qui accusent les mœurs déplorables de l'époque. Neuf lettres de rémission obtenues par les principaux coupables, gentilshommes et magistrats, font connaître le fait brutal, mais altèrent et travestissent singulièrement la vérité en ce qui touche les causes, les circonstances et le but [XIX] poursuivi1. C'est le récit partial d'hommes qui cherchent à dissimuler le plus possible leur responsabilité et à circonvenir de leur mieux le dispensateur des grâces, afin d'échapper au châtiment. Cette remarque peut s'appliquer en général à presque tous les faits relatés dans les rémissions, comme nous avons eu plus d'une fois déjà l'occasion de le faire observer. Mais dans le cas actuel, il y a un parti pris de mensonge qui dépasse les bornes.
On nous pardonnera d'insister, peut-être trop longuement, sur cette affaire ; le rang des personnages qui y jouèrent un rôle en accroît l'importance, et, d'un autre côté, les exemples nombreux de faits semblables à la même époque lui donnent, ce nous semble, une portée plus générale. Après avoir opposé le récit des parents de la victime à celui de auteurs des l'attentat, nous examinerons dans toutes leurs complications les poursuites judiciaires qui en furent la conséquence; elles caractérisent assez exactement le type des procès d'alors en matière d'entérinement de rémissions. L'on y verra aussi combien la plus haute juridiction du royaume restait elle-même impuissante, pour la répression des crimes, devant l'audace de coupables bien protégés et les subterfuges auxquels il leur était permis de recourir.
Le dimanche 14 mai 1458, Hector Rousseau fut assailli par une nombreuse troupe armée dans son hôtel du Breuil-Barret et, comme il ne voulait pas se laisser prendre et s'était enfermé dans sa maison, on en fit le siège puis on y mit le feu. Pour échapper aux flammes, il dut se réfugier sur le toit, où il fut tué d'un trait d'arbalète. Si l'on s'en rapportait au seul texte des rémissions, il n'y aurait pas eu en réalité d'autre coupable que la victime ellemême. Les inculpés étaient poursuivis sans aucune raison, n'ayant fait que remplir un devoir ; encore l'avaient-ils accompli avec des ménagements dignes d'éloges. Et cependant, singulière contradiction, ils avaient recours à la clémence royale !
D'après leurs dires, le sénéchal de Poitou, dûment informé de plusieurs crimes, rançonnements, excès, voies de fait et autres délits et maléfices commis par Hector Rousseau, l'avait décrété de prise de corps et avait donné mandement à Mathurin Marot, substitut du procureur à Fontenay-le-Comte, de le mettre en état d'arrestation. Celui-ci, sachant que ledit Hector était toujours [XX] escorté de gens de guerre et prêt à résister par la force aux officiers du roi, qu'il les avait déjà plusieurs fois battus et maltraités, requit quelques gentilshommes du pays, entre autres Mathurin d'Appelvoisin, Jacques Jousseaume, sr de la Geffardière, Jean de Puyguyon, sr du Teil, et Jean Beufmont, autre écuyer, devenir lui prêter main forte pour exécuter sa commission. Tous avaient obéi, comme ils y étaient tenus, et quand ils s'étaient présentés au Breuil-Barret, accompagnés de leurs gens, Rousseau, qui les attendait et s'était mis en état de leur opposer une vigoureuse résistance, avait fait tirer sur eux deux coulevrines et des arbalètes. Néanmoins ils s'étaient bornés à lui faire entendre des paroles conciliantes, cherchant, dans son intérêt, a le persuader de se rendre de bon gré et de se constituer prisonnier, s'engageant à le conduire sain et sauf à Poitiers. Pendant ces pourparlers, après avoir invité Mathurin d'Appelvoisin à entrer dans sa maison, pour causer plus à l'aise, il avait usé de traîtrise et porté à celui-ci un grand coup d'épée qui lui aurait ouvert la gorge, si l'arme n'avait heureusement dévié en heurtant le bord de sa salade. Quant à l'incendie, on donnait à entendre qu'il avait été allumé à l'intérieur, soit à dessein, soit par accident : les flammes bleuâtres répandaient une odeur de soufre, ce qui tendait à prouver que le feu avait pris à un amas de poudre à canon, dont l'hôtel du Breuil-Barret était approvisionné. Réfugié sur le toit, et protégé par une cheminée, Hector Rousseau tirait encore sur les hommes qui entouraient l'hôtel sans aucune mauvaise intention et jetait contre eux des pierres et les tuiles de la couverture. Il avait été frappé d'une flèche, dont il était mort (cela n'était pas niable), mais on ne pouvait savoir par qui. En tout cas, on se trouvait en état de légitime défense et l'homicide était tout ce qu'il y a de plus excusable. Tel est le résumé de la version contenue dans les différentes requêtes présentées par Mathurin d'Appelvoisin, Jacques Jousseaume et les autres, en vue de se faire délivrer plus facilement leur rémission.
Hector Rousseau, qui appartenait à une famille estimée et bien apparentée, était procureur du roi en la sénéchaussée de Guyenne et placé sous la sauvegarde royale depuis un autre attentat dont il avait été victime six ans auparavant, et qui avait failli déjà lui coûter la vie. Nous avons parlé avec quelque détail de ce premier crime dans un autre endroit de ce volume2, et il nous suffira de [XXI] rappeler ici que son principal auteur, Jean de Beaumanoir, sr de la Héardière, était parent par alliance du sr de la Geffardière. Hector avait deux frères, Albert, qualifié écuyer, et Charles, religieux de l'ordre de Saint-Benoît. Par son second mariage, il était entré dans la famille d'un président au Parlement bien connu, Jean Rabateau.
Aussitôt après le tragique événement, Louise Rabateau, veuve d'Hector, tutrice de sa fille Jeanne, et Albert Rousseau, comme ayant le bail de Marguerite, fille du premier lit du défunt, demandèrent justice tout d'abord aux officiers de la sénéchaussée de Poitou. Mais ceux-ci firent preuve d'une grande partialité en faveur des inculpés, parce qu'ils craignaient de déplaire au sénéchal, Louis de Beaumont, sr de la Forêt-sur-Sèvre, qui avait épousé une cousine germaine de Jacques Jousseaume, sr de la Geffardière. Un semblant de procédure fut entamé à Poitiers, et dès le premier incident, les plaignants, voyant le peu de bienveillance des juges, relevèrent appel. Le Parlement de Paris, au premier examen de l'affaire, en retint la connaissance et s'en réserva le jugement. C'est dans les registres criminels de la cour que nous puisons les renseignements qui vont suivre.
Vingt inculpés, au début du procès, étaient englobés dans les poursuites : Jacques Jousseaume, écuyer, sr de la Geffardière, Mathurin d'Appelvoisin, chevalier, Jean et Jacques de Puyguyon, Jean Beufmont, écuyers, Mathurin Marot, substitut à Fontenay-le-Comte, Nicolas Martin, praticien en cour laie, demeurant à Saint-Pierre-du-Chemin, Jean Chauvin (aliàs Derveau ou Dreveau, dit Chauvin), de Montournais, Maurice Herpin, du Breuil-Barret3 Jean Lermenier, Mathurin Helyot, dit Hariau, Guillaume Durant, Jean Auguin, Jean Brisset, Jean Dauras, Guillaume Guérart, sergent, Etienne Bérault, archer, Jean Payron, Marsault Martin et Guillaume Pauvereau. Avant d'indiquer les phases diverses d'une procédure très compliquée, nous devons tout d'abord présenter, d'après les plaidoiries et les arrêts, un résumé - des faits, tels qu'ils furent exposés par les parents de la victime et leur avocat Popaincourt.
Celui-ci, après avoir rappelé l'état civil d'Hector Rousseau, qui avait trente-cinq ans au moment de l'attentat, l'honorabilité de sa famille, ses deux mariages, les alliances qui en résultaient, ses fonctions de procureur du roi en Guyenne, l'estime, la considération [XXII] et aussi les biens patrimoniaux considérables dont il jouissait, explique l'origine de la haine que lui avaient vouée les deux principaux accusés. Le lieu sur lequel le défunt avait fait construire ou plutôt réédifier la maison du Breuil-Barret lui appartenait, ainsi que la censive et la justice. Jaloux de garder ses droits et d'améliorer son domaine, il y fit creuser deux étangs, qui coûtèrent d'ailleurs fort cher. Mathurin d'Appelvoisin, à l'instigation de sa mère, qui se prétendait lésée, fit par deux fois rompre les chaussées des étangs et battre les terrassiers qui y travaillaient. Dès lors il devint l'ennemi juré de ce voisin peu commode qui, fort de son bon droit, avait porté plainte contre lui à la sénéchaussée de Poitou, puis à la cour, et s'était fait placer sous la sauvegarde du roi. Le sr de la Geffardière, de son côté, prenant fait et cause pour son cousin Jean de Beaumanoir qui, en réparation de son agression criminelle contre Hector et quoiqu'il eût, lui aussi, obtenu des lettres de rémission, avait été condamné à de grosses amendes et à la prison4, cherchait tous les moyens de le venger et avait conclu dans ce but un pacte avec Mathurin d'Appelvoisin. Ils avaient certainement résolu l'un et l'autre, depuis longtemps, la mort d'Hector Rousseau. L'avocat raconté une première tentative qu'ils firent pour se débarrasser de lui et qui échoua parce qu'ils ne purent l'atteindre. Cette fois déjà, accompagnés de « gens armés et embastonnés », ils étaient venus à son hôtel du Breuil-Barret, pour le surprendre. Heureusement il était absent. Les deux complices durent se contenter de rompre les huis et les fenêtres et d'emporter ce qu'ils purent. Puis ils se rendirent à l'hôtel de Pierre Goulart et lui demandèrent où était Hector, jurant et reniant Dieu qu'ils lui « osteroient la vie du corps quelque part que trouver le pourroient ». Goulart leur remontrant que ce serait folie, Jousseaume ajouta qu'il voudrait avoir perdu 2000 écus et que Rousseau fût mort, et que, quoi qu'il advint, il le ferait périr. Ayant appris alors qu'Hector allant à Paris devait passer par Parthenay, ils partirent à sa poursuite de toute la vitesse de leurs chevaux, poussèrent jusqu'à Parthenay et là ayant su que le voyageur avait beaucoup d'avance, ils renoncèrent à aler plus loin. « Il l'a échappé belle ! » dit Jousseaume, et pour se consoler, il battit la femme d'un maréchal, en relations avec Hector, de qui il tenait le renseignement.
Hector Rousseau fut averti de cette entreprise ; il sut aussi que [XXIII] le sr de la Geffardière, mettant à profit sa parenté avec le sénéchal de Poitou, avait réussi, par ses démarches et sollicitations, à se faire délivrer un décret de prise de corps contre lui par le juge de Fontenay. Il releva appel à la cour, et comme on venait le signifier à Jousseaume, celui-ci vint s'embusquer dans un bois avec plusieurs de ses gens, en habillement de guerre et tenant à la main une arbalète bandée. Il ne trouva pas encore l'ennemi qu'il cherchait, mais seulement son frère Charles Rousseau, un de ses serviteurs nommé Nalot et le sergent qui était chargé de porter à sa connaissance l'acte d'appel ; il leur donna la chasse et battit le sergent, ne lui cachant pas que son plus vif désir était qu'Hector mourût de sa main, ce qu'il répétait du reste publiquement. Dans cette intention il vint plusieurs fois au Teil, distant d'un quart de lieue du Breuil-Barret, et il continuait, malgré l'appel, à circonvenir le sénéchal afin d'en obtenir un nouveau mandat d'amener. Rousseau, qui était au courant de ces menées, se rendit à Poitiers, où il demeura plusieurs semaines, se montrant chaque jour au Palais et répétant aux officiers de justice que son ennemi, il le savait bien, voulait le faire emprisonner, qu'il prenait les devants et était prêt à répondre à quiconque voudrait se faire partie contre lui. Mathurin d'Appelvoisin et Jousseaume chargèrent Puyguyon et un autre de leur faire dire quand Hector retournerait à son hôtel. Celui-ci en effet, après avoir vainement attendu qu'on le poursuivît judiciairement, se décida à quitter Poitiers et rentra chez lui le samedi veille de la Pentecôte. Ses adversaires, immédiatement avertis, arrivèrent le jour même à l'hôtel du Teil, chez les Puyguyon. Jousseaume, accompagné de dix ou douze hommes armés, y coucha ; le soir il planta contre le mur une chandelle allumée sur laquelle il fit tirer ses arbalétriers, disant qu'elle représentait son ennemi et que celui qui la toucherait aurait dix écus. Le lendemain matin, il envoya requérir Mathurin Marot et Appelvoisin de faire toute diligence, et en même temps, sur son ordre, Maurice Herpin alla dire à Rousseau que son père, avec lequel il était en procès, très désireux d'en venir à un arrangement, le viendrait voir dans la journée, et qu'il l'attendît. Rousseau, crédule, répondit qu'il était très content de cette ouverture et pria le messager de rester à dîner avec lui, invitation que celui-ci déclina, prétextant qu'il en avait accepté une semblable de Guillaume Durant, son beau-frère, et lui avait engagé sa parole. Le sr de la Geffardière et sa compagnie demeurèrent au Teil sans bouger, du samedi au dimanche 14 après midi. [XXIV] Charles Rousseau, le religieux bénédictin, vint sur ces entrefaites dire à son frère qu'il y avait au Teil des gens assemblés contre lui, et en conséquence qu'il s'enfermât dans sa maison ou bien, ce qui serait mieux, qu'il quittât le pays sans perdre de temps. D'autres avertissements semblables lui vinrent de différents côtés. Hector se mit à table. Après dîner et comme il disait ses grâces, arriva la bande de Jousseaume, celui-ci en tête, criant : « A mort, à mort ! tuez, tuez ! » et tirant des raillons, par les fenêtres ouvertes. La femme d'Hector sortit, espérant calmer ces forcenés ; elle se mit à genoux devant Jousseaume, lui requérant merci, faisant appel à son honneur de gentilhomme et lui demandant ce qu'il reprochait à son mari. Mais il lui arracha son chaperon, la déchevela et la traita de ribaude et de p.... Alors elle rentra dans sa maison. Rousseau vint à une fenêtre, haute de dix à douze pieds et toute treillissée ; il la ferma à cause des traits qui y pleuvaient. Jousseaume, qui l'aperçut, lui cria qu'il aurait son corps et le diable son âme, et qu'il ne fallait que lui pour bourreau. Hector lui déclarant qu'il appelait de cette agression, il repartit que cet appel ne lui servirait de rien. A ce moment, Louise Rabateau sortit de nouveau et trouva des arbalétriers tout autour de son hôtel. Elle s'agenouilla une seconde fois devant Jousseauame et le pria d'avoir pitié de son mari, lui offrant de bailler caution et de promettre par serment qu'il se rendrait partout où l'on voudrait le mener. Le sr de la Geffardière ne lui répondit rien, mais Colas Martin la frappa d'un vouge et la renversa dans un fossé rempli d'épines, où elle fut blessée cruellement au visage et aux mains ; or elle était grosse et quelques jours après elle accoucha d'un enfant mort.
Ensuite Jousseaume envoya Puyguyon et Herpin dire à Appelvoisin et à Marot de se hâter. Sur les trois heures, le premier arriva à la tête d'une troupe armée et demanda si le ribaud n'était pas pris. Alors il fit apporter des fagots et des bûches contre la porte de l'hôtel, rompit l'huis et essaya de pénétrer à l'intérieur. A Hector qui lui demandait ce qu'il voulait, il répondit qu'il avait charge de l'emmener prisonnier ; puis, invité à montrer sa commission, il déclara que ce n'était pas nécessaire. Après quelques pour parlers plus courtois, il entra seul dans l'hôtel, affirma que la commission existait, qu'elle était entre les mains de Marot, mais qu'on ne l'attendrait pas et qu'il fallait s'en rapporter à lui et obéir. Hector lui signifia qu'il appelait de cette commission, et Louise le supplia à genoux d'avoir pitié de son mari : « Je ne puis, [XXV] répondit-il, lui vouloir du bien, après le tort qu'il m'a fait.» Alors Rousseau et sa femme lui dirent qu'ils remettaient leur sort entre ses mains, ce dont il parut satisfait surie moment, et même, à la prière qu'ils lui adressèrent de faire partir Jousseaume, il répondit qu'il voulait bien essayer. A cet instant, croyant les choses en voie d'apaisement, Louise porta dehors du pain et du vin ; mais ce fut une nouvelle occasion d'injures de la part du sr de la Geffardière ; il s'écria qu'il ne goûterait pas au vin de ce « vilain sorcier clerjaut » et ne quitterait la place qu'après avoir accompli sa volonté. Appelvoisin rapporta ces propos à Hector et ajouta qu'ils n'étaient pas de nature à faciliter l'accord. Puis il sortit de nouveau, continuant l'entretien avec Louise Rabateau ; il la conduisit à l'hôtel de la Houssaye, et lui promit encore de faire ses efforts pour arranger l'affaire et d'écrire dans ce but au sénéchal de Poitou, qui se trouvait à cette heure au château de la Forêt-sur-Sèvre. De fait il se mit à écrire et fit le semblant de bailler sa lettre au fils de la Houssaye, pour la porter au destinataire. Celui-ci n'alla guère loin, car il était au Breuil-Barret dans la même soirée et fut témoin des événements qui suivirent.
Cependant Jousseaume demeurait inflexible et se montrait de plus en plus insultant. A une nouvelle tentative que fit Louise pour le fléchir, il lui conseilla d'aller changer sa robe rouge contre une noire, et à la fille aînée d'Hector il dit que si elle voulait rester là, il lui ferait manger du cœur de son père. Un notable marchand qui passait par le pays osa lui reprocher sa conduite et offrit de donner jusqu'à dix mille écus de caution pour Rousseau, dont il répondrait corps pour corps. « Va-t-en d'ici, ou il pourrait t'en cuire ! » lui repartit en jurant La Geffardière, et il répétait qu'il aurait le corps et le diable l'âme. De son côté, Hector criait qu'il ne demandait pas mieux que d'obéir, mais qu'on lui montrât la commission, ajoutant qu'il était appelant et renouvelait son appel.
Sur le soir, Marot arriva avec ses archers. Appelvoisin s'était désarmé et avait revêtu la robe blanche d'un moine. Jousseaume, qui avait fait apporter des vivres, lui envoya demander s'il viendrait souper avec lui et tiendrait son serment. Il se rendit à l'invitation, et vint déclarer à Hector qu'il n'y avait rien à faire et que, eût-il cent vies, il n'en réchapperait point et mourrait ce jour-là. Leurs compagnons et complices rompirent alors une vieille loge de charpenterie, mirent le bois en un tas, assemblèrent, trois ou quatre cents fagots dont Hector avait fait provision et placèrent [XXVI] le tout contre la porte de l'hôtel. Appelvoisin alla s'armer de nouveau et revint dire à Rousseau qu'il lui rendit sa foi, car il fallait qu'il mourût. Louise Rabateau avec ses enfants s'en fut à l'église prier pour son mari. Marot dit alors que, puisque le ribaud n'était pas pris, on allait lui faire un beau feu. Jousseaume, Appelvoisin et Marot se retirèrent un peu en arrière et conférèrent ensemble. Le premier chargea Nicolas Martin de recommander à Guillaume Julien, proche voisin, d'enlever ses meubles et de faire sortir de la maison ses enfants, parce qu'on se disposait à brûler l'hôtel des Rousseau. Aussitôt Marot cria au feu! avant même qu'il fût allumé, puis, feignant d'être malade, il s'en alla au Breuil-Barret.
Le feu, activé par le vent, prit de tous les côtés à la fois et bientôt serra de si près Hector qu'il dut se réfugier sur le toit, criant qu'il se rendait à Jousseaume et lui requérait merci. Celui-ci lui répondit en ricanant : « Brûle, ribaud, brûle ! » En même temps on faisait pleuvoir sur le malheureux des pierres et des traits. Finalement il s'adossa à la maçonnerie d'une cheminée et commença à faire sa prière. Jousseaume, le voyant en cette posture, le montra à l'un des arbalétriers que Marot avait amenés, nommé Etienne Bérault5 qui lui tira un raillon par le travers du corps. Il mourut sur le coup. Jousseaume fit monter Jean Chauvin sur la maison et lui donna l'ordre de jeter le cadavre en bas, lui promettant sa dépouille. Ainsi fut fait. Une fois à terre, Chauvin lui ouvrit la bouche à l'aide d'une javeline, afin de s'assurer qu'il était bien mort, puis il lui retira ses vêtements et les suspendit à un bâton, disant que c'était la peau du loup. Jousseaume fit déchausser sa victime, pour voir, disait-il, « l'eguillette que son cousin Beaumanoir lui avoit baillée », et joignant l'ironie à la cruauté, il eut cette exclamation : « Tu peux te vanter, ribaud, de nous avoir donné du mal ! » Le cadavre resta deux jours sur la place. Ce fut seulement le troisième jour qu'Albert Rousseau arriva, et le fit ensevelir et enterrer6.
L'hôtel fut entièrement consumé et les meubles, papiers et biens qu'il renfermait devinrent la proie des flammes. On ajoute [XXVII] que deux jeunes pèlerins, qui étaient venus de Bretagne le jour même et avaient été retenus à dîner par Hector Rousseau, furent brûlés sous un lit où la frayeur les avait fait se cacher. Charles Rousseau le religieux, frère du défunt, sauta par une fenêtre au moment de l'incendie. Les forcenés le rouèrent de coups et Peussent tué s'il n'eût trouvé le moyen de leur échapper par la fuite. Les deux serviteurs du défunt, Etienne Nalot et Jean Potier, tombèrent dans leurs mains, subirent leurs mauvais traitements, furent liés à la queue des chevaux et menés à Fontenay-le-Comte et de là à Poitiers, où ils restèrent longtemps en prison7.
Ce récit diffère du tout au tout de celui des lettres de rémission, comme il est facile de s'en assurer en comparant les deux textes. Peut-être, si l'on voulait les discuter phrase par phrase, ce que nous n'avons pas l'intention de faire, trouverait-on que certains points restent obscurs, la question des coulevrines par exemple. Il n'était pas commun que des engins de guerre de cette sorte se trouvassent dans des maisons particulières. Aussi les inculpés n'auraient certainement pas imaginé d'accuser Rousseau de s'en être servi contre eux, s'il n'en eût possédé au moins une au Breuil-Barret. L'avocat de ses héritiers eut l'occasion, dans une réplique, de reconnaître qu'en effet il y avait une coulevrine dans l'hôtel d'Hector, mais qu'elle était hors d'usage et provenait de Jean Mourraut, le premier mari de Jeanne Rabateau8. Rousseau aurait essayé de s'en servir pour repousser ou effrayer les assaillants, qu'il n'y aurait pas lieu d'en être autrement surpris ; il n'était probablement pas d'un caractère plus endurant que ses adversaires. Mais cela n'excuserait en rien la conduite de ceux-ci.
Dès le 26 mai 1458, le Parlement prescrivit une information sur les lieux et l'emprisonnement des coupables. Guillaume Artault, premier huissier de la cour, commis à l'exécution de ces ordres, parvint à mettre en état d'arrestation, à Poitiers même, Mathurin Marot et Jacques Jousseaume. Il saisit leurs chevaux et confia les deux prisonniers à la garde d'Hugues de Conzay, lieutenant du sénéchal. Il se rendit ensuite à Saint-Pierre-du-Chemin, pour prendre Mathurin d'Appelvoisin. Celui-ci l'ayant menacé de sa dague, il se contenta de l'ajourner et revint à Poitiers. Là il réclama en vain ses prisonniers, qu'il était chargé de conduire à [XXVIII] Paris ; Conzay et le procureur du roi, Jean Barbe, refusèrent de les livrer et, deux jours après, les firent remettre en liberté.
La cour, continuant les procédures, ajourna à plusieurs reprises9 Mathurin d'Appelvoisin, Jacques Jousseaume et tous les complices dont nous avons relevé les noms ci-dessus. Aucun né comparut. Louise Rabateau et Albert Rousseau obtinrent trois défauts contre eux, le 21 novembre 1458, les 1er mars et 4 mai l459. Plusieurs des inculpés cependant, entre autres Appelvoisin, Jousseaume, Marot et Martin, étaient venus à Paris, afin de faire agir leurs amis et négocier leur rémission ; en attendant, ils s'étaient mis en franchise au couvent des Frères mineurs, comme on l'apprend par un mandement de la cour au sénéchal du Poitou, où il est dit aussi que celle-ci, ayant été consultée et considérant le cas comme irrémissible, avait donné un avis défavorable, ce qui avait décidé les susdits à regagner leur pays. Ce mandement avait pour objet de faire mettre en vente les biens des coupables, afin de permettre à Albert Rousseau, avec l'argent qui en proviendrait, de continuer les poursuites. Cependant, le 19 juin suivant, munis enfin de leurs lettres de rémission, Mathurin d'Appelvoisin le sr de la Geffardière, Jean de Puyguyon, Jean Beufmont, Mathurin Marot, Nicolas Martin et Jean Derveau, dit Chauvin, se présentèrent devant la cour, pour en requérir l'entérinement. La veuve d'Hector Rousseau et son frère, auxquels s'était joint le procureur général, se déclarèrent opposants à cette requête et demandèrent : 1° l'emprisonnement des impétrants; 2° un double de leurs lettres, afin de pouvoir les réfuter, ce qui leur fut accordé. Les sept demandeurs furent incarcérés à la Conciergerie jusqu'à nouvel ordre. A la même audience, se produisit une autre complication : l'évêque de Poitiers fit réclamer les prisonniers, prétendant qu'ils étaient clercs et par suite ses justiciables. On verra que plus tard Jacques de Puyguyon, fils de Jean et l'un des inculpés, fut rendu, lui, à l'évêque de Paris, qui fit instruire son procès séparément, sa qualité de clerc étant établie. Quant aux autres, leur prétention n'avait d'autre but que de créer un incident, de compliquer la procédure et d'en retarder la conclusion ; elle fut écartée10. [XXIX] Ce même jour encore, 19 juin, Louise Rabateau et Albert Rous- seau se firent adjuger le profit d'un nouveau défaut contre Mathurin Hélyot dit Hariau et Jean Lermenier. Disons tout de suite que ces deux complices subalternes de l'assassinat d'Hector Rousseau furent condamnés comme contumaces, le 10 septembre 1460, à être pendus et étranglés, ou, s'ils ne pouvaient être appréhendés, au bannissement perpétuel et a la confiscation de tous leurs biens, sur lesquels préalablement seraient retenues la valeur et estimation de l'hôtel du Breuil-Barret et des autres biens qui avaient péri dans l'incendie, plus 200 livres de dommages et intérêts au profit des parents de la victime. Dans cet arrêt dont le préambule et les considérants sont très explicites, on rappelle toutes les procédures antérieures et on précise beaucoup de détails particuliers sur les excès commis contre Hector Rousseau par ses meurtriers, notamment par le sr de la Geffardière, et sur les réparations qu'exigeaient Louise Rabateau et Albert Rousseau11.
C'est le mardi 17 juillet 1459, à la suite d'une première remise à huitaine, que les parties commencèrent leurs plaidoiries. Après avoir exposé les faits tels qu'ils ont été relatés ci-dessus et ajouté que les coupables n'avaient obtenu leur rémission qu'à l'aide d'une fausse déclaration, ayant prétendu, contrairement à la vérité, qu'ils avaient donné satisfaction aux parents du défunt, Albert Rousseau et Louise Rabateau firent connaître ce qu'ils demandaient à titre de réparation civile : amende honorable, apposition de trois inscriptions rappelant le crime, l'une sur la porte de l'hôtel d'Appelvoisin, la seconde sur la porte de l'hôtel de la Geffardière et la troisième sur 1'emplacement de l'hôtel d'Hector Rousseau ; érection sur la place publique du Breuil-Barret d'une croix de pierre avec une inscription semblable ; image taillée, représentant la victime, que les meurtriers, après l'avoir baisée sur la bouche, porteraient eux-mêmes à l'église, où ils feraient célébrer trois messes chantées et cent messes basses, auxquelles ils seraient tenus d'assister et à l'issue desquelles, vêtus de deuil et tenant à la main une torche ardente, ils reconduiraient les parents chez eux et distribueraient aux pauvres du pays une aumône de deux blancs à chacun. Ils entendaient aussi que les coupables fussent condamnés à fonder [XXX] une chapelle dotée de cent livres de revenu, plus les calices et ornements nécessaires aux cérémonies du culte, dont la collation appartiendrait à l'évêque de Maillezais et la présentation aux plus proches parents d'Hector ; à remettre la maison brûlée en l'état où elle se trouvait avant l'incendie, y compris les meubles, le tout estimé à 3 000 écus ; à payer à la veuve et aux enfants une somme de 12.000 écus et à leur asseoir une rente annuelle de 400 livres, etc.
Le 20 juillet, continuation des plaidoiries. Popaincourt examine l'une après l'autre les lettres de rémission et démontre qu'elles sont subreptices, obreptices et inciviles. Nous ne le suivrons pas dans le développement de ses arguments, ce qui nous entrainerait trop loin. De façon générale il reproche aux accusés d'avoir tu certains faits et défiguré les autres. En ce qui touche plus particulièrement Mathurin d'Appelvoisin et Jacques Jousseaume, il fait connaître leurs antécédents et leur moralité, que ceux-ci prétendaient au-dessus de toute atteinte, alors que le premier avait rompu les étangs d'Hector et battu les terrassiers, ce qui avait été établi avec toute certitude, et que le second s'était rendu coupable de sévices graves sur la personne de René Chauderier, et avait fait mettre à-mort Jacques Coulon, de la Loge-Fougereuse, sur une fausse accusation de sorcellerie, et détruire aussi sa maison par le feu12.
Ensuite Champront, avocat de Charles Rousseau et des deux serviteurs d'Hector, fit le récit des graves excès commis contre eux et des coups qu'ils reçurent au moment où ils s'enfuyaient de la maison incendiée. Poignant, avocat des inculpés, opposa tout d'abord aux plaignants une fin de non-recevoir, sous prétexte qu'ils avaient cédé leur action à M. Guy Pignard, procureur, et que c'était ce dernier qu'il aurait dû avoir en face de lui. Néanmoins ce jour-là et le 2 août suivant, après avoir fait un grand éloge de ses clients et parlé des services rendus au roi par Mathurin d'Appelvoisin et le sr de la Geffardière, il développa longuement les raisons qui pouvaient être invoquées en faveur des rémissions [XXXI] obtenues, affirmant que celles-ci contenaient l'exacte vérité, que la commission donnée contre Hector Rousseau était basée sur des motifs sérieux, qu'en aidant à son exécution, comme ils en étaient requis, Appelvoisin, Jousseaume et les autres avaient accompli un devoir, et que la mort de Rousseau et l'incendie de son hôtel n'étaient que des accidents auxquels ils avaient été présents, sans en être responsables, niant tous les faits produits à leur charge par les parents du défunt. Le récit qu'il leur oppose est la reproduction du contenu des rémissions. Son plaidoyer occupa encore les audiences des 9 et 16 août, et il le termina en concluant à l'absolution de tous ses clients, à leur mise en liberté immédiate, à l'entérinement pur et simple de leurs lettres de rémission, et à des dommages et intérêts à leur profit.
Le lendemain, le procureur du roi, intervenant, déclara que les rémissions n'auraient jamais été octroyées, si les impétrants avaient avoué la haine qu'ils portaient à Hector, les procès qui étaient pendants entre eux, l'infraction de la sauvegarde royale, leur culpabilité certaine en ce qui touche le crime d'incendie, résultant de ce fait bien constaté et prouvé qu'ils avaient amoncelé des fagots et autres matières combustibles contre la porte de l'hôtel. En conséquence, les lettres devaient être tenues pour subreptices et obreptices, et la requête d'entérinement rejetée. Il requit que les témoins, qui avaient été interrogés déjà trois fois sur la façon dont le feu avait été bouté, comparussent devant la cour. En ce qui concernait les peines encourues par les inculpés, il les demandait sévères : la confiscation de leurs biens, le bannissement à perpétuité, ou au moins à temps, l'amende honorable, une amende profitable double de celle que les parents de la victime requéraient, et la prison jusqu'au parfait paiement.
Dans les répliques prononcées le 20 août, qui reviennent sur des points de détail, nous ne relèverons que l'affirmation de-Popaincourt que la commission dont se prévalaient les accusés n'existait pas au moment de l'attentat, et qu'ils l'avaient sollicitée depuis et obtenue frauduleusement pour atténuer le cas. Il ajoutait que, de toute façon, il eût été absolument contraire à la raison et aux lois de charger de l'arrestation d'Hector Rousseau des hommes avec lesquels il était en conflit d'intérêts et qui faisaient profession publique de la détester13. [XXXII] Mathurin d'Appelvoisin et ses complices restaient détenus à la Conciergerie, où ils avaient été enfermés dès le 19 juin, comme on l'a vu, et leurs biens saisis étaient administrés sous la main du roi par des commissaires. Pendant ce temps, Louis Chabot, seigneur du Petit-Château de Vouvant, prétendant que la connaissance des faits incriminés lui appartenait, parce que l'hôtel où avait été tué Hector Rousseau était situé en son domaine et seigneurie, avait fait ajourner les accusés à comparaître personnellement à son assise du Petit-Château, par cédules affichées à la porte de leurs domiciles respectifs, « soit à la requête d'Albert Rousseau et de Louise Rabateau, disaient ceux-ci (ce qui est peu vraisemblable), soit autrement ». Il avait même commencé les procédures et prononcé plusieurs défauts contre eux. Le 13 septembre 1459, la cour, par mandement adressé au premier huissier ou sergent sur ce requis, fit interdire à Louis Chabot, à ses sénéchal et autres officiers, d'attenter quoi que ce soit au préjudice du procès pendant devant elle, sub certis magnis penis14.
Deux jours après, le 15 septembre, la chambre criminelle se prononça sur les provisions requises de part et d'autre. Les prisonniers obtinrent leur élargissement dans la ville de Paris jusqu'au lendemain de la Saint-Martin suivante, à condition de réintégrer ce jour-là la Conciergerie du Palais et de faire élection de domicile à Paris, sous peine d'être déchus ipso facto de l'effet de leur rémission. Sur leurs biens meubles et immeubles saisis, une provision de 300 livres fut accordée à la veuve et aux héritiers d'Hector, « pour leur vivre et la conduite de leur procès ». Recréance provisoire fut faite aux inculpés du restant, avec permission de prélever, aussi pour leur vivre et frais de leur procès, savoir à Appelvoisin et à Jousseaume, chacun 200 livres, et aux cinq autres chacun 40 livres, mais avec interdiction d'aliéner quoi que ce fût de leurs immeubles jusqu'à ce qu'il en fût ordonné autrement. Il était mandé au sénéchal de Poitou ou à son lieutenant de faire exécuter ces décisions15.
Les choses paraissent être restées en l'état jusqu'au 26 mars 1460. A cette date fut rendu un arrêt interlocutoire, qui marque un point de repère important dans la marche du procès. Nous en donnons la substance. Entre Louise Rabateau, en son nom et comme tutrice de Jeanne, sa fille mineure, Albert Rousseau, [XXXIII] curateur de sa nièce Marguerite, fille du premier lit d'Hector Rousseau, et le procureur général joint avec eux, à cause du meurtre dudit Hector et de l'incendie de son hôtel, demandeurs; les mêmes requérant les dépens de certains défauts par eux obtenus contre Mathurin d'Appelvoisin, chevalier, Jacques Jousseaume, Jean de Puyguyon, Jean Beufmont, écuyers, Mathurin Marot, Nicolas Martin et Jean Dreveau, dit Chauvin, demandant en outre sur les biens des susnommés une provision de 2000 écus d'or, d'une part, et lesdits Mathurin d'Appelvoisin et ses consorts, appelants de Guillaume Artault, premier huissier du Parlement, et requérant l'entérinement de leurs rémissions, la mise en liberté de leurs personnes et mainlevée de leurs biens séquestrés à cause desdits forfaits, et en outre demandant qu'il soit dit que Louise Rabateau et Albert Rousseau ne doivent avoir nuls dépens à cause des dits défauts et aucune autre provision sur leurs biens, d'autre part; vu par la cour les lettres, titres, exploits, productions, etc., il a été arrêté : 1° touchant l'entérinement des rémissions, les excès et l'appel relevé par Hector Rousseau, que les parties sont appointées contraires, qu'en conséquence ils sont admis, de part et d'autre, à établir et à prouver leurs faits et à procéder pour ce, chacun de son côté, à une enquête; qu'ils se communiqueront réciproquement leurs écritures, dûment collationnées, à la Saint-Jean-Baptiste prochaine. La cour accordé aux parties, pour faire lesdites enquêtes et les lui rapporter, jusqu'au lendemain de la Saint-Martin d'hiver suivante, pour tout terme et délai. Mathurin d'Appelvoisin et les autres viendront en personne répondre aux articles de leurs adversaires per crédit vel non crédit ; de même ils devront être présents à la réception des enquêtes. 2° Touchant leur appel de l'exploit de Guillaume Artault, il est dit que cet huissier a agi légalement et conformément à sa commission, que lesdits d'Appelvoisin et consorts ont appelé à tort et qu'en conséquence ils paieront l'amende au roi seulement et aussi les dépens de ladite cause d'appel. En outre, ils sont condamnés aux dépens des défauts visés, chacun pour la part et portion qui peut le toucher, le chiffre des dits dépens réservé à la cour16. 3° En ce qui concerne les provisions requises par les deux parties, Louise Rabateau et Albert Rousseau [XXXIV] auront une nouvelle somme de 500 livres sur les biens des défendeurs, pour leur vivre et conduite du procès, savoir 150 livres sur ceux de Mathurin d'Appelvoisin, 150 sur ceux de Jousseaume, sur ceux de Puyguyon, de Marot et de Martin, 50 livres chacun, et sur ceux de Jean Beufmont et de Chauvin, 25 livres chacun. Recréance sera faite à ceux-ci du restant de leurs biens saisis et ils en pourront jouir jusqu'à nouvel ordre. Puis, à la charge d'élire domicile à Paris et de se représenter à toute réquisition, la cour les élargit partout17.
Le 29 mars suivant, fut réglé aussi un incident soulevé par Mathurin Marot. Pendant qu'il était détenu à Paris, ses ennemis avaient fait courir le bruit qu'il était destitué de son office de substitut à Fontenay-le-Comte et qu'il allait être remplacé. Gilles Corbeau, agissant en qualité de sergent du roi, à l'instigation, disait Marot, de Louise Rabateau et d'Albert Rousseau, s'était transporté avec d'autres personnes dans sa maison et en avait enlevé tous ses papiers, registres, sacs, enquêtes, y compris les informations touchant le domaine et la juridiction du roi ; il en avait confié la garde à un habitant de Fontenay, nommé Etienne Besnereau. Mandement fut envoyé au sénéchal de faire remettre l'exposant en possession de tous ses papiers et d'empêcher qu'il ne fût désormais troublé dans l'exercice et la jouissance de son office18. De leur côté, Louise et Albert s'étaient plaints à la cour de n'avoir pu se faire payer de la somme qui leur avait été accordée à titre de première provision, par arrêt du 15 septembre 1459. Les commissaires chargés de l'administration de l'hôtel de la Bodinatière et des autres héritages dévolus à Mathurin d'Appelvoisin par suite du décès de son père, avaient réuni en ce lieu tous les fruits et revenus provenant non seulement de cette terre, mais aussi des autres appartenant à celui-ci et mises sous la main du roi. Quand, pour se conformer à l'ordonnance de la chambre criminelle, ils s'étaient transportés à la Bodinatière, dans l'intention de procéder à la vente de ce qui était nécessaire pour parfaire la somme requise, la mère de Mathurin leur en fit fermer les portes, leur interdit d'y rien prendre, prétendant que ces biens étaient sa propriété à elle, et appela de leur commission, si bien qu'ils n'avaient osé procéder à son exécution et que les exposants restaient frustrés des 100 livres -qu'ils avaient droit de prélever [XXXV] sur lesdits biens. Ils n'avaient rien pu avoir non plus des 20 livres que devait, aux termes du même arrêt, leur payer Jean Beufmont, sous prétexte que celui-ci et ses frères n'avaient pas encore fait le partage de la succession de leurs parents. Le même jour, 29 mars, en conséquence, la cour manda au sénéchal de tenir la main à l'exécution intégrale de l'arrêt du 15 septembre et aussi de celui du 26 mars suivant, ordonnant une nouvelle provision de 500 livres, nonobstant toutes oppositions et appellations19.
Louise Rabateau et Albert Rousseau ne devaient pas tarder à se trouver en présence d'obstacles plus sérieux, de difficultés et tracasseries autrement graves, et en butte même à des actes de violence. A peine remis en liberté et de retour en Poitou, Mathurin Appelvoisin et le sieur de la Geffardière, Nicolas Martin et leurs autres complices ne songèrent qu'à se venger des poursuites entreprises contre eux ; à tout instant ils proféraient des menaces et exerçaient des sévices à rencontre de ceux qui les avaient chargés dans leurs dépositions ou avaient blâmé leur conduite. Ils comptaient par ces moyens intimider les témoins et empêcher Albert Rousseau de procéder à l'enquête qu'il devait présenter au Parlement et de la terminer en temps utile. Partout où ils le rencontraient lui-même, ils lui répétaient : « Tu périras comme ton frère et, toi mort, il n'y aura plus personne pour nous poursuivre ». Un jour qu'Albert traversait un village, nommé le Busseau, Mathurin d'Appelvoisin, qui s'y trouvait, l'aperçut et, saisissant aussitôt son épée, il jura que s'il pouvait l'atteindre, il le tuerait sur la place, et de fait il l'eût frappé, si des gens du pays ne l'eussent empêché d'accomplir son dessein. Une autre fois, Nicolas Martin avait blessé jusqu'à grande effusion de sang un des serviteurs d'Albert et plusieurs autres personnes qui, dans les informations-faites à la requête de celui-ci, avaient témoigné contre lui, contre Jacques Jousseaume et leurs complices. Le même Nicolas Martin avait proféré les plus terribles menaces contre plusieurs de ces témoins, et les autres, qui n'avaient pas encore été examinés, il s'efforçait de les suborner [XXXVI] par des présents et des promesses, leur faisant jurer de ne pas dire la vérité, quand on les interrogerait. Ne pouvant vivre en sécurité dans le pays, Albert porta plainte de ces agissements, et la cour, le 2 juillet 1460, donna commission à l'enquêteur de la sénéchaussée de Poitou et au premier huissier ou sergent sur ce requis de s'adjoindre un autre sergent et un notaire de cour laie, et de procéder ensemble à une information diligente et secrète sur les coups et blessures, menaces et subornations dénoncés, et de renvoyer close et scellée à Paris20.
Mathurin d'Appelvoisin avait imaginé encore un autre moyen d'empêcher Albert Rousseau de poursuivre son enquête ; il l'avait accusé d'avoir fait usage d'un sceau royal falsifié. C'était un nouveau procès qui pouvait le retenir longtemps hors du pays, car la juridiction en cette matière appartenait au chancelier de France, qui suivait la cour dans ses déplacements. Rousseau dut se rendre prisonnier à Bourges. L'accusation ne reposant sur aucun fondement, son innocence fut reconnue ; mais il avait perdu plusieurs semaines et dépensé pas mal d'argent. Cependant, comme il avait été rendu à la liberté plus tôt que ne l'espéraient ses ennemis, on dut recourir à d'autres vexations. Le terme donné par la chambre criminelle aux parties pour produire leur enquête était proche, et il n'y avait plus de temps à perdre. Appelvoisin et le sieur de la Geffardière en revinrent aux moyens violents. Ils avaient réuni un certain nombre de gens malintentionnés, dont faisait partie Jean Bricare, sergent royal à Poitiers, celui qui, sur l'ordre obtenu du sénéchal, avait conduit Albert Rousseau à Bourges, dans le but d'exercer une pression sur les derniers témoins et de les terroriser. Ces gens avaient trouvé l'occasion de mettre une fois encore la main surie frère d'Hector ; ils l'avaient frappé, malgré le sauf-conduit du Parlement, et mené, ainsi blessé et ensanglanté, au château de la Forêt-sur-Sèvre, c'est-à-dire chez Louis de Beaumont, sénéchal de Poitou, l'y avaient mis aux fers et détenu dans une étroite prison, où il était encore le 18 septembre 1460, quand, ces criminels excès venus à la connaissance de la cour, celle-ci enjoignit au sénéchal, à son lieutenant, à Jean Bricare et à toutes les personnes qui avaient participé à ces violences, de faire remettre Albert en liberté, ou du moins de le faire conduire, avec les charges qui pouvaient avoir été relevées et les informations qui pouvaient [XXXVII] avoir été faites contre lui, dans les prisons de la Conciergerie du Palais à Paris. Pour le cas où ils refuseraient d'obéir ou chercheraient des échappatoires, ordre était donné aux porteurs du mandement de prendre Albert et de l'ajourner devant la cour, et, en tout état de cause, de procéder à une enquête secrète et diligente sur tous ces faits21. C'est vers cette époque que Louis de Beaumont dut quitter le sénéchalat de Poitou22 ; peut-être y a-t-il quelque rapport entre son remplacement et l'emprisonnement illégal de Rousseau au château de la Forêt ? On n'oserait l'affirmer. La coïncidence toutefois vaut la peine d'être notée.
Quoi qu'il en soit, Mathurin d'Appelvoisin et Jousseaume avaient atteint leur but. Quand arriva la Saint-Martin d'hiver, l'enquête que devait produire Albert Rousseau n'était pas parachevée ; celle de ses adversaires n'était pas prête non plus. Néanmoins, le mardi 18 novembre 1460, les parties comparurent au Parlement, comme elles y étaient tenues. Poignant prétendit que ses clients avaient été empêchés de faire leur information, parce que Louise Rabateau et Albert Rousseau avaient mis opposition sur leurs biens et revenus, dans le but de leur enlever les moyens d'en user pour faire face aux dépenses obligatoires, et requit un nouveau délai. Popaincourt répondit que, aux termes de l'appointement du 26 mars précédent, ses adversaires devaient être déclarés forclos. Pressé d'en finir, Albert Rousseau renoncerait lui-même à poursuivre plus avant son enquête ; d'ailleurs Appelvoisin et les autres avaient tout mis en œuvre pour la rendre illusoire, tandis qu'au contraire ils avaient eu, eux, tout le temps et toutes les facilités de parfaire la leur ; s'ils ne l'avaient pas fait, c'est qu'ils avaient intérêt à temporiser. Finalement il déclara ne pas s'opposer à un nouveau délai, à condition qu'il fût court23. Malgré tout, la production fut prorogée jusqu'au 15 mai 1461. Les meurtriers d'Hector Rousseau gagnaient du temps ; c'est ce qu'ils voulaient par-dessus tout, sentant bien que le jugement définitif ne pouvait que leur être contraire.
Le 5 mai 1461, on trouve sur le registre un défaut donné par la cour à Louise Rabateau et au procureur général contre Mathurin Marot et Guillaume Guérart, le sergent qu'il avait amené au Breuil-Barret, le jour du meurtre24, ce qui indiqué que la cause [XXXVIII] était disjointe en ce qui concernait ces deux personnages ; il n'est plus d'ailleurs question d'eux à partir de cette date. L'explication, on le verra plus loin, c'est que, à l'insu de sa belle-sœur, Albert Rousseau avait transigé avec Marot et, au moyen d'une composition pécuniaire, avait cessé les poursuites contre lui.
Le 15 mai, les parties se retrouvent donc à la chambre criminelle. Albert Rousseau, croyant cette fois toucher au terme, demande que les enquêtes soient reçues à juger. Mais ses adversaires ont découvert un nouveau moyen dilatoire. Quoique, en présence des commissaires chargés des informations, ils aient précédemment déclaré qu'ils renonçaient « à besongner plus avant », ils présentent une requête tendant à obtenir une visité de l'hôtel incendié et la levée d'un plan, parce que, prétendent-ils, ce supplément d'enquête établira péremptoirement que le feu mis du dehors n'aurait pu consumer la maison. Le débat recommence. Popaincourt dit que la matière est épuisée ; les commissaires ont reçu les dépositions des témoins qui étaient dans la maison et de ceux qui étaient dehors, au moment de l'incendie ; la preuve est faite : le feu a bien été allumé à l'extérieur. Cependant, que l'on fasse ce que l'on voudra, pourvu que les inculpés soient tenus en prison. Poignant répond que les témoins, ou du moins plusieurs d'entre eux, ont déposé faussement. Le procureur général qualifié la nouvelle requête de subreptice, obreptice, incivile et déraisonnable, dit qu'il ne doit y être obtempéré, qu'il est suffisamment prouvé que l'appentis a été démoli, le bois en provenant et les fagots disposés en tas contre la maison et que les flammes se propagèrent de l'extérieur à l'intérieur. Il conclut que les enquêtes sont suffisantes et doivent être admises comme telles. Faisant droit à ses conclusions, la cour ordonna qu'il fût procédé au jugement sur les enquêtes reçues, que la requête et les plaidoyers auxquels elle venait de donner lieu seraient joints au procès, et que les parties produiraient, dans trois semaines, « les lettres et reprouches de témoins25 ».
On pouvait alors se croire à la veille de la conclusion de cette interminable affaire. C'était une erreur. L'arrêt se fit attendre encore près de deux ans et demi; il devait être prononcé dans des circonstances bien différentes. La chambre criminelle, ayant reconnu et déclaré que la cause était en état d'être jugée et ayant ajourné sa suprême décision à trois semaines seulement [XXXIX] pour les dernières formalités de procédure, comment expliquer son inertie? Ne devait-elle pas, les parties présentes ou absentes, quitte à mettre en défaut une ou plusieurs fois de plus les manquants, donner enfin la solution si longtemps attendue? Aucun document ne permet de répondre avec certitude à cette question. On ne peut que constater le silence complet des registres criminels, entre le 15 mai 1461 et le 15 mars 1462.
Dans l'intervalle étaient survenus la mort de Charles VII et l'avènement de Louis XI, événements importants dans l'ordre politique et de plus favorables sans conteste aux intérêts particuliers de Mathurin d'Appelvoisin, de Jacques Jousseaume et de tous leurs adhérents. Au début d'un règne, il y a toujours des grâces à recueillir pour ceux qui disposent de certaines influences. Les Beaumont étaient très avant dans la faveur du nouveau roi, et les meurtriers d'Hector Rousseau, à côté de ceux-ci, avaient probablement d'autres protecteurs encore à la cour. Néanmoins ils durent attendre près de six mois l'occasion propice, c'est-à-dire le premier voyage de Louis XI dans la région poitevine. Informés de la prochaine arrivée du roi à Marans et usant d'un stratagème assez fréquemment employé dès avant cette époque, ils s'étaient arrangés de façon à se faire admettre dans les prisons de cette ville, afin de bénéficier de la délivrance et de la grâce plénière que les rois avaient coutume d'octroyer, à l'occasion de leur première entrée dans une ville, aux condamnés ou prévenus qui y étaient incarcérés. De toute évidence il fallait un ordre supérieur, adressé à la justice locale, pour autoriser un étranger à recourir à un procédé aussi abusif, qui certainement n'était pas à la portée de tout le monde. Primitivement cette prérogative royale s'exerçait au seul profit des prisonniers ressortissant à la juridiction du lieu ; mais, comme beaucoup d'institutions, elle subit peu à peu des déformations et engendra des abus. Quand la venue du roi était annoncée comme prochaine, il était devenu d'usage courant que l'on transférât dans les geôles d'une ville voisine les prisonniers du pays, pour faire place à des criminels venus de plus ou moins loin et que de hautes influences voulaient soustraire au châtiment.
Les lettres données par Louis XI à Marans, le 20 janvier 146226, en faveur de Mathurin d'Appelvoisin, Jacques Jousseaume, Jean [XL] et Jacques de Puyguyon27, Jean Beufmont, Nicolas Martin et Jean Derveau, dit Chauvin, étaient, on n'en peut douter, concertées à l'avance. Elles se rapprochent beaucoup par la forme des lettres de rémission ordinaires, en ce que, comme celles-ci, elles contiennent la relation développée des faits incriminés ; mais elles sont beaucoup plus explicites et péremptoires en ce qui concerne la remise des peines encourues : le procès instruit au Parlement est complètement mis à néant. D'ailleurs, par le fait même qu'elles étaient octroyées pour la joyeuse entrée du roi à Marans, leur vertu était plus efficace. Les actes de cette nature étaient considérés comme un motu proprio royal, qui ne pouvait être discuté et dont on ne pouvait combattre entérinement et l'exécution. Aussi, quand elles furent présentées au Parlement, Albert Rousseau et Louise Rabateau demeurèrent seuls, avec leur avocat, pour essayer d'en empêcher l'effet. Le procureur général cessa de faire cause commune avec eux. La poursuite criminelle était forcément abandonnée ; restait seulement la réparation civile, et même celle-ci devait être réglée avec plus de modération, conséquence naturelle de la grâce plénière.
Ce fut seulement le 6 mai de cette année que Mathurin d'Appelvoisin, Jousseaume, Puyguyon, Beufmont, Martin et Chauvin se présentèrent pour requérir l'entérinement de leurs nouvelles lettres d'abolition. Simon, au nom du procureur général, déclara qu'en cette matière il en avait toujours vu user ainsi : les prisons ouvertes franchement et les prisonniers aquittés des peines encourues envers la justice. Par suite, il ne pouvait empêcher l'entérinement des lettres et s'en rapportait à la discrétion de la cour. Popaincourt cependant tenta encore un effort pour parer ce coup. Il argua que les incidents dépendant de la première instance devaient être préalablement réglés, notamment en ce qui touchait la somme allouée à ses clients à titre de provision sur les biens de Mathurin d'Appelvoisin ; celui-ci avait toujours refusé de rien donner, sous prétexte qu'il n'était que nu-propriétaire de la Bodinatière et autres terres, et que sa mère en avait l'usufruit tant qu'elle vivrait. Cette question fut en effet réservée [XLI] et donna lieu à divers actes de procédure indiqués sur les registres, aux 25 et 28 mai. On retrouve même, le 13 décembre 1462 et le 19 juillet 1463, des défauts accordés à la veuve et au frère d'Hector Rousseau à rencontre de Mathurin d'Appelvoisin et des autres, tenus pour solidaires28. En somme, Albert Rousseau n'était plus aussi pressé d'arriver à la solution définitive, qui ne pouvait être que beaucoup moins avantageuse maintenant aux intérêts qu'il représentait qu'elle ne l'eût été avant les lettres de Marans ; il voulait d'abord être assuré du paiement de tout ce qu'il pouvait légitimement réclamer à ses adversaires, la question d'indemnité primant désormais toutes les autres, et pour arriver à ce but, il ne craignait plus d'être responsable, à son tour, des retards.
Enfin, le 10 septembre 1463, la cour rendit son arrêt. On y trouve reproduits la relation du meurtre d'Hector Rousseau et l'incendie de son hôtel, l'indication des principales phases du procès qui s'ensuivit et les dires contraires des parties. Le dispositif porte que les lettres d'abolition du 20 janvier 1462 seront entérinées ; Mathurin d'Appelvoisin, le sr de la Geffardière, Jean de Puyguyon, Jean Beufmont, Nicolas Martin et Jean Derveau, dit Chauvin, sont condamnés seulement à une réparation civile reglée ainsi qu'il suit : l'hôtel brûlé sera réédifié à leurs coûts et dépens, et remis dans l'état où il était avant l'incendie, y compris les meubles, lettres, papiers terriers et obligations et autres choses qu'il renfermait alors, qu'ils seront tenus de restituer, s'ils existent encore, et, sinon, d'en payer la juste valeur, celle-ci devant être déterminée par la cour après l'estimation qui en sera faite, sous la foi du serment, par Louise Rabateau et Albert Rousseau. De plus, ils acquitteront solidairement une somme de 100 livres qui sera employée en messes et autres œuvres pies pour le salut et le repos de l'âme d'Hector Rousseau. Comme amende utile au profit de la veuve, du frère et des enfants de leur victime, Appelvoisin et Jousseaume verseront chacun 1200 livres, Puyguyon et Martin, chacun 200 livres, Beufmont et Chauvin chacun 60 livres, plus 300 livres au profit d'Etienne Nalot et de Jean Potier, les deux serviteurs d'Hector, c'est-à-dire chacun 50 livres, et en outre les dépens du procès, dont la cour se réserve la taxation. Tous les six ils tiendront prison fermée [XLII] jusqu'au parfait paiement de ces sommes et complète satisfaction des autres condamnations. L'arrêt exempte, d'autre part, la veuve et le frère du défunt, aussi longtemps qu'ils vivront, des juridiction, foi et hommage, droits et devoirs seigneuriaux auxquels ils pouvaient être tenus envers lesdits Mathurin d'Appelvoisin, Jacques Jousseaume et consorts29.
Les coupables s'en tiraient à bon compte. En revanche, Louise Rabateau et Albert Rousseau étaient tout juste indemnisés des pertes éprouvées dans l'incendie et des frais considérables que leur avait coûtés le procès. Le désaccord se mit entre la belle-sœur et le beau-frère, quand il s'agit de répartir les sommes qui leur avaient été allouées à titre de dommages et intérêts. Mathurin d'Appelvoisin et les autres profitèrent encore de ce dissentiment pour retarder le plus possible les paiements30. Nous n'entrerons pas dans les détails (bien qu'il y en ait beaucoup d'intéressants) de ce triste épilogue de la tragédie du Breuil-Barret. Le procès entre la veuve et le frère d'Hector Rousseau s'envenima de diverses accusations, qu'il serait difficile et fastidieux de contrôler, et dura d'ailleurs fort longtemps. Louise Rabaleau, entre autres choses, reprochait à son beau-frère d'avoir traité, à son insu, d'un accommodement avec Mathurin Marot, dont il avait eu 400 écus, et d'avoir composé de la même façon avec d'autres inculpés, sans jamais lui en faire part ni compter de ces deniers avec elle31.
Quelques années après (entre le 10 juillet 1466 et le 22 septembre 1472), Louise avait contracté un troisième mariage avec Antoine Augier, écuyer32. Le 18 février 1473 n. s., Jeanne, la seconde fille d'Hector Rousseau, devenue majeure, n'avait encore rien reçu pour sa part des amendes et s'en prétendait frustrée par son oncle. Comme Mathurin d'Appelvoisin et ses consorts n'avaient pas encore versé le montant des dépens taxés à 1037 livres, elle réclamait cette somme et obtenait que les meurtriers de son père [XLIII] fussent contraints à la payer immédiatement, sous peine de saisie et de vente de leurs biens33. D'autre part, le 6 juillet 1474, à la requête d'Albert, la cour faisait enjoindre à Louise Rabateau de venir prêter serment et donner son estimation des biens meubles détruits par l'incendie (il y avait de cela seize ans passés !), afin que l'on pût enfin en réclamer le prix à qui de droit, conformément à l'arrêt du 10 septembre 146334.
Paul Guérin.
Paris, le 12 décembre 1906.