1 L'anoblissement de Pierre Segaud nous fournit l'occasion de mettre en lumière deux personnalités poitevines de sa parenté, qui méritent à coup sûr d'être tirées de I'oubli, quoique leur existence se soit
écoulée à peu près entièrement en dehors de leur patrie : Aimery Segaud, oncle paternel vraisemblablement de Pierre, et Jean Bretonneau,
dit de Champdenier, oncle de sa femme. Le premier fut commandeur
de Saint-Antoine de la Lande, non loin de Champdenier, on ne sait
depuis quelle époque, mais certainement dès avant sa nomination à
l'évêché de Belley, qui eut lieu au commencement de 1438. Il n'occupa
pas longtemps ce siège, car dès le 28 novembre de cette même année,
une bulle du pape Eugène IV le transféra à l'évêché de Mondovi en
Piémont, par permutation avec Perceval de La Baume, originaire de
Savoie. L'Italia sacra le qualifié ainsi qu'il suit : Aymericus Segaudus de
Chevrelis, Lucionensis Gallus, ordinis Sancti Antonii et prseposilus Landensis, vir magni consilii et doctrinæ. Segaud assista au concile de Florence présidé par Eugène IV. Il s'attacha ensuite à la cause de l'antipape Félix V, duc de Savoie sous le nom d'Amédée VIII, que le concile
de Bâle avait élevé sur le trône pontifical, et lui demeura fidèle jusqu'à
ce que celui-ci, pour faciliter l'apaisement du schisme, eût renoncé volontairement à la tiare (1449). L'année suivante, l'évêque de Mondovi
et Jacques de Valpergue furent médiateurs de la paix entre Louis Ier
duc de Savoie, fils d'Amédée VIII, et François Sforza, duc de Milan.
Aimery Segaud mourut chargé d'ans en 1470, et fut inhumé en l'église de Saint-Antoine-de-Viennois. (Ughelli, Italia sacra, t. IV, p. 1090
Gallia christiana, t. XV, col. 630.)
Quoique éloigné de son pays, Segaud n'avait pas renoncé à la commanderie de la Lande ; ce fut même pour sa vieillesse une cause de
graves soucis et de tourments. Un compétiteur sans scrupule employa
tous les moyens pour l'en déposséder. L'évêque dut soutenir, d'abord
devant le sénéchal de Poitou, puis au Parlement de Paris, un long procès contre frère Pierre Faure, son adversaire, et les complices de celui-ci, et l'on ne sait comment il se termina. Les registres de la cour
contiennent, entre le 1er septembre 1463 et le 1er avril 1466, les plaidoiries de cette affaire, de nombreux mandements, des arrêts interlocutoires et des appointements, des adjudications de défauts etc. ;
mais on n'y trouve point l'arrêt définitif (il y a beaucoup de lacunes
dans la collection des arrêts criminels). Toujours est-il que Segaud
avait obtenu du sénéchal de Poitou une sentence provisionnelle portant que, pendant la durée du procès, il demeurerait en possession
de Saint-Antoine de la Lande et en percevrait les fruits et revenus.
Son adversaire s'étant pourvu au Parlement contre cette décision, il
se vit débouté et condamné à l'amende pour fol appel. Mais au cours
de son procès en appel, Pierre Faure, aidé de Mathurin Charron, Macé
Bardon et Antoine Gautereau (aliàs Gauchereau), aggrava son cas, en
s'emparant de force de la commanderie. Bien que Nicolas Prévost,
procureur et représentant d'Aimery Segaud, leur montrât la sentence
que celui-ci avait obtenue sur le possessoire et leur défendit de rien
faire à son préjudice, ils dirigèrent l'attaque à la tête de vingt-cinq
hommes d'armes qui rompirent la porte de l'église, au moment où
l'on y chantait la grand'messe, s'y introduisirent avec Pierre Faure,
qui au milieu du tumulte déclara en prendre possession ; ensuite ils
pénétrèrent dans le cloître de la même façon, firent sauter Thuis
de la chambre du commandeur et la mirent au pillage, emportant tout
ce que bon leur sembla. Ils battirent « jusqu'à grande effusion de
sang » les religieux qui étaient dans la commanderie et reconnaissaient
l'autorité de Segaud, en firent sortir de force les commissaires chargés
par la cour de l'administration de la communauté, et y demeurèrent
en garnison pendant neuf semaines. En réparation de ces excès,
Aimery Segaud demandait qu'une croix de pierre avec inscription relatant les sévices fût dressée devant la porte rompue, aux frais des
coupables, qu'ils fussent condamnés à faire amende honorable, tête
nue et en chemise, tenant à la main une torche de cire ardente, à restituer les biens qu'ils avaient pris, et à payer chacun deux mille livres
d'amende. L'avocat de Pierre Faure et de ses complices nia tous les
excès dont on les accusait, et déclara que les gens d'armes n'avaient
pas été amenés par eux, qu'ils étaient logés auparavant dans le bourg
de la Lande, et qu'ils n'entrèrent dans la commanderie que pour prendre les femmes que les religieux y entretenaient. Luillier répliqua
pour l'évêque de Mondovi que, de l'aveu même des défendeurs, les
gens de guerre avaient tenu garnison pendant neuf semaines dans la
commanderie, et que par conséquent il ne pouvait s'agir de la simple
opération dont ils parlaient, sans raison aucune d'ailleurs. Il requit
une confrontation des coupables avec les témoins qui avaient été convoqués et dont l'on attendait incessamment l'arrivée. Les plaidoiries où
sont exposés ces faits, sont du 9 février 1464 n. s. Le 1er mars suivant,
on en trouve d'autres contre Guillaume Girault, substitut du procureur
du roi à Parthenay, auquel Segaud reprochait d'avoir communiqué aux
défendeurs les informations qu'il avait été chargé de faire contre eux,
à sa requête.
Cependant Pierre Faure, qui se vantait de lasser la patience de son
adversaire, avait saisi la curie romaine de sa réclamation. Le Parlement
informé lui interdit de ne rien entreprendre au préjudice de l'appel
pendant devant la cour. Malgré toutes les défenses, il se transporta
à Rome, y fit citer Segaud et s'ingénia à l'accabler de vexations; entre
autres il fit afficher sur les portes de la commanderie que l'évêque
de Mondovi était excommunié. Faure ayant ainsi enfreint l'ordonnance royale interdisant à tous les ecclésiastiques de se rendre à
Rome sans permission et d'y porter de l'argent pour obtenir des bulles
de grâces expectatives, la cour, le 22 février 1465 n. s., adressa un
mandement au bailli de Touraine, au sénéchal de Poitou, au conservateur des privilèges de l'Université de Poitiers et aux prévôts de
Tours et de Poitiers, leur enjoignant de rechercher, saisir et mettre
entre ses mains toutes les bulles, citations, monitions et censures
obtenues ainsi à prix d'argent par ledit Faure et par l'intermédiaire
de son oncle, Mathurin Faure, qui s'était fixé à Rome dans ce but,
et de faire une enquête approfondie sur leur façon de procéder et sur
leurs agissements, faisant en attendant défense expresse à Pierre
Faure de faire usage desdites bulles. Celui-ci néanmoins les avait présentées à Guillaume Peyrochon, prieur du Bois-d'Alonne, qui n'hésita
pas à les mettre ou à s'efforcer de les mettre à exécution, se rendant
coupable de désobéissance et de rébellion. Le Parlement fît saisir le
temporel du prieuré et ordonna à Peyrochon de comparaître en personne, par acte du 3 juillet 1465. Cependant les procédures continuaient contre Pierre Faure, qui se gardait bien de se rendre aux assignation. Le 10 juin de cette même année, il fut mis en défaut pour
la cinquième fois au profit de Segaud, et ajourné-une fois de plus, sans
pour cela cesser un instant de poursuivre son adversaire en cour de
Rome. Etant parvenu, grâce à l'abbé de Fontaine-le-Comte, à mettre
dans ses intérêts le cardinal d'Avignon, Alain de Coëtivy, il avait réussi
à en obtenir la mise sous séquestre de la commanderie de la Lande.
C'est un bien curieux exemple des conflits entre les juridictions royales
et la curie romaine, en matière bénéficiale, qui furent si fréquents dans
la seconde moitié du XVe siècle. Le Parlement adressa, le 1er avril 1466,
un dernier mandement au sénéchal de Poitou, au bailli de Touraine et
aux prévôts de Poitiers et de Tours, leur ordonnant de prendre au
corps et d'amener à la Conciergerie Pierre Faure et Guillaume Peyrochon, et, s'ils ne pouvaient être trouvés, de les ajourner, à son de
trompe et cri public en tous les lieux où ils avaient commis leurs excès
et désobéissance, à comparaître en personne devant la cour, sous peine
de bannissement du royaume et de confiscation, et d'être convaincus
de toutes les rébellions dont ils étaient chargés, et en attendant de
procéder à la saisie de tous leurs biens. (Voir Arch. nat., X1a 30, fol.
278 v°, 283, 354 v° ; X2* 31, fol. 23 v° ; X2a 32, aux dates des 20 décembre 1463, 7, 9 et 27 février, 1er et 5 mars, 10 et 26 avril et 2 juillet
1464 ; X2a 34, fol. 107 v°, 113 v°, 116 v° et 189 v°.)
2 Jean Bretonneau, que l'on trouve désigné aussi sous le nom de
Jean de Champdeniers, est simplement mentionné dans la liste des
commandeurs d'Isenheim ou Issenheim: « Johannes Bertonnelli, Pictavus, 1446 ». (
Alsatia sacra par Grandidier, publ. par le P. lngold,
3 vol. in-8°, 1899, t. Il, p. 391.) Il entra en relations, deux ans avant
cette date, avec le dauphin Louis, lors de l'expédition que ce prince
dirigea en Suisse et en Allemagne, à la tête des routiers dont il voulait débarrasser le royaume, pour venir en aide au duc Sigismond
d'Autriche. M. Tuetey a publié une lettre missive et deux très précieuses relations des événements qui s'accomplirent à cette époque,
adressées aux bourgeois de Strasbourg par le commandeur de Saint-Antoine-de-Viennois d'Issenheim. Elles sont datées du 19 août, du 5
septembre et de novembre 1444, et contiennent des renseignements tellement précis sur les causes et les conséquences de l'expédition qu'il
ne peut y avoir de doute sur la source et la sûreté de ses informations.
(
Les Ecorcheurs sous Charles VII, 1.1, p. 137 et suiv. ; t. II, p. 509 et suiv.)
On sait d'ailleurs que Jean Bretonneau était le représentant accrédité du
duc Sigismond. Le roi l'employa, douze ans plus tard, dans les négociations de l'alliance avec Ladislas, roi de Hongrie. « Au moment même
où Tambassadeur du roi de Hongrie arrivait à Lyon, dit M. de Beaucourt,
Charles VII mandait auprès de lui Jean de Champdeniers, commandeur
d'Issenheim, qui résidait en Allemagne où il représentait le duc d'Autriche ; il l'interrogea secrètement sur la situation de Ladislas, l'étendue de ses Etats, les ressources dont il disposait. Peu de jours après
(septembre 1457), rendant compte de son voyage au duc Sigismond,
le commandeur lui faisait part des dispositions favorables à l'alliance
qu'il avait rencontrées chez le roi et les seigneurs de sa cour. » L'année suivante, Charles VII ayant résolu d'intervenir comme médiateur
entre l'empereur Frédéric III, son frère Albert et son cousin Sigismond, il donna mission à Jean, seigneur de Fénestrange, maréchal de
Lorraine, et à Jean de Champdeniers, commandeur d'Issenheim, de se
rendre en Allemagne et d'y parler à Frédéric et à Albert en faveur de
Sigismond, dont les droits étaient méconnus. Ils étaient chargés aussi
de régler d'autres questions importantes. Un rapport détaillé de Bretonneau sur la situation de l'Empire, adressé au dauphin, le 8 juin 1458
(Bibl. nat., ms. fr. 15537, fol. 165), donne à cet égard les plus curieux
détails. Il préconisait la réconciliation du dauphin avec son père. (
Hist.
de Charles VII, par M. de Beaucourt, t. VI, p. 161, 199-202.)