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DCCCXCIV

Rémission accordée à Guillaume Frelon, boucher de Saint-Martin d’Angliers, qui avait causé involontairement la mort d’un de ses voisins nommé Jean Bourdois.

  • B AN JJ. 158, n° 329, fol. 179 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 32-34
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des amis charnelz de Guillaume Frelon, povre jeunes homs, marchant boucher, chargié de femme grosse et enfans, demourant en la ville et parroisse de Saint Martin d’Angliers, ou païs de Loudunoiz, contenant que, comme le dimanche xxiiiie jour de fevrier derrenierement passé, le dit Guillaume Frelon, qui tout le cours de sa vie a esté et est simples homs et paisible, de bonne vie, fame et renommée, sanz oncques estre actaint ne convaincu d’aucun villain blasme ou reprouche, feust alé boire après disner avecques autres compaignons de la dicte ville, et un nommé Mery de Cornes, garennier et serviteur de nostre amé et feal conseiller le patriarche d’Alexandrie1, en l’ostel de Jehan Maquain, son voisin, qui lors avoit vin à vendre, et après ce qu’ilz orent bien et [p. 33] paisiblement beu par aucun temps, icellui Guillaume Frelon, sanz aucun mal penser prist congié des dessus diz pour s’en aler à son hostel, qui estoit assez prest d’ilec ; mais ainsi qu’il fu auprès de son dit hostel, devant la porte de la court de l’ostel ou demeure un autre sien plus prouchain voisin, nommé Jehan Prince, rencontra en la rue un appellé Jehan Bourdois, texier, lors demourant ou village de Triou en la parroisse du dit lieu d’Angliers, qui en rient, contre le dit Frelon et par maniere d’esbatement, comme il croit, sacha une dague qu’il portoit sur lui, et en se demenant et esmouchant d’icelle dague qu’il tenoit lors en sa main toute nue, et s’aprouchant fort du dit Frelon, faignans le frapper, dist à icelui Frelon ces mos ou semblables en substance ; « Dieux ! que tu es couhe ou couart ! » Et lors le dit Frelon se prist à reculer en la court de l’ostel de son dit voisin, en lui disant par jeu et esbatement, sans aucun mal ne rancune avoir audit Bourdoiz : « Mais toy, tu es un beau couhe, estuye2 tout ferrement, mon ami, je t’en pry, car tu m’en pourroies bien blecier ». Et lors en ce disant, pour ce que le dit Bourdoiz le suivoit très fort, en soy demenant sur lui de sa dicte dague, sacha icelui Frelon, qui avoit assez bien beu, un petit coustel trenchepain qu’il portoit à sa sainture, et s’en prist semblablement à esmoucher et demener contre le dit Bourdoiz, et telement que en eulx ainsi demenant l’un contre l’autre, aussi que s’ilz voulsissent jouer du boucler, icelui Bourdoiz qui se prist fort à reculer, tenant la dicte dague tous jours en sa main, rencontra de l’eschigne une charrette qui estoit en la court du dit hostel ; et lors si tost que icelui Bourdoiz se senti arresté de la dicte charrette, soy retourna bien acop contre le dit Frelon qui de très près le suivoit, et telement que en soy retournant, par cas [p. 34] de fortune, il se frappa d’un de ses bras contre le dit coutel que tenoit lors le dit Frelon, le quel lui entra seulement en la sorriz3 du dit bras, comme il lui semble, le travers d’un doy ou environ, dont dedens deux heures après ou environ, mort s’en est ensuie en la personne du dit Bourdoiz. Pour doute du quel fait, le dit Frelon, qui au dit Bourdoiz n’avoit aucune haine ne malveillance precedent, doubtant rigueur de justice s’est absenté du païs, et par ce doubte avoir esté sur ce appellé à droit et par constumace ou autrement banny du dit païs et de nostre royaume, ouquel il n’oseroit jamais retourner, habiter ne converser, se sur ce ne lui estoit nostre grace impartie, en nous humblement requerant que, comme le dit fait soit avenu par cas de meschef et de fortune, en eulx cuidant jouer et esbatre l’un à l’autre, comme dit est, et que en tous autres cas le dit Frelon a esté et est tout le cours de sa vie homme de bonne fame et renommée, comme dit est, nous vueillons au dit Frelon nostre dicte grace impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, ou cas dessus dit, au dit Guillaume Frelon avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine, des ressors et Exempcions d’Anjou, du Maine et de Poitou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de mars l’an de grace mil iiiic et trois, et de nostre regne le xxiiiie.

Par le roy, à la relacion du conseil. Toreau.


1 On sait que Simon de Cramaut, patriarche d’Alexandrie, avait d’importantes possessions dans la châtellenie de Loudun, entre autres les terres et seigneuries de la Chapelle-Bellouin, de la Roche-Rigault et de Ranton, de Nouzilly et de Pouant près de Berrie. (Cf. notre tome V, p. 320, note.)

2 Estuyer, estoier, estouyer ou estuier, remettre dans l’étui, rengainer.

3 Ou souris, muscle charnu qui tient au coude.