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DCCCCXXXVII

Rémission accordée à Pierre Levraut, écuyer, poursuivi pour avoir assassiné et volé Jean Cordelier, chirurgien, ayant sa résidence ordinaire à Bordeaux, sous la domination anglaise.

  • B AN JJ. 163, n° 117, fol. 63 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 161-165
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Pierre Levraut, escuier, chargié de jeune femme et de six petis enfans, contenant comme le dit Levraut n’eust aucunement mesdit ne meffait à maistre Jehan Cordelier, soy disant cirurgien, ayant sa residence et demeure en la ville de Bordeaux, toutes voies pour ce que icellui Cordelier estant au siege de Brandosme1, sa femme qui avoit oy dire qu’il estoit trespassé [p. 162] ou dit siege, et laquelle s’en vouloit aler demourer en la ville de la Rochelle ou autre part, où bon lui sembloit, vendi au dit Levraut et que icellui Levraut acheta d’elle certains biens meubles, malaisiez à emporter, icellui Cordelier retourné ou pays, sachant la dicte vente et courroucié de ce, ait dit et soit venté par pluseurs foiz et en pluseurs lieux que il aroit les diz biens meubles, ou il mettroit le feu en l’ostel du dit Levraut. Pour laquelle chose icellui Levraut, doubtant la fureur d’icellui Cordelier qui tenoit le parti de nostre adversaire d’Angleterre et qui avoit commiz et estoit renommé d’avoir fait pluseurs crimes, et mesmement qu’il s’en vouloit retourner au dit lieu de Bordeaux, et que à son departement il ne accomplist son dampnable propos, se trahy, environ la saint Michiel l’an mil cccc. et sept, en la ville de Partenay le Viel, en l’ostel d’un appellé Baillié, acompaignié d’un appelé Raoulet, varlet du dit Cordelier, et lui estant ou dit hostel ouquel estoit le dit Cordelier et un appellé Jehan Oulier, varlet d’icellui Cordelier, entreprindrent de rober icellui Cordelier, [p. 163] et pour ce mettre à effect, dirent faintement au dit Cordelier qu’ilz avoient voulenté d’aler en la ville de la Ferriere pour rober de nuit un appellé Jehan Cormener, à quoy s’acorda le dit Cordelier. Et ce fait, les diz Cordelier, Levraut et Oulier se transporterent ou village de la Picoterie, où ilz soupperent, et après le dit souper et à lieue et demie de nuit ou environ, se misdrent à chemin pour aler au dit lieu de la Ferriere, qui est assis entre grans bois, et les diz Levraut et Oulier estans ès diz grans boys en la compaignie du dit Cordelier, icellui Levraut ordonna que eulx trois se despoullassent et de fait se despoullierent de leurs pourpoins, comme pour entrer plus aisieement par une fenestre en l’ostel d’icellui Cormener. Et eulx ainsi despouliez, le dit Oulier se mist premier à chemin, et eulx estans bien avant ès diz boys, icellui Levraut qui estoit le derrenier, fery d’un baston un cop sur le dit Cordelier, pour le quel il chey à terre ; et après ce le dit Oulier, garny d’un baston quarré, fery un autre cop sur la teste du dit Cordelier, dont il chey du tout à terre. Et ce fait, le dit Levraut frappa d’une dague le dit Cordelier en pluseurs parties de son corps, pour lesquelles bateures mort s’en ensuy en sa personne ; et lui estant mort, les diz Levraut et Oulier le despoullierent de son chaperon, pourpoint et botes, et le porterent en une fosse, le couvrirent de fueilles, prindrent ses robe et botes, et lierent tout ensemble sur le cheval du dit Cordelier. Et ce fait, icellui Levraut dist au dit Oulier qu’ilz partiroient ensemble comme freres, mais le dit Levraut a tout eu, qui montoit bien, tant en or, argent monnoyé comme en autres choses, à la somme de vint escuz. Et le dit fait ainsi advenu, icellui Levraut, garny dudit cheval et des autres biens meubles du dit Cordelier, se transporta en son hostel de Jemeaux, où il garda le dit cheval et un autre cheval du dit Cordelier, muciez en un celier. Et huit jours après le dit cas advenu, le dit Levraut bailla les diz chevaulx au dit Oulier et à un appellé Bouteveille, [p. 164] pour les amener vendre à Paris. Lesquelz les vendirent xiiii. livres x. solz tournois, dont ilz firent ce que bon leur sembla. Et ce fait, les diz Levraut et Oulier se transporterent en la ville de Nyort, en l’ostel de Jehan Leau2 et d’un peletier du dit lieu, pour cuidier recouvrer certaines robes que le dit Cordelier y avoit en garde, disans qu’il s’en estoit alé à Bordeaux, dont ilz ne peurent aucune chose recouvrer. Pour lequel cas, ledit Levraut doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays et n’y oseroit jamaiz retourner ne converser, qui seroit la destruction totale de lui, sa dicte femme et enfans, se par nous ne lui estoit sur ce impartie nostre grace et misericorde, si comme dient les diz supplians, requerans humblement que, attendu que le dit Levraut en tous ses autres faiz a tousjours esté homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans avoir esté reprins, attaint ne convaincu d’aucun autre villain crime et reprouche, et soit le dit cas advenu par la coulpe et mouvement du dit Cordelier qui estoit de mauvaise et dissolue vie, estrangier et du parti de nostre dit adversaire d’Angleterre, et mesmement que lors n’avoit aucunes treves entre nous et nostre dit adversaire, et aussi les bons et agreables services que nous a faiz icellui Levraut en noz guerres et autrement, si comme dient iceulx amis, nous vueillons sur ce au dit Levraut impartir noz dictes grace et misericorde. Pour ce est il que nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, avons pour pitié et compassion de la dicte femme et enfans, et pour consideracion de ce que le dit Cordelier estoit tenant le parti de nostre dit adversaire, et aussi que le dit Levraut a autres foiz pour ce [p. 165] cas obtenu de nous remission3 et paié pour ce par nostre ordonnance à l’Ostel Dieu de Paris vint livres parisis, laquelle remission n’a point esté enterinée, pour ce qu’elle ne contenoit pas le cas au vray, à icellui Levraut ou cas dessus dit avons quicté, remiz et pardonné, etc. Si donnons en mandement au prevost de Paris, au gouverneur de la Rochelle, au bailli de Touraine et à tous noz autres justiciers, ou à leurs lieuxtenans, etc. Donné à Paris, ou moys de novembre l’an de grace mil cccc. et huit, et de nostre regnele xxixe.

Par le roy, à la relacion du conseil. Camus.


1 Le siège de Brantôme fut un des grands événements de l’année 1405, bien que l’expédition n’eût aucune suite importante. Le sire de Mussidan et son gendre le sire de Limeuil s’étaient emparés pour leurs amis les Anglais de la ville, que Pierre Foucault, abbé de Brantôme (1371 à 1404), avait fait fortifier, et construisirent dans l’intérieur une citadelle qui ne leur fut pas très utile. D’autre part et peu de temps après, les sires de Campredon et de Bourdeille se rendirent maîtres de l’abbaye au nom du roi de France et s’établirent en face des Anglais. Bientôt des provinces voisines, de Limousin, de Saintonge, d’Angoumois, de Poitou, arrivèrent au secours de ces derniers des renforts commandés par les sires de la Rochefoucauld, de Mareuil, de Peyrusse d’Escars, de Mauzé, de Pierre-Buffière, les sénéchaux de Poitou (Jean de Torsay) et de Saintonge. L’attaque fut vive et la défense opiniâtre. On tint le siège pendant deux mois, jusqu’à la semaine sainte. Alors un traité proposé par les assiégés fut accepté par les Français ; il portait que, si la ville n’était secourue avant le lundi de la Pentecôte, elle se rendrait aux assiégeants. C’est ce qui eut lieu ; le connétable d’Albret vint à la journée avec les comtes de Clermont, d’Alençon, de la Marche, de Vendôme, etc., et les sénéchaux et capitaines nommés plus haut, et Brantôme leur ouvrit ses portes. (Voy. Léon Dessales, Histoire du Périgord, in-8°, t. II, p. 400 et suiv., en grande partie d’après la Chronique du religieux de Saint-Denis, qui relate longuement cet épisode militaire, édit. Bellaguet, in-4°, t. III, p. 365 et suiv., 407 et suiv.)

2 Dans un précédent volume, on trouve des lettres de rémission données en faveur de Pierre et Gilles Léau, ou Loyau, père et fils, meurtriers d’André de Parthenay, leur gendre et beau-frère. (Tome V, p. 164, 166 et 187.)

3 Au mois de juin précédent. Le texte en est imprimé ci-dessus, n° DCCCCXXVII, p. 129 et suiv.