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DCCCCLXXVII

Rémission accordée à Jean Ferré, gentilhomme, de Senillé en la vicomté de Châtellerault, pour le meurtre de Denis Tourin. Celui-ci avait assailli et brisé les portes de son hôtel, au milieu de la nuit, à la tête de dix ou douze hommes armés, sous prétexte d’y chercher une femme de mœurs dissolues, et lui avait fait plusieurs autres injures et outrages.

  • B AN JJ. 168, n° 354, fol. 236 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 287-290
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, avoir receu l’umble supplicacion des amis charnelz de Jehan Ferré1, jeune de l’aage de xxviii. ans ou environ, nobles homs, chargé de femme et de deux petiz enfans, contenant que, ou mois de fevrier l’an mil cccc. et xii. ou environ, icelui Jehan Ferré, sa femme, ses enfans et sa famille estoient en un leur hostel assiz ou païs de Poictou, au lieu de Senillé en la viconté de Chasteleraut, où le dit Jehan demouroit pour lors, et tenoit son hostel et domicille, et là se gouvernoient et maintenoient comme gens d’onneur doivent faire, doulcement et honnestement. Auquel temps et lieu un nommé, au temps qui vivoit, Denis Tourin, acompaigné de dix ou xii. compaignons ses complices, armez et embastonnez, meuz de dempnable propos et voulenté, s’en vint par nuit, environ myenuit au dit hostel, ouquel icelui Ferré estoit couché avec sa femme et aussi ses enfans, et mesme estoient pareillement couchiez et en leur repoz ; et à celle heure le dit feu Denis Tourin et ses diz complices hurterent fort à la porte du dit Jehan Ferré, [p. 288] et de fait et à force et grant violence rompirent deux huys du dit hostel, et pour la grant noise, effroy, bruit que icelui Tourin et ses complices firent en la dicte infraction, icelui Ferré et sa femme se leverent touz esbaïz et troublez, et non sanz cause ; et vindrent parler au dit Tourin et ses complices, et leur dist icelui Jehan Ferré, bien et doulcement que ce estoit mal fait de faire tel excès et oultraige, et à tele heure, en l’ostel du dit Ferré, et qu’ilz s’en alassent en leurs maisons. Mais icelui Tourin et aucuns autres ses complices respondirent moult orguilleusement et despiteusement qu’ilz n’en feroient rien, et qu’ilz avoient entendu que Jaques Ferré, frere du dit Jehan Ferré, avoit leans mené une jeune femme de vie et commune, et comment qu’il soit, qu’ilz la vouloient avoir, feust tort feust droit. Aus quelx Tourin et complices le dit Jehan Ferré respondi très courtoisement que en verité il n’en y avoit point, et que lui qui estoit marié et avoit sa preude femme avec lui, n’avoit pas acoustumé de recevoir ne tenir teles femmes dissolues en son hostel, et qu’il ne l’eust pas souffert en guise du monde à son dit frere, en leur priant, euls heurtant tousjours, qu’ilz s’en alassent. Mais iceluy Tourin et ses complices, non contens de la dicte response, firent un grant bruit et un grant tumulte à l’ostel du dit Jehan Ferré. Et lors le dit Jehan leur dist que il se parforceroit et se mettroit en paine que l’injure, oultraige et violance qui lui avoient faicte, lui seroit amendée et reparée par justice. Et après pluseurs paroles et les oultraiges dessus diz ainsi faiz, les diz Tourin et ses complices se departirent du dit lieu en murmurant et usant de grosses paroles et menasses, et s’en alerent à l’ostel d’un appellé Jehan de Molins, assiz au dit lieu de Senillé, assez près de la maison du dit Ferré, et là userent de moult haut et divers langaige et menasses à l’encontre du dit Ferré, en disant au dit de Molins et à sa femme que, s’ilz povoient trouver ne encontrer nulle part le dit Ferré, ilz le batroient et le vilaineroient [p. 289] et courrouceroient de sa personne, tant qu’il s’en sentiroit toute sa vie, et en continuant leurs mauvaiz propos et dempnable entencion, le landemain, si tost que le dit Ferré fu levé et s’estoit mis au chemin à aler querir un sergent pour faire adjourner icelui Tourin et ses complices qui l’avoient ainsi menacié, pour lui donner asseurté et pour lui respondre sur les injures et excès dessus diz, icelui Tourin et deux autres de ses complices dessus diz s’en vindrent derechief au dit Ferré et l’assaillirent de paroles et de menaces, et lui vouloient courir sus, en lui disant qu’il les attendist. Et lors icelui suppliant se retray en son hostel et prit son espée, et moult courroucié et troublé des assaulz et oultraiges que les diz Tourin et complices lui avoient faiz et se ventoient de faire, s’en vint assez prez de là en l’ostel d’un sien voisin appellé Jehan Deugny, auquel estoit couché le frere du dit exposant. Auquel hostel il trouva le dit Tourin, qui jà avoit prises paroles au frere du dit exposant. Et pour ce meu, troublé et courroucé des oultrages, excez et vilanies qui lui avoient esté faictes toute la nuit et ainsi que dit est, trahy son espée et frappa le dit Tourin un seul cop sur la teste de taille, jusques à grant effusion de sang. Après lequel cop et navreure, le dit Tourin a vesqu bien soixante jours ou environ et fist toute euvre de homme saing, et ne volt oncques que barbier ne mire mist la main à sa playe, jusques à ce que la dicte playe ou navreure fut appostumée, et tant que par l’eschauffement, pour ce qu’il n’y mist aucun remede, la teste lui enfla en tant que, pour son petit gouvernement et pour faulte de y pourveoir et pour très grant negligence, et aussi pour les excès de boire et de mengier qu’il fist durant le dit temps, icelui Tourin chey en greve maladie, où il demoura au lit par aucun temps ; et lui ainsi estant au lit de la mort, dist par pluseurs foiz que lui mesmes estoit cause de tous ses maulx et non mie le dit Ferré, et pour ce il pardonnoit au dit Ferré tout ce qu’il lui avoit [p. 290] fait de bon cuer et de bonne voulenté. Et depuis ala de vie à trespassement, bien soixante jours après la dicte navreure et qu’il avoit fait et exercé euvres de homme sain, comme dit est. Pour cause et occasion duquel fait et cas, le dit Jehan s’est absenté du païs, craignant la rigueur de justice, et n’y oseroit aucunement converser ne repairer, se par nous ne lui estoit nostre grace impartie, etc., suppliant humblement que, comme ledit Jehan Ferré, etc., nous a servy et s’est armé pour nous, et en noz voyages et guerres, et se arme et nous sert, et est prest de nous servir de jour en jour, que à icellui nous vueillons estre piteables et misericors. Pourquoy est il que nous, attendu ce que dit est, au dit Jehan Ferré avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement à nostre bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou, du Maine et de Poictou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet l’an de grace mil cccc. et quinze, et de nostre regne le xxxve.

Par le roy, à la relacion du conseil. Coingnet.


1 Dans les notes généalogiques recueillies, dans l’anc. édit. du Dictionnaire des familles du Poitou, sur une famille Ferré « qui tirait sa noblesse des gentilshommes verriers », se trouve la mention de Jean Ferré, habitant Châtellerault, qui fut taxé en 1437, pour ne pas s’être rendu au ban de l’armée, quoiqu’il se dît noble et gentilhomme verrier ; le 12 septembre 1445, il fit un accord avec son père Guillaume, qui demeurait à la verrerie de la Bouleur, paroisse de Vaux-en-Couhé.