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MIII

Lettres données à la requête de Jean de Torsay, maître des arbalétriers de France, portant rémission en faveur de Jacques, comte de Ventadour, son gendre, coupable d’assassinat sur la personne de Guichard du Puy, premier huissier d’armes du roi, et remise de l’amende que ledit de Torsay avait encourue à cause de la fuite de son dit gendre, pour lequel il s’était constitué caution.

  • B X1a 9190, fol. 195 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 363-374
D'après a.

Charles, filz du roy de France, regent le royaume, daulphin de Viennois, duc de Berry, de Touraine et conte de Poictou. Savoir faisons à tous, presens et advenir, nous avoir oye l’umble supplicacion de nostre amé et feal chevalier, conseillier et chambellan de monseigneur et de nous, messire Jehan de Torsay, seigneur de Lesay1, maistre des arbalestriers de France, pere de la femme et espouse de Jaques conte de Vantadour2, contenant que, ou mois de may derrenierement passé, nous estans à la Ferté Bernard, [p. 364] à jour de dimenche au soir, après ce que fusmes alez en nostre retrait, pour nous vouloir tantost après couchier, le dit conte de Ventadour, qui lors et despieça estoit nostre conseillier et chambellan en ordonnance, vint à l’uis de nostre chambre, que feu Guichart du Puy, en son vivant nostre premier huissier d’armes, gardoit, et hurta au dit huis pour entrer dedens la chambre et estre à nostre coucher, ainsi que à cause de son dit office de chambellan il avoit accoustumé ; lequel Guischart respondi à icelui de Ventadour qu’il n’y entreroit point, et que nous lui avions defendu que homme n’y entrast pour celle nuyt. Et le dit conte lui dist que ce ne lui avions point defendu au regard de lui. Adonc le dit Guichart lui dist teles paroles ou semblables : « N’estes vous pas homme, ne m’en croiez vous pas ? » Et le dit conte lui dist qu’il lui souvenist de sa response, et après se retrahy en l’alée près de la dicte chambre. Et sur ce point, vint Jehan du Cigny3, nostre escuier d’escuerie, qui entra dedens la dicte chambre, et demoura l’uis ouvert. Et quant le dit conte vit que ledit huis estoit ouvert, entra dedans icelle chambre et se adreça au dit Guichart, en lui disant ces paroles : « Or, Guichart, ce n’est pas le premier desplaisir que vous m’avez fait, et je vous promet que, se ne feust pour l’onneur de Monseigneur et vous ne feussiez en sa chambre, je vous donnasse sur la teste ». Et le dit Guichart respondi en tele maniere : « Si vous me frappez, aussi feray je vous », et mist la main à sa dague. Et sur ce debat, Pierre Frotier4, [p. 365] nostre premier escuier de corps, et les autres qui estoient en la dicte chambre les departirent. Et incontinant issismes de nostre dit retrait et entrasmes en icelle nostre dicte chambre, et demandasmes que c’estoit. Adonc le dit Guichart se agenoilla devant nous, en nous disant que le dit conte l’avoit voulu batre, pour ce qu’il ne lui avoit voulu ouvrir l’uis oultre nostre defense ; et pareillement le dit conte se agenoilla devant nous, et dist en ceste maniere : [p. 366] « Monseigneur, pour ce que vous m’avez fait dire que je feusse à vostre couchier et lever tous les jours, je y suis venu, et pour ce que Guichart ne m’a pas laissié entrer en vostre chambre, et y a bien laissié entrer des autres, je en ay esté courroucié, et lui ay dit que, se ne feust pour l’onneur de vous, que je lui eusse monstré qu’il m’en desplaisoit. » Et lors lui dismes et respondismes : « Ne vous en prenez point à noz gens, mais dictez le nous et l’en leur ordonnera ce que on vous devra faire. Car il fault qu’ilz facent ce que leur avons commandé. » Et incontinant le dit conte se parti de la dicte chambre et s’en ala à son logis, sans depuis avoir pour ce autres paroles au dit Guichart, jusques au mercredi ou jeudi ensuivant, que le dit conte estant à la messe en l’eglise du dit lieu de la Ferté, vint le dit Guichart en icelle eglise et en sa compaignie Briant Meschin5, armez chacun de cotte, dague et espée. Et quant le dit conte eut oy la messe, il s’en yssit de l’eglise et s’en ala à la porte de son logis, qui estoit droit devant icelle eglise, et illec se arresta grant piece. Et ainsi qu’il estoit illec et en sa compaignie pluseurs chevaliers et escuiers qui parloient ensemble, les diz Guichart et Briant yssirent de la dicte eglise et passerent assez près d’icelui conte, en leur chemin droit, au chastel où nous estions. [p. 367] Et quant ilz furent passez oultre le dit conte, environ trois ou quatre pas, le dit conte parti de sa place, sans dire mot aux autres qui estoient en sa compaignie, et ala bientost après le dit Guichart telement qu’il l’ateigny et le ferit de son espée au travers du visaige, en disant : « Defens toy », et l’abatit de ce coup à terre. Le quel Guichart demanda qui ce avoit fait, et le dit conte lui donna derrechief un autre coup sur la cuisse. Et sur ce point, vint un nommé le bastard Fouchier, qui estoit de la compaignie du dit conte, et ferit le dit Guichart de son espée sur la teste, dont il ne le blessa gaires. Et après, icelui bastart ferit un autre coup sur la joincte du code du dit Guichart. Et quant le dit Briant vit que on frappoit ainsi sur le dit Guichart, il retourna et tira son espée et la mist au devant pour recevoir les cops, afin qu’ilz ne tuassent le dit Guichart, et crioit mercy au dit conte, disant que pour Dieu ilz ne le tuassent pas. Et lors icelui bastart et un des gens du dit conte, cuidans que icelui Briant voulsist ferir le dit conte, laisserent le dit Guichart et coururent sus au dit Briant. Adone le dit conte dist : « Ho ! ho ! de par le deable ! » et incontinent pluseurs gentilz hommes et autres qui presens estoient, prindrent le dit Guischart et l’emporterent au logis de nostre escuerie, pour le faire apareillier. Et tantost après le dit fait, le dit conte monta à cheval et s’en ala au siege que faisions lors tenir par noz gens devant Montmirail6, à trois lieues près du dit lieu de la Ferté. Et pour ce que la chose vint à nostre cognoissance, nous escrivismes et mandasmes incontinent à noz chiefz de [p. 368] guerre tenans le dit siege, qu’ilz preissent et arrestassent prisonnier le dit conte. Lesquelx ainsi le firent, et le lendemain l’amenerent prisonnier au dit lieu de la Ferté, et lui estant ainsi arresté au dit lieu de la Ferté, le dit maistre des arbalestriers fist tant envers nous qu’il fut eslargi, parmi ce qu’il promist à nos diz chiefz de guerre qui en avoient la garde de le rendre en personne tout prisonnier en nostre chastel de Poictiers. Et pareillement promist icelui conte soy y rendre. Après lequel eslargissement, pour ce que icelui conte oy dire que le dit Guichart estoit sur les traiz de la mort, il, doubtant estre rigoureusement traictié, se parti hastivement du dit lieu de la Ferté et s’en ala à son chastel de Vantadour. Et incontinent par le moien et à l’occasion des dictes bateures et navreures, le dit Guichart ala de vie à trespassement, c’est assavoir le samedi d’après le dit mercredi ou jeudi que le cas advint.

Pour occasion du quel cas, le dit conte de Ventadour s’est depuis tenu et encores tient en son dit chastel, et n’oseroit plus retourner par devers nous, à sa très grant douleur et desplaisance, se nostre grace ne lui estoit sur ce eslargie, si comme le dit de Torsay, son beau pere, nous a dit et remonstré, en nous très humblement suppliant que, attendu le jeune aage du dit conte, son filz, et que ce qu’il a fait a esté par le grant desplaisir qu’il print des paroles et responses si oultrageuses que lui fit le dit Guichart, ce que pas faire ne devoit, se sembloit audit conte, eu regard à sa personne et au lieu, estat et office dont il estoit entour nous et autrement, et que se le dit conte eust cogneu et bien pensé, comme il fait à present, la grant offense qu’il a en ce commise envers nous et le grant desplaisir qu’il a depuis sceu que y avons prins, il eust mieulx aymé mourir que jamais l’avoir voulu faire ne penser, et en est tant triste et dolent que plus ne peut. Et consideré aussi les bons et grans services qu’il nous a faiz le temps passé et pourra encores faire, et mesmes que à la bataille et journée d’Argincourt [p. 369] (sic) il fut prins prisonnier, et que tousjours ses predecesseurs et lui qui sont descenduz de si grant et noble lignée, se sont bien et loyaument maintenuz et gouvernez envers monseigneur, nous et la couronne de France, sans jamais avoir voulu varier ne eulx adherer aux Anglois, anciens ennemis de ceste seigneurie, jasoit ce que ilz eussent et encores ait ledit conte leurs places et possessions joingnans ou bien près d’iceulx ennemis, en la frontiere de Limosin, et que à ceste occasion aient enduré et soustenu plusieurs maulx et dommaiges ; et ce neantmoins a esté tousjours et est le dit conte en ferme propos et voulenté de tout son temps vivre et demourer soubz nostre bonne et vraie obeissance, et d’emploier son corps et tout le sien en nostre service, nous lui vueillons eslargir nostre grace et misericorde et avoir pitié et compassion de son meffait.

Pour quoy nous, ces choses considerées et attendu mesmement les grans et notables services que ledit Torsay, qui est chief d’office en ce royaume et ung des premiers et plus anciens officiers et serviteurs, que mon dit seigneur et nous aions de present, a faiz à mon dit seigneur et à nous, tant en ses diz offices comme en pluseurs autres manieres, fait de jour en jour en noz presens affaires, ès quelx le trouvons tousjours prest à soy y emploier, à grant travail et diligence, dont bien nous sentons obligié à lui, voulans à celle faveur et pour plusieurs autres [causes] à ce nous mouvans, le relever des peines et dangiers en quoy il pourroit estre encheu à cause de l’absence et partement du dit conte de Ventadour, et la faulte qu’il a faicte de comparoir et soy rendre en nostre chastel de Poictiers, ainsi que le dit de Torsay l’avoit pour lui promis, comme dessus est dit. Et voulans aussi, tant en contemplacion d’icelui de Torsay, du quel ledit conte est, à cause de sa dicte femme, seul et principal heritier7, comme pour garder l’onneur de la [p. 370] maison dont est yssus le dit conte, extendre à icelui conte nostre dicte grace, à ce que par default d’icelle il n’ait couleur ou achoison de cheoir en desespoir, et de faire autre chose plus avant contre son honneur et le serement et feaulté qu’il a et doit à mon dit seigneur et à nous, à icelui Jaques conte de Ventadour, euz par nous sur les choses et requestes que dessus l’advis et deliberacion de plusieurs des gens de nostre conseil, avons remis, quictié et pardonné et par ces presentes, de nostre certaine science, grace especial et auctorité royal dont nous usons, quictons, [p. 371] remettons et pardonnons le faict et cas dessus dit, avecques toute peine, offense et amende corporelle, criminele et civile, en quoy il est et pourroit, pour occasion d’icelui et de non estre comparu, selon sa promesse, en nostre dit chastel, estre encouru envers nous et justice, ensemble les evocacions et appeaulx, s’aucuns s’en sont contre lui ensuiz, et de plus ample grace l’avons restitué et restituons à sa bonne renommée et à ses terres, seigneuries, possessions et autres biens quelxconques, non confisquez. Et semblablement avons audit de Torsay quictié et quictons, de nostre habondant grace, les dictes peines et amendes [p. 372] en quoy il est et pourroit estre dit et declairé encheu et encouru envers nous et justice, à l’occasion de ce que dit est dessus et de la caucion, plegerie, response ou promesse ainsi par lui faicte et non accomplie au regard d’icelui conte, et ne voulons pas que jamais on en puisse riens demander à lui ny à ses hoirs ou aians cause, en quelque maniere que ce soit. Et quant à ce, et aussi au regard du fait principal touchant le dit conte, imposons silence perpetuel au procureur de mon dit seigneur, au nostre et à tous noz autres justiciers et officiers, pourveu toutesvoies que, avant tout euvre, satisfacion soit faicte civilement et raisonnablement, [p. 373] tant que suffire doie, aux parens et amis du dit feu Guichart, à qui il appartendra, si ja n’a esté faicte. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à noz amez et feaulx conseilliers de monseigneur et nostres, les gens tenens et qui tendront le Parlement de mon dit seigneur en nostre ville de Poictiers, aux mareschaux de France et le nostre mareschal, aux seneschaux de Limosin et de Poictou et à tous les autres justiciers et officiers de monseigneur et nostres, ou à leurs lieuxtenans, presens et advenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit conte de Ventadour et aussi le dit de Torsay, et à chascun d’eulx, en tant que ce lui touchera, facent, seuffrent et laissent joïr et user plainement et paisiblement de noz presente grace, pardonnance, quictance et remission8, sans leur faire ou donner, ne souffrir estre fait ou donné, ores ne ou temps advenir, aucun arrest ou empeschement au contraire en corps ne en biens, ne autrement, en quelconque maniere que ce soit, ainçois leurs personnes, terres, seigneuries ou autres biens qui pour ce seroient aucunement empeschez, mettent ou facent mettre sans delay à plaine delivrance. Car ainsi nous plaist il et pour les causes que dessus voulons qu’il soit fait. En tesmoing de ce, nous [p. 374] avons fait mettre nostre seel à ces presentes, sauf en autres choses le droit de mondit seigneur et nostre, et l’autruy en toutes. Donné ou chastel d’Amboise, ou mois de juillet l’an de grace mil iiiic xxi.

Sellées de nostre seel ordonné en l’absence du grant.

Ainsi signées : Par monseigneur le regent daulphin, en son conseil, ouquel l’arcevesque de Rains9, l’evesque de Tuelle10, le doien esleu de Paris11, le sire de Mirandol12 et maistre Jehan Cadart13 estoient. J. Le Picart. Visa.


1 Voy. la longue notice consacrée à ce personnage, ci-dessus, p. 242.

2 On ne possède que peu de renseignements sur les comtes de Ventadour, issus de la maison de Comborn, en Limousin. Jacques était le fils aîné de Robert de Ventadour et d’Isabeau de Vendat. Il avait été fait prisonnier à Azincourt, comme il est dit à la fin de ces lettres. Une quittance de gages, scellée de son sceau, le 4 mai 1420, nous apprend qu’alors il était employé au recouvrement de diverses places fortes dans le Charolais et le Mâconnais. (Bibl. nat., Titres scellés de Clairambault, vol. 111, p. 8677.) M. Ph. de Bosredon a décrit deux autres sceaux de ce personnage et de son frère cadet Charles, qui lui succéda dans le comté de Ventadour. Ce dernier fut aussi chambellan de Charles VII, épousa en 1427 Marguerite de Pierre-Buffière, comtesse de Pardiac, et mourut après 1470. (Sigillographie du Bas-Limousin, in-4°, 1886, p. 412, 413.) Dans les Mémoires anonymes concernant la Pucelle, publiés pour la première fois par Denys Godefroy, en 1661, et réimprimés dans la collection Petitot, on lit que Jacques, comte de Ventadour, fut fait prisonnier à Cravant (1423) et tué à la bataille de Verneuil, le 17 août 1424. (Tome VIII, p. 94 et 106.) Il n’y a point lieu de récuser ces témoignages. Le comte de Ventadour devait avoir à peine trente ans et ne laissait point d’enfants de son mariage avec Jeanne de Torsay, fille unique du grand maître des arbalétriers.

3 Ce nom est écrit ailleurs du Cigne ou du Cygne. Jean devint plus tard maître d’hôtel du roi Charles VII ; il prend ce titre dans un mandement relatif à l’envoi de chevaux pour des charrois, scellé de son sceau, le 24 juillet 1428. (Bibl. nat., Titres scellés de Clairambault, vol. 103, p. 8023.)

4 Pierre Frotier, écuyer, seigneur de Melzéard et de Mizeré en Poitou, vicomte de Montbas, baron de Preuilly, Azay-le-Féron et le Blanc en Berry, à cause de sa femme, suivit le parti de Charles VII, lorsqu’il n’était encore que dauphin. Il l’avait emporté sur son dos à la Bastille, quand les Bourguignons s’emparèrent de Paris en 1418, d’où la grande faveur dont il jouit auprès de ce prince, qui le créa son premier écuyer du corps et grand maître de son écurie, par lettres datées de Montereau, le 20 septembre 1419, c’est-à-dire au lendemain de l’assassinat de Jean sans Peur ; il était l’un des dix seigneurs qui accompagnèrent le dauphin à cette fatale entrevue. Cette même année, il était capitaine du château de Gençay, comme on le voit par une quittance de gages de cette charge, scellée de son sceau, le 18 octobre. (Bibl. nat., ms. Clairambault 50, p. 3809.) Une quittance de 200 livres qu’il avait reçues pour ses étrennes, le 25 janvier 1420 n.s., porte sa signature autographe. Par lettres patentes datées de Carcassonne, le 21 mars suivant, le dauphin lui octroya encore une gratification de 1000 livres, dont il scella quittance le 24 du même mois. (Bibl. nat., Pièces originales, vol. 1255, nos 69-72.) En 1423, ce prince fit don à Frotier des château, ville et châtellenie de Gençay, mais le Parlement refusa d’enregistrer les lettres patentes. (Arrêt du 31 juillet, X1a 9190, fol. 248.) M. de Beaucourt a tracé de ce favori de Charles VII un portrait peu flatteur, dont il a emprunté les principaux traits à une plaidoirie prononcée, le 17 août 1424, au Parlement de Poitiers, au nom de Maurice Claveurier, lieutenant du sénéchal de Poitou, alors maire de Poitiers, qui poursuivait le premier écuyer du corps pour manquement grave et outrages envers sa personne, le jour de l’entrée du roi dans cette ville. (X1a 9197, fol. 338 ; Histoire de Charles VII, t. II, p. 65 et suiv.) Le président Louvet, après la nomination de Richemont à la charge de connétable, voulant reconquérir la faveur du roi, prête à lui échapper, réussit à écarter du conseil les partisans de l’alliance bretonne, et particulièrement Jean de Torsay. Il fit nommer Pierre Frotier sénéchal de Poitou et capitaine de Poitiers, en remplacement de ce dernier (18 mars 1425 n.s.). Cependant l’orage qui menaçait Louvet et ses partisans ne tarda pas à éclater. Le 5 juillet de la même année, ils furent éloignés de la cour sous différents prétextes. Louvet, Frotier et les autres ne jouèrent plus désormais qu’un rôle effacé, sans toutefois tomber dans une disgrâce complète ; ils conservèrent du moins les dons et pensions qu’ils tenaient de la libéralité royale. (E. Cosneau, Le connétable de Richemont, in-8°, 1886, p. 100 ; de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. II, p. 90.)

Pierre Frotier vécut jusqu’en 1459 et 1460, et nous aurons sans doute occasion de le retrouver et de citer beaucoup d’autres renseignements que nous avons recueillis sur son compte dans les registres du Parlement. Il avait épousé, vers 1422, Marguerite de Preuilly, la deuxième des cinq filles de Gilles, baron de Preuilly, seigneur de la Roche-Pozay, et de Marguerite de Naillac, dont il n’eut qu’un fils, Prégent Frotier.

5 Briand Meschin était écuyer et capitaine de Couhé, pour Jean de Mortemer, seigneur dudit lieu, en décembre 1423 et janvier 1424, époque où ils étaient poursuivis tous deux par l’abbé et les religieux de Notre-Dame de Valence, contre lesquels ils s’étaient rendus coupables de divers excès. (X2a 18, fol. 17 et 18 v°, et X2a 21, à la date du 3 janvier 1424 n.s.) Il a été précédemment question de ce procès (p. 12 du présent volume). Il était fils de Jean Meschin, dit le Prévot, et de Simonne du Pelle. Après la mort de son père, le 9 juin 1404, étant encore mineur, sa mère fit en son nom l’aveu au duc de Berry de leur hébergement de la Garde, sis en la paroisse de Blanzay et autres petits fiefs mouvant de Civray. (Arch. nat., R1* 2172, p. 1181.) Le 5 octobre 1418, Briand Meschin renouvela cet aveu à Charles, dauphin, comte de Poitou, et pays 5 sous de devoir. Le même jour, il rendit hommage à ce prince pour son lieu de Massay en la paroisse de Chaunay, à lui récemment advenu par la mort de Guillaume Esbaudi, et mouvant aussi du château de Civray. (P. 1144, fol. 68 et 69 v°.)

6 Pendant que Buchan, le duc d’Alençon, le maréchal de La Fayette, la Hire et Saintrailles étaient occupés au siège d’Alençon, le régent Charles se mit en campagne avec 7000 lances, 4000 arbalétriers et 7000 archers, et marcha dans la direction de l’Île-de-France. Le 10 juin, ayant rallié les troupes du connétable, il était devant Montmirail, assiégé depuis quinze jours par le vicomte de Narbonne, et dont le château fut rasé. Les deux capitaines de cette place passèrent au service du dauphin. (De Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. I, p. 227.)

7 Le P. Anselme, qui paraît avoir eu connaissance de ces lettres de rémission, mais qui à coup sûr n’a pas remarqué ce passage, suppose que Jean de Torsay eut deux filles, la première dont il ne peut donner le prénom, et pour cause, femme de Jacques comte de Ventadour, et l’autre Jeanne qui, selon lui, fut mariée trois fois. (Hist. généal., t. VIII, p. 71.) Il est absolument certain que celle-ci était fille unique ; on le voit ici et dans d’autres textes. C’était une riche héritière tant par son père, dont on a énuméré ci-dessus les principales possessions (p. 246, note), que du chef de sa mère, Marie d’Argenton, qui elle-même avait recueilli toute la succession de ses père et mère, Jean d’Argenton, seigneur d’Hérisson, et Charlotte de Melle, dame de la Mothe-Chalandray et de Gascougnolles. Veuve du comte de Ventadour, tué à la bataille de Verneuil (17 août 1424), Jeanne de Torsay épousa, en secondes noces, dès 1425, André de Beaumont, fils de Guy, sire de Bressuire. Après le décès du grand maître des arbalétriers, Marie d’Argenton, sa veuve, s’étant de son côté remariée pour la troisième fois, fut assignée, ainsi que son nouvel époux Jean Arignon, écuyer, seigneur de l’Espinaye, sa fille Jeanne de Torsay et le second mari de celle-ci, André de Beaumont, par ses enfants du premier lit, c’est-à-dire Jean et Mathurin de Martreuil, et Jeanne de Martreuil, veuve de Louis de Rochechouart, qui leur réclamaient une partie de l’héritage de Jean d’Argenton et de Charlotte de Melle, leurs grand-père et grand’mère maternels. (Mandement du 1er février 1430 n.s., X1a 8604, fol. 140.) Le 8 mai 1431, André de Beaumont, accusé de complot contre Georges de La Trémoïlle et le roi, fut condamné à la peine capitale, comme criminel de lèse-majesté, et décapité. (Arch. nat., J. 366, n° 1, et X2a 21, fol. 136 v°.)

Jeanne de Torsay se consola assez vite de la mort tragique de son second mari et ne tarda pas à contracter une troisième union avec Jean de Rochechouart, sr de Mortemart. Un procès qu’elle soutint à propos d’une clause du testament de son père, contre Jeanne d’Archiac, femme de son oncle, Guillaume de Torsay, sr de Melleran, depuis fort longtemps prisonnier des Anglais, fournit de bien curieux renseignements. Le procès était entamé déjà du vivant d’André de Beaumont. Une somme de 3000 écus d’or avait été léguée par Jean de Torsay à son frère, pour l’aider à payer sa rançon Aux termes du testament, daté du 25 avril 1427, cette somme devait être payée par les héritiers, si un échange alors en cours de négociation entre Guillaume de Torsay et deux Anglais, Thomas d’Arundell et un nommé Crusby, prisonniers au château de la Mothe-Saint-Héraye, venait à échouer. Jean de Torsay laissait en outre à son frère, pour lui et ses successeurs, son château ou forteresse de la Roche-Élie et les dépendances, qu’il avait acquises durant son mariage. Le sr d’Arundell était mort prisonnier, et l’autre Anglais, Crusby, étant un archer de petit état, ne pouvait payer une forte rançon, de sorte que l’échange n’avait pu avoir lieu. C’est alors que Jeanne d’Archiac réclama l’exécution des clauses du testament au profit de son mari. Les défendeurs la renvoyèrent à Marie d’Argenton, prétendant que le mari de celle-ci lui avait laissé le reste de ses biens, les legs particuliers une fois payés, et que la Roche-Élie était un acquêt lui appartenant pour moitié, aux termes de la coutume de Poitou. Ils prétextaient de plus que Jean de Torsay, longtemps avant sa mort, avait légué l’usufruit de ce château à Marguerite de Ventadour. Jean de Rochechouart ayant fait appel au Parlement d’un appointement donné par le sénéchal de Poitou, la cour retint le fond de l’affaire. C’est le 6 décembre 1432 qu’apparaît, sur les registres du Parlement siégeant à Poitiers, la première trace de ce procès, et à cette date, Jeanne de Torsay était déjà remariée au sr de Mortemart. (X1a 9194, fol. 32.) La cour rendit son arrêt le 7 septembre 1436. Rochechouart et sa femme furent condamnés à payer les trois mille écus d’or ou leur juste valeur, au cours où ils étaient le 25 avril 1427 (ce qui prouve que Jean de Torsay était mort très peu de temps après avoir testé), pour aider Guillaume de Torsay à sortir de captivité, car il était toujours prisonnier en Angleterre, et à mettre la demanderesse en jouissance de la terre et château de la Roche-Élie, et de plus à lui payer les arrérages des revenus depuis le commencement du procès. (X1a 9193, fol. 161 v°.)

Une autre affaire restait à régler, relative aussi à l’exécution du testament de Jean de Torsay. Par acte du 20 août 1421, celui-ci avait fondé une messe des morts perpétuelle qui devait être célébrée chaque jour à l’autel de la chapelle qu’il faisait alors construire en l’église de Notre-Dame-la-Grande, et devait être appelée la messe de Torsay. Comme dotation de cette chapelle, il donna au chapitre la dîme de Marnay, trente setiers de froment à prendre chaque année sur la grande dîme de Rochefort, et de plus les ornements et meubles nécessaires au culte. Le dauphin et régent Charles amortit ces dîmes par lettres données à Tours, le 22 septembre de la même année. Puis par son testament, en augmentation de la précédente fondation, le sire de Torsay légua aux chanoines de Notre-Dame-la-Grande vingt charges de froment de rente, à prendre sur ses biens, sans plus préciser. En 1431 et en 1433, Jeanne de Torsay et son mari Jean de Rochechouart, par décisions judiciaires, furent condamnés à payer le tout au chapitre. Restait à fixer l’assiette des vingt charges de froment. Il était dans la destinée de Jeanne de Torsay de perdre chacun de ses maris après cinq ou six ans d’union. Un acte du 6 avril 1437, portant ajournement de ladite dame, au nom du chapitre de Notre-Dame, par-devant le sénéchal de Poitou, nous apprend qu’à cette date elle était veuve du sr de Mortemart, et résidait au château de la Mothe-Saint-Héraye. C’est donc à tort que le P. Anselme dit que Jean de Rochechouart se trouva à la journée de Baugé en 1438 et mourut avant le 26 juillet 1444. (T. IV, p. 667.) Un autre document authentique des archives de Notre-Dame-la-Grande, daté du 15 février 1438 n.s., porte acceptation par le chapitre, des mains de Maurice Claveurier, lieutenant du sénéchal de Poitou, cessionnaire des droits de Jeanne de Torsay, de la sixième partie des dîmes de Chasseneuil pour l’assiette de la rente des vingt charges de froment (Voy. Arch. de la Vienne, G. 1211, 1233 et 1234 ; Arch. nat., X1a 9193, fol. 97, d’où sont extraits les renseignements qui précèdent.)

La fille unique de Jean de Torsay contracta, suivant le P. Anselme, un quatrième et dernier mariage avec Philippe de Melun, seigneur de la Borde. Celui-ci, dit-il, fut à cause d’elle seigneur de Lezay, et ils vivaient ensemble en 1449 et 1459. (Tome V, p. 243, et t. VIII, p. 71.) La date de ce mariage n’est pas indiquée, mais on sait qu’à la mort de son troisième mari, Jeanne de Torsay n’avait guère que trente-cinq ans. Ses enfants furent : du deuxième lit, Jacques de Beaumont, sire de Bressuire, qui joua un rôle important sous Louis XI, et Jeanne ; du troisième : Jean II de Rochechouart, sr de Mortemart, Louis de Rochechouart, évêque de Saintes, Radegonde, femme de Louis de Montbron, et Marie, femme de Jean d’Estampes, sr de la Ferté-Nabert (Hist. généal., t. IV, p. 677) ; du quatrième : un fils, Jean de Melun, que l’on trouve qualifié seigneur de Lezay en 1485. (Id., t. V, p. 243.)

8 Ces lettres sont insérées dans l’arrêt d’entérinement prononcé par le Parlement siégeant à Poitiers, le 30 septembre 1422 seulement ; car il y avait eu un long procès à propos de cette vérification. En ce qui concernait Jean de Torsay, la rémission fut admise sans réserve ni condition. Mais Jacques comte de Ventadour fut condamné à fonder, pour le salut et repos de l’âme de sa victime, une chapelle ou chapellenie de quatre messes par semaine, en l’église paroissiale de Sazilly, ladite chapelle dotée d’une rente annuelle de 30 livres tournois forte monnaie, dûment amortie, et de missel, calice, vêtements sacerdotaux et autres ornements et meubles nécessaires à la célébration du service divin, à la collation du roi de France ; et de plus à payer, comme amendes, dommages et intérêts, à Jeanne de Sazilly, veuve de Jean du Puy, mère de feu Guichard du Puy, à la veuve de ce dernier, Guyonne de Picquigny, damoiselle, alors remariée à Jean Marteau, écuyer, et à Étienne du Regne et Marie Imbaut, sa femme, nièce du défunt, aux premiers trois cents écus d’or au coin du roi, et aux autres cinq cents écus. (X1a 9190, fol. 197.)

9 Renaud de Chartres, né vers 1380, mort le 4 avril 1444, fut successivement archevêque de Reims (2 janvier 1414, jusqu’à son décès), président de la Chambre des comptes de Paris (1415), chancelier de France (1424 et 1428), cardinal (1439). Il fut l’un des signataires du traité d’Arras (1435).

10 Hugues de Combarel fut évêque de Tulle de 1416 à 1422. L’année suivante, après la mort du cardinal Simon de Cramaud (décembre 1422), il fut pourvu du siège épiscopal de Poitiers, qu’il occupa jusqu’en 1440.

11 Jean Tudert, d’une famille noble de Poitou, conseiller au Parlement et maître des requêtes, official de Paris en 1412, fut nommé doyen du chapitre par le pape Jean XXIII, qui s’était réservé la collation de cette dignité. Chargé de plusieurs missions diplomatiques par Charles VII, régent, puis roi, il fut constamment dévoué à ce prince et rentra avec lui à Paris en 1436, après une absence de dix-huit ans, et fut replacé à la tête du chapitre. Élu par le pape Eugène IV évêque de Châlons, le 23 avril 1439, il mourut avant d’avoir été consacré, le 9 décembre de la même année. (Gallia christiana, t. VIII, col. 212.)

12 Le sire de Mirandol (sans doute Mérindol), plus souvent désigné sous le titre de président de Provence. C’était le fameux Jean Louvet, chevalier, président de la Chambre des comptes d’Aix (1415), commissaire général des finances (1417), l’un des principaux conseillers de Charles VII, pendant les premières années de son règne. Il dirigea la politique de ce prince et se maintint à force d’intrigues jusqu’en juillet 1425, qu’il tomba en disgrâce. Remplacé alors par le connétable de Richemont, il vécut dans la retraite jusqu’à sa mort qui arriva après le mois de mai 1438. Il avait marié sa fille (1422) au célèbre Dunois. (Voy. de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. II, p. 65-70, 181-183.)

13 Jean Cadart était physicien ou médecin du roi, son ami et conseiller. Il fut enveloppé dans la disgrâce de Jean Louvet, et comme celui-ci, il quitta la cour en conservant les dons et pensions dont il avait été comblé. (Id. ibid.)