[p. 88]

DCCCCXIV

Rémission accordée à Jean Effray, dit Gradelet, et à plusieurs de ses complices, poursuivis pour le meurtre du prieur de Buxière qui avait séduit et enlevé la femme dudit Effray.

  • B AN JJ. 160, n° 223, fol. 152 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 88-91
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté humblement exposé de la partie des amis charnelz de Jehan Effroy, dit Gradelet, Macé Massé, Jehan Moreau, Vincent Raboteau, Jehan Robin et Guillaume le Faucheur, demourans à Buxieres la Gaillarde, povres laboureurs, chargiez de femmes et les aucuns d’eulx de petiz enfans, que, neuf ans a ou environ, un religieux de l’abbaye de Nostre Dame de Noyers1 estoit prieur ou gouverneur du prioré du dit lieu de Buxieres2, et y avoit à cause du dit prioré haulte, moyenne et basse justice, et combien qu’il se [p. 89] deust estre gouverné comme bon religieux, toutes voies il estoit moult luxurieux et plain de sa voulenté, et environ le dit temps dist au dit Moreau par pluseurs foiz ces parolles ou semblables en substance : « Vilain, tu ez jaloux de ta femme et de moy, mais en despit de ton visaige, je coucheray avec elle et en feray mon plaisir, et se tu en grousses, tu seras batu comment que ce soit. » Et pour ce que le dit Jehan Effroy dist que c’estoit mal fait, le dit prieur ala à son hostel et contre son gré print la femme du dit Effray par la main, et devant tous les assistens l’en enmena ou dit prioré, et convint que le dit Effray s’en fouyst pour doubte que le dit prieur ne le batist. La quelle femme du dit Effroy le dit prieur tint en son dit prioré par l’espace de cinq ou six semaines, au sceu des gens d’icelle ville. Durant lequel temps le dit Effray, pour doubte du dit prieur qui estoit coustumier de proceder par voye de fait, se absenta de la dicte ville et revint par deux ou trois fois, et requist et fist requerir par ses parens et amis au dit prieur qu’il lui rendist sa dicte femme ; dont le dit prieur ne voult riens faire, pour requeste qu’il lui en sceust faire. Et à un certain jour qui fu un peu avant la saint Jehan Baptiste, le dit Effray retourna en la dicte ville et requist au dit prieur, en presence de pluseurs gens, qu’il lui rendist sa femme. Lequel prieur s’en entra lors ou dit prioré et fist mettre un chappeau de roses sur sa teste, et en tel estat la monstra au dit Effray par maniere de moquerie, en disant : « Vilain, vecy ta femme. Tu ne la tenoies pas si jolie », mais oncques ne la lui voult rendre. Pour la quelle chose le dit Effray dist aus dessus nommez et aucuns autres que autant leur en pourroit faire le dit prieur, et pour ce leur pria qu’ilz lui voulsissent aider à recouvrer sa femme. Les quelz, à la requeste du dit Effray, et le dit Effray avecques eulx, alerent le jour saint Jehan Baptiste et par nuit ou dit prioré, pour querir la dicte femme du dit Effray, et hurterent à l’uis du dit prieur, et entrerent en sa chambre. Et [p. 90] quant le dit prieur les vit, il s’en fouy ou clochier de la dicte esglise et de là monta sur le cuer de l’eglise, et de là chut à terre ; et quant il fut cheu, le dit Faucheur le fery pluseurs coups d’un baston et glaviot, des quelx cops il ala de vie à trespassement. Et quant il fut mort, les dessus nommez le porterent en la riviere de Vienne qui queurt assez prez de la dicte ville et du dit prieuré. Et depuis, pour souspeçon du dit cas, les dessus nommez ou aucuns d’eulx furent approuchiez en la court dudit lieu de Buxieres, et aprez pluseurs delais furent licenciez de court. Depuis lesquelles choses, le dit Jehan Effray s’est absentez, pour doubte de rigueur de justice, et les autres dessus nommez ont esté prins et miz en nos prisons de Chinon3, pour le dit cas, soubz umbre de ce que nostre procureur ou l’abbé du dit lieu de Noyers veulent maintenir que ledit prieur estoit en nostre sauvegarde ou autrement. Pour les quelles choses les dessus nommez sont en voye de finer leurs jours miserablement, se sur ce ne leur estoit impartie nostre grace et misericorde, si comme leurs diz amis dient, en nous humblement suppliant que, attendu que en autres cas les dessus nommez ont tousjours esté de bonne vie et renommée, sans avoir esté reprins ne convaincuz d’aucun autre villain blasme ou reprouche, et que le dit prieur estoit de dissolue vie et tenoit la dicte femme du dit Effray contre son gré, et encores le menaçoit de batre, et avoit menacié le dit Moreau que ainsi feroit il de sa femme, comme dessus est dit, et doubtoient les dessus diz que aussi feist il d’eulx, et que ce qu’ilz firent fu pour aidier au dit Effray à recouvrer sa femme que le dit prieur tenoit comme dit est, et attendu le long temps que le dit fait advint, nous sur ce vueillons aux dessus nommez extendre nostre dite grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans en ceste [p. 91] partie misericorde estre preferée à rigueur de justice, aux dessus nommez et à chascun d’eulx avons remis, quictié et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions de Poitou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de mars l’an de grace mil cccc. et cinq, et le xxvie de nostre regne4.

Par le roi, messire Guerin de Lorriz et plusieurs autres chambellans. J. de Rouvres.


1 Sur l’abbaye Notre-Dame de Noyers, de l’ordre de Saint-Benoît, au diocèse de Tours (auj. cne de Nouâtre, Indre-et-Loire), voy. la Gallia christ., t. XIV, col. 288, et C. Chevalier, Hist. de l’abbaye de Noyers.

2 Les lettres qui suivent immédiatement, relatives au même fait, donnent le nom de ce prieur, Jean Chapeau. Le prieuré de Saint-Jean-Baptiste de Buxière, près Dangé, fut uni à la cure des Ormes en 1765. (H. Beauchet-Filleau, Pouillé du diocèse de Poitiers, p. 264 ; Rédet, Dict. topogr. de la Vienne.)

3 Comme infracteurs de la sauvegarde royale, les prévenus étaient justiciables du bailli des Exemptions de Poitou, Anjou et Maine, dont le siège était à Chinon.

4 Un autre complice de ce meurtre, Julien Fougeron ou Foucheron, obtint de doubles lettres particulières de rémission, sous la même date, toutes deux transcrites sur ce registre JJ. 160. Le texte de l’une (n° 305, fol. 219 v°), sauf qu’il n’y est pas question d’emprisonnement à Chinon, pour enfrainte de sauvegarde, est à peu près identiquement le même que celui-ci ; il est par conséquent inutile de le publier. L’autre présente dans les détails des différences telles qu’il nous paraît utile d’en donner la partie essentielle, quoique le récit y soit beaucoup moins circonstancié.