[p. 301]

DCCCCLXXXII

Rémission accordée à Guillaume Nepveu le jeune, de Mouterre-Silly près Loudun, poursuivi pour meurtre. Ayant passé une journée à boire avec plusieurs compagnons, une querelle s’éleva le soir entre deux d’entre eux en sa maison, et étant intervenu pour les faire cesser et quitter la place, il avait frappé Lucas Cottereau de deux coups de bâton, dont celui-ci était mort quelques jours plus tard.

  • B AN JJ. 169, n° 371, fol. 248
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 301-306
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, de la partie des amis charnelz de Guillaume Nepveu1, le jeune, fils de Aymery Nepveu, povres laboureurs de terres, c’est [p. 302] assavoir le dit pere aagié de lx. ans ou environ, et le filz de trente ans on environ, chargé de femme et de trois petites filles, demourans en la parroisse de Moustier Seillé près de la ville de Lodun, ou diocese de Poitiers, nous a esté humblement exposé que, le dimenche après Quasimodo derrenier passé, icelui Guillaume Nepveu s’estoit transporté de la dicte parroisse en la dicte ville de Lodun pour oïr la messe et querir ce qu’il failloit à son dit pere et à lui, et aussi à leurs femmes, enfans et filles ; en laquelle ville de Lodun icelui Guillaume Nepveu le jeune but et manga en pluseurs lieux avecques pluseurs compaignons, et entre les autres à l’ostel des Bans, ou naguaires souloit demourer Guillaume Ragot, avecques Estienne Mendreux, Jehan Bonnet, Jehan Joffiron et Guillaume Fouqueteau, aussi laboureurs, demourans en ladicte parroisse de Seillé, et jusques à heure de vespres ; et du dit Lodun iceulx compaignons beveurs, pour mieulx boire à leur aise, se transporterent à l’ostel du dit Joffiron, leur compaignon beveur, comme eulx demourans ou villaige de Baussay, ouquel ilz furent jusques à ce qu’il fu soleil resconsé. Et après ce que les aucuns d’iceulx compaignons beveurs, c’est assavoir les diz Guillaume Nepveu, Estienne Mendreux et Jehan Bonnet, eurent bien beu ensemble et furent bien yvres, ilz s’en alerent ensemble jusques auprès du molin Bouteillier. Et si tost qu’ilz furent assez prez d’icelui molin, le dit Bonnet dist aus diz Guillaume Nepveu le jeune et Estienne Mendreux, ses compaignons beveurs : « Alez tousjours vostre chemin, je voys querir ma farine ou dit molin, et ainçois que vous soiez guaires loing, je vous actaindray bien ». Ce pendant que le dit Bonnet fu alé querir sa dicte farine ou dit molin, et que iceulx Guillaume Nepveu le jeune et Estienne Mendreux s’en aloient leur chemin contre le village de Pruilly, iceulx Guillaume Nepveu le jeune et Estienne Mendreux rancontrerent Lucas Cotereau et Martin Archambaut, et s’entresaluerent [p. 303] les uns les autres, et firent grant chiere. Et après ce qu’ilz se furent ainsi saluez et fait chiere l’un à l’autre, le dit Lucas demanda au dit Guillaume Nepveu qu’il lui baillast trois terrins ou godès à boire qu’il avoit, afin qu’il eust matiere de soy departir du dit Martin Archambaut, lequel Martin il avoit cabusé2 de sa bourse, la quele il avoit par devers soy et ne savoit maniere de soy departir du dit Martin, fors par le moien des diz trois terrins ou godès que, incontinent que icelui Guillaume Nepveu les lui auroit baillez, il s’enfuieroit d’eulx ; lequel Guillaume Nepveu lui accorda et lui bailla les diz terrins ou godès. Et puis s’en fouy d’eulx, faignant qu’il s’en aloit à son hostel, telement qu’ilz perdirent la veue de lui. Et puis, sans soy retraire à son dit hostel, après ce qu’il ot apperceu que le dit Martin Archambaut s’estoit departi des diz Guillaume Nepveu et Estienne Mendreux, et aussi de Jehan Bonnet, lequel s’en estoit alé au dit molin pour sa dicte farine, comme dit est, et avoit jà actaint les diz Guillaume Nepveu et Estienne Mendreux, se rendi aus diz Guillaume Nepveu le jeune, Estienne Mendreux et Jehan Bonnet, pour lors assemblez ou dit chemin, pour eulx en aler chascun à leurs hostelz ; et d’ilec se rendirent tous quatre ainsi assemblez à l’ostel d’icelui Estienne Mendreux, leur compaignon beveur, ou quel ilz burent et mengerent la viande, de quoy le dit Estienne, sa femme et ses enfans devoient soupper. Et firent là une très grant chiere et jusques à ce qu’il fu deux heures de nuyt ou environ. Et non contens de ce, iceulx beveurs, c’est assavoir le dit Lucas, Jehan Bonnet et Guillaume Nepveu, s’en vindrent tous trois ensemble à l’ostel des diz Aimery Nepveu et de Guillaume Nepveu, son filz, ouquel, après ce qu’ilz y furent arrivez, ilz eurent [p. 304] très bonne chiere et y mengerent des oefs fris au lart et beurent plus fort que paravant. Et après ce qu’ilz orent bien beu et mengié à leur bel plaisir et voulenté, et furent deliberez d’eulx en aler à leurs hostelz pour eulx coucher ou faire ce que bon leur eust semblé, icellui Lucas voult oster le baston que tenoit en sa main le dit Jehan Bonnet, en disant à icelui Jehan Bonnet que le dit baston estoit sien et non mie au dit Bonnet. Il en desplut au dit Bonnet et lui dist tout oultreement qu’il n’en auroit point, comme qu’il en feust. Sur quoy noise se prist entre eulx, en tenant le dit baston l’un d’un costé l’autre de l’autre, et tant que en conclusion le dit baston fu rompu entre leurs mains. Le dit Jehan Bonnet qui fu plus fort que le dit Lucas s’en courrouça plus fort que par avant et se prist au corps du dit Lucas, et le tumba sur la huche au pain estant ou dit hostel, et d’ilec le tumba après sur la pierre où l’en a acoustumé à asseoir les seaulx à l’eaue du dit hostel, laquele estoit joingnant de la dicte huche au pain. Sur quoy, pour les desmesler et rapaiser de leurs diz debaz, ledit Guillaume Nepveu et sa femme se prindrent au dit Bonnet, lequel tenoit soubz lui tumbé et abatu le dit Lucas, et firent tant qu’ilz firent lever le dit Jehan Bonnet de dessus le dit Lucas abatu par la maniere que dit est, et les departirent de leur meslée et debat le mieulx et le plus bel qu’ilz peurent, et les firent aler et yssir hors de leur dit hostel, en entencion qu’ilz s’en alassent à leurs hostelz couchier, et puis fermerent leur huys, pour eulx en aler aussi couchier. Mais les diz Lucas et Bonnet, après ce qu’ilz furent hors du dit hostel, ne se tindrent pas atant, et eulx estans encores en la court et closture du dit hostel, se reprindrent à eulx batre et noiser et crier l’un contre l’autre plus fort que par avant. Le dit Guillaume Nepveu, lequel estoit yvre comme eux, oy leur dicte noise et debat, et comme courroucié d’icelle noise et debat, prist un baston en sa main, ouvry l’ostel de son dit pere et de [p. 305] lui, et s’en yssi hors, et leur dist que, s’ilz ne se taisoient et ne s’en aloient couchier à leurs hostelz, qu’il frapperoit sur eulx de son dit baston telement qu’ilz s’en yroient voulentiers couchier. De ces paroles ilz ne tindrent compte et ne s’en voloient oncques aler. Et pour ce le dit Guillaume Nepveu, comme courroucié de ce que dit est, commença à frapper de son dit baston le dit Jehan Bonnet un cop seulement sur les espaules. Si tost qu’il se senti frappé et qu’il apperçut bien que icelui Guillaume Nepveu le jeune estoit courroucié et enuyé de leur dicte noise et debat, n’atendi pas à soy en aler parmi la porte de la dicte court, mais s’en fouy le plus tost qu’il pot parmi les jardins appartenans au dit hostel. Le dit Lucas ne s’en voult oncques aler et dist qu’il ne s’en yroit point, comment qu’il en feust. Et pour ce le frappa le dit Guillaume Nepveu le jeune deux cops de son dit baston, l’un parmi les jambes et l’autre parmi la teste tant qu’il tumba à terre. Sur quoy au cry qu’ilz firent, y survint Helyot Nepveu, filz de Guillaume Nepveu l’ainsné et la femme aussi du dit Guillaume Nepveu le jeune, qui le leverent et l’emmenerent à l’ostel d’icelui Guillaume Nepveu l’ainsné, pere dudit Helyot et oncle du dit Guillaume Nepveu, le jeune, lequel est assez près d’illec. Et là fu icelle nuyt le mieulx que l’en peut gouverné et couchié. Et le lendemain fu à son hostel assiz ou villaige de Baussay, où il fu gouverné malade l’espace de huit jours ou environ, et au bout d’iceulx huit jours moru. Et est tout commun [bruit] ou dit pays que, se le dit Lucas eust esté bien gouverné en sa dicte maladie, veu la bonne chiere qu’il faisoit et fist en icelle, et que l’en eust aussi peu finer de cirurgiens, barbiers et gens expers à ce, comme l’en fait ès bonnes villes et citez dont ilz sont loing, qu’il n’en feust jà mort. Pour occasion duquel cas, icellui Guillaume Nepveu s’est absenté du dit pays, pour doubte de rigueur de justice, et est en voye pour ce d’estre destruit de corps et de [p. 306] biens, se par nous ne lui estoit sur ce pourveu de nostre misericorde, si comme dient les diz supplians, requerans humblement que comme, attendu le jeune aage que a à present le dit Guillaume Nepveu le jeune, et le temps aussi et les noises et guerres qui ont eu cours ou dit pays, par quoy les gens du dit pays ont esté plus desordonnez et enclins à [mal] faire que ès autres temps paravant, et que le dit Guillaume Nepveu le jeune a aussi jeune femme et trois petites filles, son dit pere et sa mere, lesquelz sont jà vieulx gens et s’attendent à lui de la gouvernance de leur dit hostel, etc., et que le dit cas n’est pas avenu d’aguet appensé ou cogitacion mauvaise, mais par chaleur de jeunesse et yvresse de vin, etc., nous vueillions au dit Guillaume Nepveu le jeune sur ce impartir nostre grace et misericorde. Pour ce est il que nous, etc., avons au dit Guillaume Nepveu le jeune, pour reverence et honneur de Dieu et de sa noble feste du saint Sacre qui naguaires est passée, ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement à nostre bailli des ressors et Exempcions de Anjou, du Maine et Poitou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois d’aoust l’an de grace mil cccc. et seize, et de nostre regne le xxxvie.

Par le roy, à la relacion du conseil. Freron.


1 Vers cette époque, un Jean Neveu ou Nepveu était curé de Saint-Pierre-du-Marché à Loudun. Une contestation qu’il avait avec le curé de Saint-Pierre-du-Martroy de la même ville, Guillaume Fouchier, à propos d’une rente de 20 livres que celui-ci lui réclamait et des droits respectifs des deux paroisses, fut soumise à deux arbitres, Jean Beaufils et Vincent Le May, prêtres, qui rendirent leur sentence le 11 mai 1423. Jean Neveu, sous différents prétextes, fit opposition à la mise à exécution de ce jugement et obtint du lieutenant du bailli des Exemptions de Touraine, Anjou et Poitou qu’il fut annulé et cassé. Mais le curé de Saint-Pierre-du-Martroy et les arbitres relevèrent appel au Parlement qui leur donna gain de cause, par arrêt du 4 avril 1424 avant Pâques. (Arch. nat., X1a 9190, fol. 338 v°.)

2 Cabuser signifiait séduire, tromper, et par extension détourner artificieusement.