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DCCCCXIII

Rémission accordée à Guillaume Barré, à Guillette Taquaud, sa femme, et à Nicolas Bougras, leur compère, poursuivis et emprisonnés à Mareuil pour le meurtre d’Etienne Chemelier, qui avait voulu débaucher et menacé de battre ladite Guillette et la femme dudit Bougras.

  • B AN JJ. 160, n° 212, fol. 143
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 84-88
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, de la partie des amis charnelz de Guillaume Barré et de Guillette Taquaude, sa femme, et de Nicolas Bougras, chargiez de pluseurs petis enfans, demourans ou païs de Poictou, à nous avoir esté humblement exposé que, environ la Ternité derrenierement passée, un appellé Estienne Chemelier, homme marié de mauvaise et dissolue vie, renommé [p. 85] de coucher et habiter charnelment avec autres femmes1 que la sienne, eust poursuy et poursuioit la dicte Guillette de jour en jour pour avoir sa compaignie charnelle, en lui disant que, se elle ne lui accordoit, qu’il la batroit et destruiroit du corps. Laquelle, voulant obvier à ce et à la mauvaise volunté d’icelui Estienne et soy maintenir comme bonne femme avec son dit mary, lequel et elle se feussent pieça allouez ou acuillis à certain temps avec le conte de Ronnay2, pour le servir et gaigner leur povre vie et de leurs petis enfans, comme il appartenoit, lui dist qu’il se voulsist deporter de plus la poursuir ne prier. Toutesvoies, ce non obstant, ycelui Estienne en perseverant tousjours en son mauvais propos, ne se voult desister de tousjours la poursuir et requerir, et tant que, pour les grans menaces qu’il lui donnoit et faisoit souventes fois, voyant que aucunement elle ne se povoit despescher ne delivrer de lui, notifia et dist à son dit mary et au dit Bougras, qui estoit leur compere, la poursuite et ennuy que ycelui Estienne Chemeler lui avoit faicte et faisoit, dont ilz furent très courouciez et dolens et non senz cause, mesmement que aussi avoit il requise la femme d’icellui Bougras, qui doubtoit que pareillement il feist à sa dicte femme. Et pour ce que les diz mariez et Bougras estoient povres gens, regardans qu’ilz ne povoient bonnement resister à la force du dit Estienne qui estoit jeune homme, [p. 86] fort et puissant de corps et plain de mauvaise volunté ; considerans aussi que paravant ce il avoit batue la dicte Guillette, elle estant grosse d’enfant, et lui [avoit] donné d’une pierre contre le ventre, dont elle et son fruit furent en grant peril, et l’eust tuée ou autrement durement traictié, se son dit mary ne se feust mis entre eulx deulx, et lesquelz il avoit menacé et menaçoit tousjours, disant qu’ilz ne mourroient que par ses mains, combien qu’ilz ne lui avoient riens meffait et lui eussent fait dire et monstrer pluseurs foiz par bonnes gens que dès lors en avant il se voulsit deporter de leur vouloir faire aucun deshonneur ne donner aucunes menaces, lequel n’en voult riens faire, mais perseveroit chacun jour en son mauvaiz et dampnable propos, entreprindrent ensemble, touz esmeuz et courouciez, comme dit est, parce que le dit jour il estoit retourné par devers elle, que se il y retournoit plus, la dicte Guillette lui bailleroit et assigneroit heure et lieu, ce dit jour, ou quel lieu les diz mary et compere seroient muciez. La quelle chose, parce qu’il revint, fu ainsi faicte par la dicte Guillemete que entreprins avoit esté entre elle et ses diz mary et compere. Et tantost que le dit Chemeler fu entré ou dit lieu, les diz mariez et Bougras le prindrent au corps, le getterent par terre, lui copperent un pou du bout de la langue, et le batirent de bastons par les jambes ; et après la dicte Guillemette s’en ala coucher, et ses diz mary et compere le misdrent hors du dit lieu et le menerent en un champ, distant d’illec un quart de lieue ou environ, où ilz le batirent de rechief de baston et le laisserent ainsi là, senz le vouloir tuer. Pour la quelle cause, les gens et officiers de la justice de Maroil, dès le lendemain du dit fait avenu, prindrent et menerent en prison lez diz mariez et compere, c’est assavoir au chasteau du dit lieu de Maroil3, où ilz ont congneu et confessé le fait et cas dessus [p. 87] diz. Et ledit Estienne Chemeler fu emporté chieux lui, où il a demouré au lit malade, depuis le dit jour de la Trinité jusques au mardy après la saint Jacques et saint Cristofle xxviiie jour de juillet derrenierement passé ou environ, que par mauvaiz gouvernement ou autrement il, en deschargant les dessus diz, et disant par pluseurs foiz devant pluseurs que ou dit fait il avoit la plus grant faute, est alez de vie à trespassement. Pour occasion duquel fait, la dicte Guillemete estant enferrée en prison, comme dit est, doubtant rigueur de justice, s’est eschappée de la dicte prison et absentée du païs, et les diz son mary et compere sont encores en la dicte prison à grant misere et povreté, en aventure de briefment finer leurs jours et recevoir punicion corporele, se nostre grace et misericorde ne leur estoit sur ce impartie, si comme leurs diz amis dient, en nous requerant humblement que, attendues les choses dessus dictes et la mauvaise et dissolue vie du dit Estienne, et que les diz Barré et Bougras ne le cuidoient ne vouloient pas tuer, mais seulement le batre, que aussi il a vesqu après les dictes bateures par l’espace de sept sepmaines ou environ, pendant lequel temps, s’il eust eu bon gouvernement, il en peust estre reschappé, si comme les diz supplians dient, nous lui veullons impartir nostre dicte grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, que les dessus diz mariez et Bougras ont esté et sont, en touz autres cas, de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans avoir esté reprins, attains ne convaincuz d’aucun autre vilain blasme, si [p. 88] comme ilz dient, voulans en ceste partie misericorde estre preferée à rigueur de justice, aus diz Guillaume Barré, Guillemete, sa femme, et Nicolas Bougras, et chascun d’eulx, avons ou dit cas quictié, remis et pardonné, etc. Sy donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou, de Poictou et du Maine, et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de novembre l’an de grace mil quatre cens et cinq, et de nostre regne le xxvie.

Par le roy, à la relacion du conseil. Chaligaut.


1 Le texte porte par erreur « enfans », au lieu de femmes.

2 On trouve bien Rosnay dans les environs de Mareuil, mais ce n’était pas un comté. Le comté de Rosnay était situé en Champagne et appartenait alors à Louis duc d’Orléans, du chef de Valentine de Milan sa femme. Il était échu à celle-ci avec le reste de la succession de sa mère, Isabelle de France. C’est lors du mariage de cette dernière avec Galéas Visconti, que le roi Jean, son père, avait érigé pour elle la terre de Rosnay en comté. Mais on ne peut supposer qu’il s’agisse ici, sous le nom de « comte de Ronnay », de Louis duc d’Orléans, frère de Charles VI. Il faut plutôt admettre une erreur de la part du scribe qui a transcrit les actes du Trésor et qui a dû mettre le mot « conte » à la place de celui de curé ou de tout autre qualificatif d’un habitant de la paroisse de Rosnay que portait le texte original.

3 La terre et seigneurie de Mareuil-sur-Lay avait appartenu à Pernelle vicomtesse de Thouars et fut comprise dans le partage de sa succession. Plus tard Georges de La Trémoïlle la posséda (nous n’avons pas trouvé à partir de quelle époque exactement). Il prétendait même étendre le ressort de la justice de ce lieu sur les sujets de la seigneurie de Saint-Hilaire-le-Vouhis, qui appartenait à Jean Harpedenne, seigneur de Belleville, sous prétexte que cette dernière était tenue de Mareuil. Harpedenne reconnaissait devoir l’hommage au seigneur de Mareuil, mais niait que ses hommes fussent justiciables de celui-ci. Le litige porté aux Grands Jours de Poitou fut renvoyé devant le sénéchal de Thouars, en 1415 ; ensuite le Parlement en fut saisi. (Plaidoirie du 4 août 1418, X1a 4792, fol. 59 v°.)