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DCCCCXXIII

Rémission accordée à Jean Bastart et à Colin Chaumart pour un meurtre par eux commis dans un combat qu’ils durent soutenir contre des gens qui moissonnaient sans permission leur champ de blé dit de la Noue.

  • B AN JJ. 162, nos 185 et 186, fol. 144 et 145
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 113-117
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Bastart, povre homme, laboureur de braz du païs de Poitou, chargié de femme et d’enfens, contenant comme, huit jours avant la Magdalene derrenierement passée ou environ, de jours, un nommé Jehan Cibout, dit Petit Jehan, acompaigné de sa femme, son filz et d’une sienne fillastre, fille de sa dicte femme, se feussent transportez en un champ vulgaument appellé le champ de la Nouhe, assis au près du village de Morennes en Poitou, et au dedans des fins et mettes du fief commun de nostre amé et feal conseiller l’evesque de Luçon1 en Poitou et de nostre amé et feal [p. 114] chevalier Guillaume de Vivonne2, à cause de ses enfans, appartenant au dit exposant en partie, et là se feussent assemblez pour cueillir et amasser le blé qui estoit au dedans d’icellui champ, combien que icellui blé ne feust mie pour lors attempsé ne assaissonné pour cueillir valablement, et aussi qu’ilz ne l’avoient aucunement labouré ne fait labourer, mesmement qu’il ne leur duisoit ne appartenoit en riens. Et par leur force et puissance desordonnée, et contre le gré et voulenté dudit exposant et d’un nommé Colin Chaumart, qui aussi a droit en ycellui champ, eussent jà cueilli certaine grant partie d’icellui blé et jà desplacé d’icellui champ pluseurs gerbes, sans aucunement avoir appellé les seigneurs feodaux en quel terraige ycellui champ est assis, pour venir veoir terrager le dit blé, pour en prendre, choisir et acepter tout tel droit qu’il leur en appartenoit, que l’en soult à appeller en tel cas par la coustume du païs de Poitou où le dit champ est assiz. Et ce pendant d’aventure une nommée Catin Chaumarde, femme du dit Jehan Bastart, du costé de la quelle icellui champ de la Nouehe estoit, et est de son vray heritage, et avoit aussi mis grant peine à faire cultiver icellui champ, feust là seurvenue et eust veu iceulx malfeteurs faisans les explois dessus diz en leur dit champ et que on les despointoit de leur dit blé où il avoient moult grandement traveillié à le cultiver et labourer, comme dit est, si en fu moult dolente. Et comme courrocie, pour aucunement resister à la fole emprinse d’iceulx malfeteurs, tandans afin qu’ilz ne feussent aucunement despointez de leur dit blé, si s’en affouy moult hativement en certains champs qui sont assis [p. 115] entre Morennes et la Gouppilliere, où illec elle trouva et aprehanda les diz exposant et Colin, ausquelz elle dist ces parolles ou semblables en substance : « Vous seiez les blez pour un costé et ilz seyent les blez pour un autre costé », en leur disant oultre que Petit Jehan et sa tante avoient saié et cueilly le froment de leur champ de la Nouhe et l’en emportoient gerbe avant, autre après. Lesquelles choses ainsi à lui et au dit Colin Chaumart rapportées et racontées par la dicte femme, si fu icellui exposant et Chaumart moult doulentement courroucez dont on les despointoit ainsi de leur dicte terre et cueillette de blefz, dont ilz devoient vivre, leurs femmes et enfans, le cours de l’an, et comme très ardamment courrociez et marriz, se transporta icellui exposant et Colin et fouyrent moult hativement audit champ, où là ilz trouverent et apprehenderent les diz Jehan Cibout, sa femme, leur dit filz et fille, ou que soit la fille d’icelle femme, et trouverent en conclusion que tout le blé estoit seyé et cueilly, et l’en emportoient et desplaçoient jà d’icellui champ, sans aucunement avoir paié le terrage d’icellui blé qui se devoit paier aus diz seigneurs feodaulx, que l’en devoit avoir appellez à ceste fin, comme dit est, pour icellui choisir et accepter preablement (sic), dont iceulx malfeteurs n’avoient riens fait. Et si toust que icellui Colin fu arrivé au dit champ, il commança à parler au dit Cibout, en lui disant ces parolles ou semblables en substance : « Pour quoy estre si mauvais que tu en porte le blé de mon frere et de moy ? Tu nous a faiz moult d’autres dommaiges ailleurs ». Lors icellui Cibout lui respondi moult haultement et despiteusement qu’il en avoit emporté, encores en porteroit le demourant, et en perseverant tousjours en son mauvais et dampnable propos, se reprent encores à emporter et en faire emporter icelles gerbes, comme il avoit fait paravant. Le dit Colin veant la force que icellui Cibout et les autres dessus nommez leur avoient jà fait et s’efforçoient de plus avant le faire, si fu [p. 116] plus courrocié et plus ardamment que par avant, et est vray que en la chaleur où icellui Colin estoit leva un baton et en frappa icellui Cibout par mi les chevilles et cheut aux jambes d’icellui Colin. Et puis se releva icellui Cibout et tira un sien couteau qu’il avoit tout nu et s’en couru parmi le champ et en courant si rencontra contre le dit suppliant qui avoit aussi un baston en la main, et icellui Cibout tenoit tousjours aussi le cousteau nu en la main et s’efforça d’en frapper icellui suppliant. Et incontinant icellui suppliant, pour resister à icellui Cibout qu’il n’en villenast du dit cousteau, se print au cors du dit Cibout, la femme duquel Cybout ce veant, qui tenoit lors une faucille en sa main, vint contre le dit suppliant et lui deust crever les yeulx d’icelle faucille. Et semblablement aussi se prindrent leurs enfans au dit suppliant et le chargerent tant qu’ilz le ruerent dessoubz eux au plat de la terre pour le cuider envillenir de son corps. Lequel Colin, veant que iceulx Cibout et sa femme et leur mainie avoient jà aterré le dit suppliant, son frere, pour le cuidier envillenir de son corps, si en fu plus dolentement courrociez que par avant et de l’ardant chaleur de courroux qu’il avoit lors, secouru telement au dit suppliant qu’il se releva de dessoubz les diz Cibout, sa femme et sa mainie, et est vray que au secours que icellui Colin fist au dit suppliant, son frere, icellui Cibout cheut à terre d’un cop que icellui Colin lui bailla. Et après ce le dit suppliant se releva et puis refrappa le dit Cibout parmi les jambes au dedans du genoil et ailleurs, et atant le laisserent en paix. Et puis se releva icellui Cibout et s’en ala d’ilec en son hostel, où environ sept jours après, il ala de vie à trespassement. Pour lequel cas et aussi pour ce que icellui suppliant et Colin avoient par avant asseuré le dit Cibout en l’assise de Palluya en Poitou, s’est absenté du païs, ou quel pour doubte de rigueur de justice il n’osa oncques puis ne oseroit retourner ne converser, et par ce est en avanture d’estre du tout à tousjours mais [p. 117] desert et sa dicte femme et enfans pouvres et mandiens, se par nous ne lui est sur ce impartie nostre grace. En nous humblement suppliant que, comme icelle bapteure n’ait pas esté faicte d’aguet apensé ou cogitacion mauvaise precedent, mais par acident et chaleur à lui soubdainement avenuz, dont il a esté et encores est très dolentement courrociez et marriz, et ne cuidoit mie tant navrer icellui Ciboust, et aussi que en touz autres cas il a esté et encores est homme de bonne vie, renommée et honneste convercacion, sans oncques mais avoir esté attains, reprins ne convaincu d’aucun autre villain blasme ou reprouche, nous lui vueillons icelle nostre grace impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, inclinans à sa supplicacion et en l’onneur et reverance de la sainte sepmaine où nous sommes, à icellui suppliant oudit cas avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au bailli de Tourraine et des ressors et Exempcions d’Anjou, du Maine et de Poitou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, le xiiie jour d’avril l’an de grace mil cccc. et sept avant Pasques, et de nostre regne le xxviiie.

Es requestes par vous tenues du commandement du roy, èsqueles l’arcevesque de Sens, les evesques de Noyon3, de Limoges4, de Saint Flour5 et de Gap6 et autres estoient. Charron. — Trousseau.

Semblable pour Colin Chaumart et pareillement signée.


1 L’évêque de Luçon était alors Germain Paillart. Originaire d’Auxerre et appartenant à une famille de magistrats, il avait été d’abord conseiller au Parlement, comme son oncle Philippe de Moulins, évêque de Noyon. Il fut appelé au siège épiscopal de Luçon peu de temps après la mort d’Étienne Loypeau, vers l’an 1405, assista au concile de Pise en 1409, et mourut à Paris, le 6 octobre 1418. Il y fut enterré dans le chœur de l’église des Célestins, où l’on a retrouvé son tombeau et son épitaphe. (Gallia christiana, t. II, col. 1409 ; l’abbé Aillery, Pouillé de l’évêché de Luçon, 1860, in-4°, p. XVII) Une copie du testament de Germain Paillart, daté du 4 octobre 1418, copie exécutée au xviiie siècle d’après un registre du Parlement aujourd’hui en déficit, se trouve à la Bibliothèque nationale. (Coll. Moreau, vol. 1162, fol. 352 v°.) Une reproduction gravée de sa tombe, telle qu’elle était aux Célestins, à droite du grand lutrin, tombe plate en cuivre avec l’effigie du défunt, debout sur un piédestal, revêtu de ses habits pontificaux, crossé et mitré, les mains jointes sur la poitrine et la tête posée sur un coussin, est insérée, ainsi que l’épitaphe, dans l’Épitaphier du vieux Paris, publ. par E. Raunié, pour la ville de Paris, gr. in-4°, t. II, 1893, p. 325. Pendant l’épiscopat de G. Paillart, les curés du diocèse de Luçon se pourvurent au Parlement contre les exigences de l’évêque de Poitiers qui prétendait leur faire payer un droit. (Arrêt interlocutoire du 19 mai 1408, X1a 55, fol. 73.) Ils soutinrent aussi contre le chapitre de l’église cathédrale de Poitiers un procès dans lequel on peut signaler deux arrêts importants, le premier du 30 janvier 1412 n.s., le second du 17 mai 1415. (X1a 59, fol. 199, et X1a 60, fol. 367.)

2 Guillaume de Vivonne, seigneur de la Tour-Chabot, troisième fils de Renaud de Vivonne, sire de Thors, et de Catherine d’Ancenis. Il a été question de ce personnage dans notre volume précédent, p. 263, 264.

3 Jean de Montaigu, archevêque de Sens, et Philippe de Moulins, évêque de Noyon. (Cf. ci-dessus, p. 31 et 107.)

4 Hugues de Magnac fut évêque de Limoges de 1404 au 3 novembre 1412.

5 L’évêque de Saint-Flour était alors Géraud du Puy (de 1405 à 1414 environ).

6 Jean de Sains, évêque de Gap de 1405 à 1409.