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DCCCCXIX

Rémission octroyée à Guillaume Engrain, de Vitré, paroisse de Saint-Sauvant, qui ayant pris fait et cause pour Pierre Mainart, prévôt de Lusignan pour le duc de Berry, injurié et menacé par [p. 101] les frères Gilles et André Morigeon, avait frappé mortellement ce dernier.

  • B AN JJ. 161, n° 256, fol. 169 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 100-104
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Guillaume Engrain, demourant au villaige de Vitré en la parroisse de Saint Seovain en la chastellenie de Lesignen en Poitou, comme, le tiers jour du mois de fevrier derrenierement passé, le dit Guillaume Engrain feust alez en la ville du dit lieu de Lesignen et y eust trouvé un appellé Pierre Maignart1, prevost d’icellui lieu pour nostre très chier et très amé oncle le duc de Berry, auquel prevost, pour ce qu’il estoit voisin du dit Guillaume et demourant ou dit village, ycellui Guillaume pria qu’ilz s’en alassent ensemble, et environ solail couchant ilz vindrent en la basse ville du dit lieu de Lesignen, en l’ostel de Guillemin Penon, hostallier, ouquel estoient leurs chevaulx, [lesquelz] pristrent et monterent dessus pour eulx en aler en leurs hostelz ou dit villaige, et avec eulx un appellé Jehan Ducoudray, mestoier du dit Guillaume Engrain, auquel mestoier ycellui Guillaume bailla unes besaces appellées doubler, ou quel doubler avoit trois aulnes de toile de lin, et eulx montez à cheval et alez un pou au dehors de la dicte basse ville, le dit mestoier demanda au dit Guillaume, son maistre, se il avoit son dit doubler, et il lui respondi que oncques puis ne l’avoit veu qu’il le lui avoit baillié. Et se advisa ycellui mestoier et dist qu’il l’avoit laissié sur la fenestre du dit hostallier. Et lors le dit Guillaume requist au dit prevost qu’il l’alast querir, et lequel prevost à sa requeste y ala ; et quant il fu à l’ostel du dit [p. 102] hostellier, il demanda à l’ostesse se elle avoit veu le dit doubler, et elle lui dist que Martin Vaillant, sergent de nostre dit oncle, et les mestoiers de la Ratonnere le emporterent et qu’ilz n’estoient encores gueres eslongnez de la ville. Et pour ce le dit prevost ala après eulx ; les aconsuit et leur demanda se ilz avoient prins le dit doubler sur la dicte fenestre. Au quel prevost un appellé Jehan Favereau qui là estoit respondi qu’il en avoit un, et ycellui prevost lui demanda pourquoy il l’avoit prins, et qu’il savoit bien qu’il n’estoit pas sien ; et icellui Favereau lui dist qu’il ne l’avoit pas prins, mais le luy avoit baillié un appellé Andrieu Morigeon2, qui là estoit. Lequel prevost dist à icellui Andrieu que s’estoit mal fait d’avoir prins le dit doubler qui n’estoit pas sien, et icellui Andrieu lui respondi que le sergent dessus dit lui avoit commandé qu’il baillast au dit Favereau certaines choses qui estoient sur la dicte fenestre, entre lesquelles estoit le dit doubler, et que par icellui commandement il avoit baillié les dictes choses au dit Favereau. Et lors le dit prevost lui dist que c’estoit mal fait et n’estoit pas loyauté de prendre l’autruy et commanda au dit sergent qu’il adjournast le dit Andrieu Morigeon à la court de la prevosté du dit lieu de Lesignen, à certain jour ensivant. Et icellui adjournement fait, Gilet Morigeon, frere du dit Andrieu Morrigeon, dist au dit prevost que c’estoit mal fait de faire adjourner icellui Andrieu, et icellui prevost lui demanda pourquoy il s’en mesloit, et qu’il ne lui demandoit riens. Et icellui Gilet lui dist qu’il s’en mesloit et que le fait de son frere estoit le sien. Et après pluseurs parolles eues sur ce, le dit prevost et les diz Andrieu et Gilet Morrigeon, en eulx en retournant ensemble pour venir parler par devant le cappitaine du dit [p. 103] lieu de Lesignen, ycellui Gilet dist au dit prevost qu’il le batroit et mist la main sur sa dague qu’il avoit à sa sainture ; lequel prevost respondi qu’il ne pourroit ne n’oseroit, et l’en garderoit bien ; et le dit Gilet dist à icellui prevost que, se il ne feust prevost, il le batist très bien. Et en disant ces parolles, le dit Guillaume Engrain, qui poursuivoit son dit doubler, survint et oy comment le dit Gilet menassoit à battre le dit prevost et dist à icellui Gillet telles parolles ou semblables en substance : « Est il à vous, ribaud, de menassier à batre le prevost de monseigneur ? » Lequel Gilles lui respondi que ouyl et lui avec. Et lors le dit Guillaume Engrain, qui estoit à cheval, se tray près d’icellui Gilet et lui osta son chapperon de dessus sa teste et le gecta à terre, en lui disant : « Tournez vous en, ribaut ». Lequel Gilet et Andrieu Morigeon freres se prindrent à ycellui Guillaume Engrain et lui osterent sa dague qu’il avoit à sa sainture, et pour ce icellui Guillaume descendi de dessus son cheval, et le dit prevost qui estoit à cheval se mist entre lui et les diz Gilet et Andrieu Morigeon ; lequel Gilet se prinst au dit prevost et lui osta sa dague et s’efforça d’en frapper le dit Guillaume Engrain, mais le dit prevost qui estoit à cheval se mist entre deulx et l’en destourna. Et lors icellui Guillaume Engrain, voiant que les diz Gilet et Andrieu Morigeon avoient les dagues de lui et du dit prevost, et qu’ilz s’efforçoient ou vouloient efforcier de le batre ou villenner, et pour resister à leurs mauvaises voulentez, meuz de chaleur, prist l’espée que le dit prevost avoit sainte et d’icelle espée frappa un seul coup sur la teste du dit Andrieu Morigeon ; lequel Andrieu par sa simplece, le jour ensuiant, ala au labour aux champs et arer la terre, sa teste nue, sans avoir fait faire ne mettre aucun emplastre sur la plaie que le dit Guillaume lui avoit faite, et tant par ce que par son mauvais gouvernement, au bout de dix jours après ou environ, il ala de vie à trespassement. Pour cause et occasion duquel [p. 104] fait et cas dessus dit, le dit Guillaume Engrain, qui est ancien homme, seroit en voie d’estre durement traictiez, se nostre grace et misericorde ne lui…3.


1 Nous avons donné une notice, dans notre volume précédent, sur un Pierre Maynart, sergent du roi, chargé de diverses missions en Poitou, durant l’année 1392 ; mais on ne saurait dire s’il y a quelque chose de commun entre ce personnage et le prévôt de Lusignan. (Tome VI, p. 85.)

2 Dans l’Inventaire des archives du château de la Barre, publ. par M.A. Richard, ce nom de Morigeon ou Morrigeon revient fréquemment, dès le xive siècle, mais on n’y trouve rien sur André et Gilles.

3 La fin de cet acte est resté en blanc, de sorte que l’on ne peut déterminer exactement sa place. Le registre JJ. 161 sur lequel ce fragment est transcrit ne contenant que des lettres des années 1406 et 1407, on ne peut que classer cette rémission entre les actes de 1406 et ceux de 1407.