[p. 66]

DCCCCVI

Rémission accordée à Lucas Coillé, de Longeville près Saint-Hilaire de Talmont, prisonnier à cause du meurtre de Jean Piron, meunier des religieux de Talmont, qui avait voulu l’arrêter, parce [p. 67] qu’il avait traversé avec sa charrette une pièce de blé appartenant auxdits religieux.

  • B AN JJ. 159, n° 123, fol. 70
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 66-69
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Lucas Coillé, povres homs, laboureur, demourant en la parroisse de Longueville prez de Saint Hilaire de Talemont en Poitou1, contenant que comme, ou temps de karesme l’an mil cccc. et un ou environ, icellui suppliant se feust à certain jour parti de l’ostel et hebergement de la Touche, appartenant à un appellé Pierre Grignon2, pour conduire et mener en sa charrette une pipe de vin jusques au vilage de la Saunerie, estant en la parroisse du dit lieu de Saint Hilaire, et en icelle [p. 68] charrette et vin menant et conduisant, feust icellui suppliant arrivé en certain lieu appellé le bourg Saint Hilaire de la Forest, qui est entre le dit lieu de la Tousche et le lieu de la Saunerie, où le dit suppliant aloit, et en icellui bourg ou lieu eust icellui suppliant trouvé trez mauvaiz chemin, pour lequel eviter et eschever, eust icellui suppliant fait passer la dicte charrette par une piece de terre où il avoit blé et herbe appartenant aux religieux de Talemont3, et lui estant passé hors d’icelle terre, feust venu à lui un appellé Jehan Piron, soy disant mosnier de certain moslin assiz près d’illec, appartenant aus diz religieux de Talemont, lequel lui eust dit moult rigoreusement pourquoy il estoit passé par la dicte piece de terre, et qu’il y avoit fait très grant dommaige, lequel suppliant lui eust respondu qu’il ne povoit bonnement passer par le chemin publique pour le mauvaiz chemin qui y estoit, et qu’il n’estoit point passé par la dicte terre pour y faire aucun dommaige. Aprez lesquelles parolles et autres dictes d’une part et d’autre, ycellui Piron bien eschauffé feust venu corre sus et voulu arrester les buefz du dit suppliant qui menoient la dicte charrette, lesquelx buefz de [ce] espoventez s’esbruierent et fuirent, et lors que le dit l’iron vit qu’il ne pourroit arrester les diz buefz, s’efforça de vouloir prendre au corps le dit suppliant, lequel se rescouy et poursuy tousjours les diz buefz, et en soy rescouant poussa le dit Piron, duquel poussement ou autrement, en voulant arrester les diz buefz, feust icellui Piron cheu à terre et [p. 69] feust la roe d’icelle charrette par l’effroy des diz buefz qui tousjours aloient avant, ou autrement par cas d’aventure, passée par dessus la jambe du dit Piron, telement que il eut la dicte jambe rompue et cassée, de laquelle rompeure et casseure le dit Piron, par deffault de bon gouvernement ou autrement, ala, viii. jours après ou environ, de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, le dit suppliant ait esté pris et detenu prisonnier ès prisons du dit lieu, et depuis ait fait satisfacion aux parens et amis du dit deffunct et ait esté receu à sa caution juratoire ; nonobstant quelxconques choses, il doubte que nostre procureur ou autres ne lui voulsissent ou temps avenir, pour occasion de ce que dit est, faire ou donner aucun empeschement, dont lui et sa femme pourroient encourir grant dommaige et peril. Et pour ce, nous a humblement supplié et requis que, attendu que le dit suppliant n’a en ce riens fait de propos ne d’agait appensé, mais est advenus le dit fait, ainsi que dit est, par cas de meschief et d’aventure, nous sur ce lui vueillons impartir nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, qui voulons misericorde estre preferée à rigueur de justice, et aussi que le dit suppliant a esté tout son temps homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans ce qu’il feust oncques mais reprins, attains ou convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, le fait et cas dessus dit, etc., avons au dit suppliant quictié, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement en commettant, se mestier est, par ces presentes, au bailli de Touraine et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys d’octobre l’an de grace mil cccc. et quatre, et de nostre regne le xxve.

Par le roy, à la relacion du conseil. Charron.


1 Il est intéressant de noter que, à cette époque précisément, les habitants de la paroisse de Saint-Hilaire de Talmont étaient en procès au Parlement contre leur curé, Guillaume Baudouin, et Philippe Ménager, chapelain de ladite église. Le procureur du duc de Berry en Poitou s’était joint aux demandeurs, qui accusaient les deux prêtres d’attenter à leurs droits d’hommes libres et de les traiter comme s’ils étaient soumis à leur dépendance par un lien de servitude. Ils jouissaient, disaient-ils, de la faculté de droit commun de disposer de leurs biens, suivant la coutume, et de tester sans que leur curé pût les en empêcher ou réclamer quoi que ce fût de leurs héritages, sauf pour les cas de legs en sa faveur ou au profit de son chapelain. Il leur était loisible de contracter mariage dans la paroisse ou dehors, où bon leur semblait, sans le congé du curé. En qualité de sujets fidèles et obéissants du comte de Poitou, ils devaient être protégés contre toutes vexations et exactions, qu’elles vinssent d’ecclésiastiques ou de séculiers. Or Guillaume Baudouin avait poursuivi ses paroissiens, à maintes reprises, devant l’officialité de Luçon, à Avignon, à Angers et ailleurs, leur réclamant toute sorte de droits contraires à leurs libertés et imposant pour les sacrements des taxes qu’il les contraignait à payer, en usant de violence. Il les avait réduits à l’alternative, ou de se résoudre à la ruine ou d’abandonner le pays. Le curé démontra qu’il n’avait agi que conformément à son droit et que les taxes en question étaient absolument légitimes. Ses explications, reproduites dans l’arrêt, sont très curieuses, mais beaucoup trop développées pour trouver place ici. La cour lui donna gain de cause, en le renvoyant absous des fins de la plainte et en condamnant ses paroissiens aux dépens du procès. (Arrêt du 26 mars 1404 n.s., X1a 51, fol. 310.)

2 Dans le précédent volume, il a été produit quelques renseignements sur cette famille, à l’occasion d’un autre Pierre Grignon, marié à Jeanne Charruau, veuve d’Alaudon Vigier, et demeurant en la châtellenie de Mareuil-sur-Lay (p. 98, note).

3 Il a été question précédemment (vol. VI, p. 159-162) de l’assassinat par deux de ses religieux d’un abbé de Sainte-Croix de Talmont, dont le nom est resté inconnu. Nous avons constaté en cet endroit que la liste des abbés publiée par l’abbé Aillery (Pouillé de l’évêché de Luçon, in-4°, 1860, p. XXVIII), un peu moins incomplète que celle de la Gallia christiana (t. II, col. 1424), présente une lacune certaine entre Pierre II, cité en 1366, et Bernard, vivant en 1409. Ce dernier est connu seulement par un aveu rendu à Renaud de Vivonne, sire de Thors, Poiroux, Aizenay, etc., le 6 novembre 1409. (Coll. dom Fonteneau, t. XXVI, p. 49.)