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DCCCCVII

Rémission accordée à Guillaume Viau qui, ayant surpris sa femme en flagrant délit d’adultère avec frère Vincent Piniot, religieux de Talmont, avait tué celui-ci à coups de bâton.

  • B AN JJ. 159, n° 315, fol. 187
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 70-73
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir esté humblement exposé de la partie des amis charnelz de Guillaume Viau, du païz de Poitou, povre homme laboureur, chargié de femme et de petiz enfans, aagié de cinquante ans ou environ, que comme le dit Veau soit marié avec une femme appellée Ragond la Nerronne, et ou temps passé ait esté homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, et très bonne souffisance de biens, et pour ce que depuiz pou de temps ses biens estoient moult diminuez et diminuoyent de jour en jour, tant pour ce que sa dicte femme adulteroit communement avec frere Vincent Piniot, religieux de l’abbaye de Talemont, auquel elle bailloit les biens d’icellui, comme par la malvaise administracion dont la dicte femme estoit, de quoy le dit Veau ne savoit riens, ycellui Viau, ce considerant et l’aage dont il estoit, et doubtant mendier en sa viellece, un peu avant la feste saint Andrieu l’an mil cccc. et deux, se dolu et complaingny de ce à un sien frere et autres ses parens et amis, en leur disant qu’il se estoit moult esmerveillé de la grant diminucion de ses diz biens, veu que contre lui n’avoit eu aucune fortune male ou temps passé ne perte de biens, et que tousjours il avoit assez pourfité et faisoit de jour en jour ; lesquelx lui distrent et revelerent que sa dicte femme estoit malvaise femme et qu’elle perdoit les biens d’icellui, et qu’il s’en donnast garde et il l’apperceveroit bien, et qu’elle estoit putain et qu’ilz creoient que ce feust la cause pourquoy [p. 71] ses biens estoient ainsi admendriz. Lequel Viau fu de ce moult couroucié et pensa comment il pourroit estre acertené du dit fait et tant que, la veuille de la dicte feste saint Andrieu ledit an, ycellui Viau monta sur sa jument en la presence de sa dicte femme, faignant qu’il vouloit aler en Rié, pour estre à la foire qui chascun an estoit au dit lieu, le jour d’icelle feste de saint Andrieu, et au departir dist à sa dicte femme qu’elle ne feist plus si mal comme elle avoit acoustumé. Laquelle lui respondi qu’elle n’avoit oncques mal fait ne pensoit à faire. Et lors le dit Viau se departi de son dit hostel et se demoura assez prez d’icellui jusques à la nuyt, et environ x. heurez de nuyt, il qui tousjours avoit le remors au cuer de ce qui lui avoit esté dit de sa dicte femme, s’en retourna à son hostel et trouva que l’uys d’icellui hostel n’estoit que ferré et n’estoit point clox par dedans, et lors il y entra et trouva sa dicte femme qui estoit couchée nue en son lit et dormoit, et lez elle estoit couchié tout vestu sur le dit lit le dit religieux qui pareillement dormoit. Et lors le dit Viau se tray vers la cheminée de son dit hostel, où il prist un gros baston, et lors il pensa que sa dicte femme estoit grosse d’enfant, preste d’enfanter, et qu’il feroit trop mal de la murtrir et occir, pour cause du fruit qu’elle avoit ou ventre, qui pour ce mourroit sans batasme. Et pour ce eschever et qu’il peust mieulx adviser en quel lieu il frapperoit le dit religieux, il aluma une chandelle et la mist en un des angles du dit hostel, en telle maniere qu’elle donnoit pou de clarté. Et ce fait, vint le dit baston en sa main audit lit, et vit que sa dicte femme et le dit religieux estoient bras à bras, dormoient la dicte femme descouverte et leurs cuissez nuez les unes entre les autres, dont il fu moult esmeu et couroucié, et advisa et pensa qu’il attendroit encores à les esveiller, pour veoir et estre plus acertené du fait duquel il se doubtoit, et que aussi en verité il se doubtoit que, se il failloit à bien ferir, que le dit religieux qui estoit fort et [p. 72] jeune, le mettroit à mort. Et ainsi que le dit Viau estoit en ceste pensée, ycellui religieux se reveilla et baisa sa dicte femme et se mist dessus elle pour la congnoistre charnelment, le dit Viau estant mucié au bout du dit lit. Lequel Viau, voyant le dit fait, fu moult dolent et couroucié, et ne se pot refrener, mais il haussa le dit baston qu’il avoit en sa main et en frappa par la teste le dit religieux qui encores estoit sur la dicte femme. Et si tost que le dit religieux se senti frappé ainsi, il se leva et recouvra un baston qu’il avoit apporté avecques lui et sailli en la place pour vouloir ferir le dit Viau. Et lors ycellui Viau fery de rechief le dit religieux parmi la teste si durement que ycellui religieux chut mort en la place. Et quant le dit Viau le vit ainsi mort, sans plus attendre, il se tray par devers Aymery Sauvereau, son gendre, qui estoit couchié en une autre chambre du dit hostel et le fist lever, et le mena au lieu où estoit le dit religieux, et fist tant ycellui Viau que son dit gendre lui ayda à le mettre sur sa jument. Et tantost que le dit religieux fu ainsi chargié, le dit Viau tout seul le mena jusques à la rive de la mer, à la couste de Brandoys, à l’endroit d’un lieu appellé la Sauseye, et yllecques le geta en la mer, et croit qu’elle l’ait enmené. Pour occasion du quel fait, le dit Viau a esté pris et mis ès prisons de nostre très chiere et amée cousine, Marguerite de Thouars, dame de Talemont1, où il est encores detenu [p. 73] prisonnier pour le dit cas, et doubte icellui Viau que rigueur de justice ne lui soit faicte en ceste partie, se sur ce ne lui estoit pourveu de nostre grace, en pour ce nous suppliant que, consideré ce que dit est et que le dit Viau a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, si comme ilz dient, nous lui veuillons estre sur ce piteable et misericors. Nous inclinans à leur supplication, etc., au dit Guillaume Viau le fait dessus dit, etc., avons remis, quictié et pardonné, etc. Et mandons par ces presentes au gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de may l’an de grace mil iiiie et cinq, et de nostre regne le xxve.

Par le roy, à la relacion du conseil. Floury.


1 Marguerite de Thouars, la troisième fille de Louis, vicomte de Thouars, et de Jeanne de Dreux, et la plus jeune sœur de la vicomtesse Pernelle, était dame de la Chaise-le-Vicomte, de Talmont, de Curzon, etc. Ces terres formaient la part qui lui était échue de la succession de son père, par suite d’une transaction conclue, le 7 juillet 1371, entre elle et son premier mari Thomas, seigneur de Chemillé et de Mortagne, d’une part, et Amaury IV de Craon, au nom et à cause de sa femme Pernelle, vicomtesse de Thouars, d’autre part. Marguerite avait épousé en secondes noces, vers 1375, Guy V Turpin, seigneur de Crissé et de Vihiers. (Voy. notre tome V, p. 104 note.) Elle était en procès, ainsi que son second mari, contre Perceval de Cologne, le 4 juillet 1388 (X1a 1474, fol. 194 v°), et, après la mort du sr de Crissé, contre Lancelot Turpin, fils de celui-ci et de sa première femme, Marie de Rochefort, qui lui réclamait le château de la Chaise-le-Vicomte et 300 livres de rente à asseoir au plus près dudit lieu. (Ajournement du 11 août 1401, X1a 48, fol. 103.) Marguerite de Thouars fit, le 6 février 1404 n.s., une fondation de messe dans l’église et le monastère de Saint-Michel-en-l’Herm ; elle vivait encore le 23 octobre de la même année.