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DCCCCLXXVI

Rémission accordée à Pierre Giboin, clerc, de Coutigny, paroisse de Sérigné en Poitou, poursuivi pour avoir frappé à mort son cousin Jean Giboin, qui l’avait volé et injurié, à condition qu’il ira en pèlerinage au Puy et à Notre-Dame-de-Liesse.

  • B AN JJ. 168, n° 349, fol. 233 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 283-286
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Pierre Giboyn, clerc, jeune homme aagé de trente ans ou environ, demourant ou vilaige de Cotigné ou païs de Poictou, contenant que, le jour de la feste de Toussains l’an mil cccc. et huit, durant ce qu’il estoit à l’eglise pour oïr la messe en l’eglise parrochial de Serigné, l’uys de sa chambre et son coffre ouquel avoit pluseurs lettres furent rompuz et brisiez à force, et furent prinses les dictes lettres avecques pluseurs autres biens, comme draps de liz, blez, paesles et pluseurs autres biens à lui appartenans, et, lui retourné de la dicte eglise, il trouva la dicte [p. 284] chambre et le dit coffre ainsi rompuz et brisiez, dont il fut moult courrouciez et grandement meu de chaleur, et lui ainsi esmeu pour la dicte roberie, pour ce que Jehan Gibouyn1, son cousin, l’avoit pluseurs foiz menacié de lui faire et porter dommaige, il se transporta en l’ostel de Simon Gybouin, ouquel estoient et furent trouvez les diz biens, ouquel il trouva aussi le dit Jehan Gibouyn, et tantost ainsi eschauffé lui dist que il l’avoit robé et osté le sien. Auquel icelui Jehan Gibouyn respondi pluseurs grosses et outrageuses paroles ; pour les quelles icelui Pierre Gibouyn, tempté de l’ennemi et meu de chaleur, comme dit est, frappa d’une espée qu’il avoit le dit Jehan Gibouyn un cop ou ventre, pour lequel il demeura malade au lit six ou sept jours ou environ, et après ala de vie à trespassement. Pour lequel fait, le dit Pierre Gibouyn s’est absenté du pays, et ont esté ses biens prins et mis en la main du seigneur du dit lieu de Cotigné, et seroit exillé du dit païs et en aventure de perdre ses diz biens, en très grant vitupere et deshonneur de luy et de ses amis, et en son très grant prejudice et dommaige, se par nous ne lui estoit sur ce impartie nostre grace et misericorde, si comme ilz dient, en nous humblement suppliant, comme en tous ses autres faiz le dit Pierre Gibouyn ait tousjours esté homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sanz avoir esté reprins, actaint ne convaincu d’aucun autre vilain cas, crisme ou blasme, et soit le dit fait et cas advenu par chaleur pour cause du dit bris des diz coffre et chambre, et du dit ravissement de ses dictes lettres et biens, pour lequel fait, il estoit moult troublé et non sanz cause, [p. 285] et pour contemplacion de ce que depuis icelui Pierre Gibouyn s’est employé continuelment en nostre service ou fait de noz guerres, tant en la compaignie de nostre amé et feal cousin le conte d’Armignac2, que de nostre amé et feal conseiller et chambellan le sire de Gaucourt3, et de nostre amé et feal cousin le conte de Richemont4, de qui [p. 286] il est serviteur de present, où il a employé son corps et sa chevance, et qu’il n’a aucun qui contre luy se face partie pour occasion du dit cas, et est partie contente, et attendu la jeune aage dont estoit pour lors le dit Pierre Gibouyn qui n’avoit pas vint et trois ans acompliz ou environ, que sur ce lui vueillions impartir nostre dicte grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, etc., audit Pierre Giboyn, ou cas dessus dit avons remis, quicté et pardonné, etc., pourveu que le dit Pierre Giboyn sera tenu de faire deux voyages, c’est assavoir l’un au Puy en Auvergne et l’autre à Nostre Dame de Lience. Si donnons en mandement au bailli des ressors et Exempcions d’Anjou, de Touraine, du Mayne et de Poictou, et à tous noz autres juges et justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet l’an de grace mil cccc. et quinze, et de nostre regne le xxxve.

Par le roy, à la relacion du conseil. Thoroude.


1 On a vu précédemment qu’un Jean Giboin fut assigné au Parlement de Poitiers, en 1419, avec Jean Bréchou, lieutenant du capitaine de Fontenay-le-Comte, Guillaume Vasselot et autres, que la prieure de Vix accusait d’avoir enfreint la sauvegarde et les privilèges de son prieuré et de ses sujets (ci-dessus, p. 157, note). Nous ignorons quel lien de parenté existait entre ces deux hommes portant le même nom et le même prénom.

2 Bernard VII, fils puîné de Jean II et de Jeanne de Périgord, fut comte d’Armagnac et de Fézensac après le décès de Jean III, son frère aîné (1391) ; il avait épousé, en 1393, Bonne de Berry, veuve d’Amé VII comte de Savoie, fille de Jean de France, duc de Berry, et de Jeanne d’Armagnac, sa première femme. Le célèbre chef du parti armagnac, « aussi cruel homme que fut oncques Neron », suivant l’expression du Bourgeois de Paris, fut créé connétable de France par lettres du 30 décembre 1415, et, le 12 février suivant, gouverneur général des finances et capitaine de toutes les places fortes du royaume, avec un pouvoir absolu. Lors de l’entrée des Bourguignons à Paris (29 mai 1418), Bernard d’Armagnac réussit d’abord à se cacher dans la maison d’un maçon voisine de son hôtel ; mais sa retraite ayant été découverte, il fut emmené prisonnier, le 31 mai, au Petit-Châtelet et transféré, le 6 juin, dans la grosse tour du Palais. C’est là, ou plutôt dans la tour du Palais, qu’il subit le 12 juin une mort ignominieuse ; son corps, exposé aux outrages de la populace pendant trois jours et traîné dans les rues, reçut un semblant de sépulture dans la cour du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, au milieu d’un fumier. (A. Tuetey, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 92, note.)

3 Raoul VI de Gaucourt, l’un des hommes les plus remarquables de ce temps, était fils de Raoul V et de Marguerite de Beaumont. Attaché d’abord aux ducs d’Orléans et de Berry, il servit ensuite fidèlement Charles VII, dès l’époque où il n’était encore que dauphin. Premier chambellan du roi, Gaucourt se trouva à la défaite des Anglais devant Montargis, en 1427, et contribua à la reprise de Chartres, en 1429. L’année précédente, grâce à la faveur de Georges de La Trémoïlle, il avait été institué sénéchal de Poitou, en remplacement de Jean de Comborn, sr de Trignac, partisan du connétable de Richemont, tombé en disgrâce. Créé ensuite gouverneur du Dauphiné, il défit au combat d’Anthon (1430) le prince d’Orange, qui tenait le parti du duc de Bourgogne. L’an 1437, il se signala au siège de Montereau et s’employa plus tard avec succès à la conquête de la Normandie. Raoul de Gaucourt avait épousé Jeanne, l’une des cinq filles de Gilles de Preuilly, seigneur de la Roche-Pozay (voy. ci-dessus, p. 239, note) et fut mêlé assez activement aux événements de l’histoire du Poitou, particulièrement à l’époque où La Trémoïlle exerça le pouvoir. Il vécut jusqu’à la fin de 1461 ou au commencement de 1462.

4 Second fils de Jean IV le Conquérant, duc de Bretagne, et de sa troisième femme, Jeanne de Navarre, Artur comte de Richemont (né au château de Succinio près de Vannes, le 24 août 1393, mort au château de Nantes, le 26 décembre 1458) prit une part considérable au gouvernement de Charles VII. Seigneur de Parthenay, son rôle politique s’exerça pendant plusieurs années au cœur même du Poitou, puis, lorsque la cour reprit le chemin de Paris, dont plus que personne il avait contribué à rouvrir les portes au roi, il demeura attaché à notre province par ses intérêts privés. A la date de ces lettres de rémission octroyées à son serviteur, Richemont était précisément occupé à conquérir les domaines poitevins confisqués sur Jean Larchevêque, dont le dauphin Louis, duc de Guyenne, l’avait gratifié deux mois auparavant (23 mai 1415), car Larchevêque ne voulait pas se laisser dépouiller sans résistance. Les troupes envoyées contre lui se trouvèrent réunies vers la fin de juin et le comte de Richemont en eut le commandement avec le titre de capitaine général. Il s’empara promptement des places secondaires du sire de Parthenay. Vouvant, entre autres, lui fut livrée par la femme même de ce seigneur. Parthenay, qui était une des plus fortes villes du Poitou, avait été mise en état de défense et pouvait résister longtemps. Richemont en faisait le siège, quand il fut rappelé par des lettres pressantes du roi et du dauphin, qui l’invitaient à rejoindre en Picardie l’armée que l’on concentrait contre les forces du roi d’Angleterre. Il leva aussitôt le siège et n’eut que le temps d’arriver pour la malheureuse bataille d’Azincourt (25 octobre), où il fut fait prisonnier. (E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 39-41 ; voy. aussi G. Gruel, Histoire d’Artur III comte de Richemont, édit. Levavasseur, pour la Société de l’hist. de France, et B. Ledain, Hist. de Parthenay et la Gâtine historique.)