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DCCCCLXVI

Lettres de rémission accordées à Guillaume Oisy et à Guillaume Grenon, de la Grenonnière, paroisse de Challans, poursuivis pour le meurtre de Jean Durand, de Machecoul. Celui-ci les ayant rencontrés, alors que leurs chiens poursuivaient un cerf dans la forêt de la Garnache, avait menacé de les dénoncer aux officiers du vicomte de Rohan.

  • B AN JJ. 167, n° 319, p. 460
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 251-256
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume Oysy, povre homme, laboureur de braz, chergié de femme et de [p. 252] petiz enfans, contenant que, le jour de Penthecouste derrenierement passée ot un an, Guillaume Grenon, demorant à la Grenonniere en la parroisse Nostre Dame de Chaalons ou pays de Poictou, passa par le villaige de Champbort qui est assez près du dit lieu de la Grenonniere, et menoit avec lui six ou sept chiens mestiz ou mastins, et illec trouva le dit suppliant qui y demouroit, auquel il demanda s’il vouloit aler avecques lui vers les vignes de la Cailletere, pour savoir s’ilz pourroient prendre un lievre, et que d’ilec ilz se rendroient au service à l’eglise du dit lieu de Chaalons ; lequel suppliant le lui accorda parmi ce que le dit Grenon lui promist que, s’ilz prenoient aucune chose, il en auroit la moitié. Et ce fait, se partirent et s’en alerent envers un villaige appellé la Petite Couldroye estant près des dictes vignes, ouquel lieu les diz chiens chacerent très fort et abayerent vers la forest de la Ganasche appartenant au viconte de Rohan1 ; mais les diz suppliant et Grenon ne savoient à quelz bestes c’estoit, pour ce qu’il y avoit très grans et fors buissons, comme ajaons, brandes et autres boys. Et lors les diz suppliant et Grenon, veans que les diz chiens aloient vers la dicte forest, ilz les poursuirent le plus hastivement qu’ilz peurent, à ce qu’ilz ne feussent oyz, et [p. 253] apperceurent qu’ilz estoient après un grant cerf, une bische et un petit bichat, qui estoient assez près d’iceulz chiens, et furent d’accord de les poursuir, disans que s’ilz povoient prendre le dit bichat, ilz en donroient à leurs amis et qu’ilz estoient bien asseurez des forestiers de la Ganasche pour la solemnité de la feste, et que aussi droit s’en yroient eulx à l’eglise par le chemin du dit lieu de la Ganasche, comme par ailleurs. Et de fait poursuyrent telement les diz chiens qui poursuyvoient les dictes bestes sur l’elle de la dicte forest, qu’ilz leur firent traverser le dit chemin de la Ganasche qui va au dit lieu de Chaaslons. Et ainsi que le dit suppliant et Grenon traversoient le dit chemin, ilz encontrerent d’aventure un nommé Jehan Durant, demorant à Machecoul, qui estoit sur une grant jumant et deux grans panniers où l’en porte pain, et venoit d’environ le dit lieu de Chaalons et aloit vers le dit lieu de Machecoul ; lequel Durant qui en son vivant estoit un grant rapporteur de paroles, leur dist ces paroles ou autres semblables en effect et substance : « Larrons, je vous feray pendre parmi le colz aux officiers de la Ganasche », en disant qu’il iroit dire à iceulz officiers qu’ilz chaçoient en la dicte forest. Lesquelz lui respondirent que non faisoient, et peut estre que pour doubte de son rapport ilz distrent que les diz chiens n’estoient pasleurs. Mais le dit Durant leur respondi qu’ilz mentoient mauvaisement et que le dit Grenon estoit un mauvais grant chasseur. Et en soy en alant tout bellement, disoit tousjours qu’il le diroit aus diz officiers. Lesquelz suppliant et Grenon, doubtans moult les dictes accusacions, pour doubte d’estre desers, le suyrent et laisserent leurs diz chiens, disans l’un à l’autre qu’ilz feroient semblant de le batre, affin qu’il leur promist par son serement qu’il ne les accuseroit aucunement. Et quant ilz l’orent actaint assez loing, ilz cuiderent aler au devant de lui, mais quant il les apperçut, il commença à s’enfouir en les appellans larrons. Et tantost après ce, eulx deulx tenans [p. 254] chascun un baston en sa main, gecterent iceulz bastons contre la teste de la dicte jument, à ce qu’elle se retournast, et peut estre que l’un d’iceulz bastons fery le dit Durant par les braz. Et quant la dicte jument fu ferue, elle ot paour et sailli à costé, auquel sault icelui Durant chey à terre et aussi firent les diz penniers. Après la quele choite, icelle jument trayna le dit Durant moult longuement, et croient qu’il avoit un pié en l’estrief qu’il ne povoit avoir. Et après ce la dicte jument se arresta, et lors les diz supplians et Grenon se approucherent assez près du dit Durant, en tele maniere qu’il ne les appercevoit point, pour savoir s’il estoit aucunement blecié ; et quant ilz apperceurent qu’il l’estoit bien fort et qu’il s’estoit rompu un bras, qu’il ne povoit aler, ilz s’en retournerent et s’en alerent au dit lieu de Chaalons à la messe, sans autrement parler à icelui Durant. Dont et aussi pour ce que icelui Durant fu, si comme l’en dit, mal gouverné, il ala de vie à trespassement quatre ou cincq jours après. Pour occasion duquel cas, le dit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays par aucun temps, pendant lequel il a esté banni, si comme l’en dit. Et depuis a esté prins et emprisonné par les gens et officiers des Commiquiers en Poictou2, qui contre lui ont voulu proceder extraordinairement et faire autres exploiz, dont il a appellé. Es queles prisons, ou autrement, le dit suppliant est en aventure de finer miserablement ses jours, et sa dicte femme et enfans d’aler mendier par le pays, se sur ce ne lui est impartie nostre grace et misericorde, si comme il dit, suppliant humblement que, comme en tous autres cas il ait tousjours esté homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans ce que oncques il feust actaint ne convaincu [p. 255] d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, et que le dit Durant estoit aucunement provocant, par ce qu’il les appelloit larrons, et ne lui demandoient aucune chose, quant il les commença à injurier, et toutes voyes il n’estoit serviteur ne subget du seigneur du dit lieu de la Ganasche, et que ce qu’ilz poursuy voient ainsi le dit Durant ne fu fors pour lui faire promettre qu’il ne les accuseroit aucunement, comme dit est, et que la femme et le filz du dit defunct soient satisfaiz, que nous lui vueillions estre piteables et misericors. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, etc., au dit suppliant ou cas dessus dit avons, pour reverence de Dieu et du saint temps où nous sommes3, quictié, remis et pardonné, etc., parmi ce que le dit Guillaume demorra en prison fermée par l’espace d’un mois au pain et à l’eaue, et oultre ce sera tenu de faire un pellerinaige à Nostre Dame de Rochemadour, et de ce rapportera certifficacion souffisant. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou, de Poictou et du Maine, et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de mars l’an de grace mil cccc. et treize, et de nostre regne le xxxiiiie.

Es requestes, du commendement du roy tenues par vous, èsqueles l’evesque de Noyon4, maistres Simon de Nanterre5, [p. 256] Jehan de Vely6, presidens en Parlement, Guillaume Chanteprime et pluseurs autres estoient. P. Nautron.

Item, semblable et pareillement donnée et signée pour Guillaume Grenon, mareschal, excepté qu’il a esté absent et n’a point appellé.


1 Alain VIII vicomte de Rohan, fils de Jean Ier et de Jeanne, héritière de Léon, avait épousé Béatrix de Clisson, l’aînée des deux filles d’Olivier IV de Clisson, connétable de France, et de Catherine de Laval, sa première femme. La terre de la Garnache était l’une des seigneuries du Bas-Poitou échues à Béatrix dans le partage qui fut fait après la mort de son père, le 5 mai 1408. (Coll. dom Fonteneau, t. XXVI, p. 335.) Le vicomte de Rohan devint chambellan de Charles VII vers 1425, mourut en 1429, et eut pour fils Alain IX. (Hist. généal., t. IV, p. 55.) Comme héritier de Clisson, il eut à soutenir un procès contre Georges de La Trémoïlle, à propos d’exploits faits indûment par ses officiers dans l’île de Noirmoutier (arrêt du 28 novembre 1416, X1a 62, fol. 68), et un autre contre Jacques de Surgères, sr de la Flocellière, qui lui réclamait, ainsi qu’aux autres participants à la succession de Belleville-Clisson, une rente de 200 livres assise sur les terres de Belleville, revendiquée déjà par Guy de Surgères en qualité d’héritier de son aïeule, Jeanne de Châteaumur. (Jugés du 9 mai 1416 et du 21 juillet 1431, X1a 61, fol. 199 v°, et X1a 9192, fol. 245.)

2 On sait que la terre et seigneurie de Commequiers appartenait alors à René Jousseaume, par suite de son mariage avec la fille et héritière de Guy, seigneur de la Forêt-sur-Sèvre et de Commequiers. (Voy. ci-dessus, p. 221, note.)

3 On approchait de la Semaine Sainte ; Pâques tomba en 1414 le 8 avril.

4 Pierre Fresnel fut évêque comte de Noyon du 21 août 1409 à 1415.

5 Simon de Nanterre, fils de Jean, chevalier, d’une famille parisienne, pourvu d’une charge de conseiller au Parlement, en 1399, et depuis de l’office de visiteur des lettres en la Chancellerie, les exerça conjointement jusqu’à la mort de Jacques de Ruilly, qu’il fut appelé à remplacer en qualité de président, le 20 novembre 1409. Sous Charles VI, il fut chargé de diverses missions politiques importantes. On sait qu’en 1418, lors de l’entrée des Bourguignons à Paris, il fut destitué, mais depuis lors on perd sa trace, et bien qu’il fût enterré en l’église Saint-Eustache à Paris, on ne connaît pas la date de sa mort. (F. Blanchard, Les Présidens au mortier du Parlement de Paris, in-fol., 1647, p. 31.)

6 Jean de Vaily ou Vailly, natif aussi de Paris, s’adonna d’abord au barreau, où il acquit une certaine réputation. Le dauphin Louis duc de Guyenne le créa son chancelier et, le 14 août 1413, il fut appelé au poste de quatrième président au Parlement de Paris. Fidèle au dauphin Charles, il le suivit à Poitiers, après l’occupation de Paris par le duc de Bourgogne, et devint premier président de la cour instituée dans cette ville, poste qu’il remplit jusqu’à sa mort, c’est-à-dire jusqu’au 9 mars 1435 n.s. (Voir X2a 21, X1a 9194, fol. 42, 82, 93.) Il avait épousé une poitevine, Jeanne Gillier, fille de Denis Gillier et de Jeanne de Taunay, sa troisième femme. Nous aurons d’ailleurs occasion de parler à nouveau de ce personnage.