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DCCCCXLIX

Rémission accordée à Jean Blanchard, d’Orfeuille, prisonnier audit lieu pour un viol commis six ans auparavant1.

  • B AN JJ. 164, n° 300, fol. 156
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 195-198
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Jehan Blanchart, le jeune, demourant à Orfuille en Poitou, povre homme, laboureur, chargié de jeune femme et de quatre petis enfans, mendres d’ans, comme le jour de la feste de Toussains l’an mil cccc. et trois, environ jour couchant, un appellé Jehan Peliçon, lors demourant au dit lieu d’Orfuille, eust dit au dit Blanchart et à un autre appellé Conquale, dit Courtoys, que Jehan Moteron et sa femme, demourant au village de la Route, lui devoient xx. solz, en leur priant qu’ilz vousissent aler avec lui à leur hostel querir iceulx vint solz, et il leur paieroit le vin ; lesquelx Blanchart et Conquale, qui avoient très bien beau, alerent après soir couchant avec le dit Peliçon audit hostel des diz Moteron et sa femme, et entrerent en une de leurs maisons qui [p. 196] estoit close d’une cheville de boys seulement, et ou quel hostel ilz estoient couchiez en leur lit2, et à l’uis d’icellui commencerent à appeler à haulte voix ledit Moteron et pousserent à icellui huis pluseurs foiz d’un baston qu’ilz avoient. Lequel Moteron, si tost qu’il les oy, vint ouvrir le dit huis, et quant ilz furent dedens le dit hostel, le dit Conquale tira son cousteau et du plat d’icellui donna un cop ou pluseurs sur les espaules du dit Moteron, ou ailleurs sur son corps, sans lui faire sang ne plaie, fors seulement qu’il fut un pou blessé en la main auprès du posse, sans mutilacion aucune. Et lors icellui Moteron, doubtant qu’ilz le vousissent batre et villener, s’enfuy de son dit hostel, et pour ce que la femme d’icellui Moteron doubta qu’ilz le vousissent batre, elle sailli hors de son lit et vint à eulx et leur dist qu’ilz ne feissent nul mal audit Moteron, son mary. Et lors icellui Moteron estant hors de son dit hostel, le dit Jehan Blanchart, qui estoit chargié de vin, ala au dit lit et en la ruelle d’icellui se mist sur la dicte femme d’icellui Moteron, qui estoit toute esbaye, et par force la congnut charnelment oultre sa voulenté, et n’y toucherent point les autres, mais ce pendant prindrent ou l’un d’eux, en un forcier qui n’estoit point fermé, trois touailles, troix linceux, une serviete et huit ou dix livres de fil, et autres biens et mist trestout en un sac, et dist le dit Peliçon qu’il les emporteroit, jusques à ce qu’il feust paié des diz xx. solz. Et le lendemain au matin, quant ilz eurent reposé leur vin et furent desenyvrez ou que que soit, certain jour après, ilz [p. 197] se adviserent qu’ilz avoient mesprinz en ce qu’ilz avoient fait en l’ostel des diz Moteron et sa femme, s’en repentirent et en furent moult dolens, et pour ce tantost ilz leur rendirent et restituerent, ou firent rendre et restituer tout ce qu’ilz y avoient prins. Et jasoit ce que depuis le dit temps qui est de plus de six ans, les diz Moteron et sa femme ne se feussent fait partie sur ce ne en fait poursuite contre le dit Jehan Blanchart, mais eust icellui Blanchart depuis beu, mengié, frequenté avec eulx amiablement, et l’eussent quicté des diz faiz et cas, les gens et officiers de nostre très chier et très amé oncle le duc de Berry, à la denonciacion d’aucuns hayneux d’icellui Blanchart, ou autrement, l’ont prins et mené prisonniers ès prisons de nostre dit oncle à Poitiers, ès quelles il a esté detenu à grant povreté et misere par l’espace de deux moys ou environ, et depuis a esté rendu à dame Philippe de Vernou, dame du dit lieu d’Orfuille3, et de la quelle le dit Blanchart est subgiet en toute justice, et a demouré en ses prisons par long temps et est en voye de briefment finer ses jours par rigueur de justice, se nostre benigne grace et misericorde ne lui est sur ce impartie, si comme dient les diz exposans, requerans humblement que, comme le dit Blanchart ait esté le temps de sa vie homme de bonne fame, renommée et honneste conversacion, sans avoir esté attaint ne convaincu d’aucun autre villain blasme ou reprouche, nous lui vueillons icelle nostre dicte grace impartir. Pour quoy nous, eue consideracion aux choses dessus dictes et que des faiz et cas dessus diz l’en dit le dit Jehan Blanchart dès long temps avoir esté [p. 198] quicté des diz Moteron et sa femme, voulans en ce, pour pitié et compassion de la charge que l’en dit icellui Blanchart avoir de sa femme et des quatre petis enfans dessus diz, misericorde estre preferée à rigueur de justice, à icellui Blanchart de nostre grace especial avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou, du Maine et de Poitou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de juillet l’an de grace mil cccc. et dix, et de nostre regne le xxxe.

Par le roy, à la relacion du conseil. Rouvres.


1 Ces lettres sont transcrites une première fois sur ce registre sous la date de mai 1410 (n° 247, fol. 135). Les deux textes ne présentent que des variantes de très peu d’importance. Celui qui est imprimé ici est le plus explicite.

2 La rédaction des lettres de mai 1410 est plus claire pour tout ce passage. En voici un extrait… « close d’une cheville de boys seulement, et en icelle maison prindrent en un forcier qui n’estoit point fermé trois touailles, trois linceux, une serviete et huit ou dix livres de fil et misdrent tout en un sac, et dist ledit Peliçon qui leur porteroit les dictes choses à son hostel, jusques à ce qu’il feust paié des dix (au lieu de xx) solz dessus diz, que lui devoient les diz Moteron et sa femme. Et ce fait les diz Peliçon, Blanchart et Conquale alerent à l’ostel d’iceulx Moteron et sa femme, ou quel ils estoient couchiez en leur lit… »

3 Suivant MM. Beauchet-Filleau, Jeanne de Vernou, fille d’Hugues, écuyer, sr de Gourgé et d’Orfeuille, épousa Geoffroy d’Argenton, chevalier, qui fut à cause d’elle seigneur d’Orfeuille et mourut un peu avant 1393. Sa femme lui survécut, et leur troisième fils Jean d’Argenton, écuyer, fut à son tour seigneur d’Orfeuille et chef de la branche de ce nom. (Dict. des familles du Poitou, nouv. édit., t. I, 1889, p. 102.) Philippe serait-il le véritable prénom de la femme de Geoffroy d’Argenton ? Il est difficile en tout cas d’admettre qu’il s’agisse d’une autre personne.