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Rémission accordée à André Hommet, boucher de Loudun, coupable du meurtre de Jean Langeais, à Savigny-l’Evêcault, à la suite d’une querelle de jeu, sauf amende et deux mois de prison.

  • B AN JJ. 159, n° 17, fol. 9
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 46-50
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des amis charnelz de Andrieu Hommet, bouchier demourant à Loudun, aagié de xl. ans ou environ, chargié de mere aveugle, de femme et d’un enfant de l’aage d’un an ou environ, contenant que comme, le second lundi après la feste saint Michiel derrenierement passée, le dit Andrieu feust alé en la ville de Savigné Levesqueau, ou diocèse de Poictiers, sur esperance d’aler à la foire à Montmorillon, pour achetter des denrées de son mestier de boucherie, afin d’en avoir et traire la vie et sustentacion de lui et de ses dis mere, femme et enfant, en laquelle ville de Savigné le dit Andrieu Hommet eust reperé en l’ostel d’un appellé Jehan Pinaut et en la compaignie de Guillaume Barré, marchant, demourant à Choppes près de Mirebeau ; et après ce que le dit Andrieu et Barré eurent beu et furent montez à cheval pour aler à la dicte foire, vindrent par devers le dit Andrieu Hommet Jehan Lengeais et Guillaume Sorin, lesquelz avoient amitié et congnoissance avecques lui, et par maniere d’esbatement le dessendirent et misdrent à [p. 47] terre de dessus sa jument, lui osterent son tabart et le porterent en la taverne, en l’ostel du dit Pinaut, et envoyerent sa dicte jument en l’ostel du dit Lengeais par un enfant, et par ce se departi d’ilec le dit Barré et laissa les dessus diz Andrieu Hommet, Lengeais et Sorin buvans ensemble. Auquel jour, devers le soir, yceulx Andrieu Hommet et Jehan Lengeais alerent par accort souper ensemble en l’ostel de Perrot Tassé, demourant ou dit lieu de Savigné Levesquaut, auquel hostel ilz trouverent le dit Perrot Tassé, Illaire, sa femme, Jehan Tassé, son filz, Robine, leur chamberiere, et pluseurs autres, avecques tous lesquelx et à une table ilz s’assistrent et souperent ; et après soupper le dit Jehan Tassé requist au dit Andrieu que il voulsist jouer à lui au jeu des quartes1, lequel Andrieu en soy excusant dist que riens n’en savoit, mais se à deux dez vouloit jouer pour une pinte de vin, à trois chances, il y joueroit voulentiers. Et lors le dit Jehan Tassé demanda au dit Jehan Lengeais se eulx deux joueroient et partiroient ensemble contre le dit Andrieu, lequel Lengeais le lui accorda, et incontinent prist ycelui Andrieu en sa bourse deux dez et les gecta sur la table, dont ilz se prinrent à jouer, et gaigna le dit Jehan Tassé une pinte de [p. 48] vin du dit Andrieu, la quelle en la presence il lui voult faire paier, mais ycelui Andrieu le contredist, disant qu’il avoit assis les dez et que, se le dit Lengeais avecques lequel il partoit ne jouoit encontre le dit Andrieu, il ne paieroit riens qu’il eust perdu. Lequel Lengeais se print tantost à jouer et sur ycelui Andrieu gaigna une autre pinte de vin, laquelle semblablement [voult] lui faire paier en la presence, dont il fu reffusant. Et adoncques dist ycelui Jehan Tassé au dit Andrieu que meilleur estoit de jouer entre lui et ycelui Andrieu à l’argent et bailler gaige, et de sa bourse tira le dit Jehan Tassé un blanc de dix deniers tournois, lequel il bailla en garde au dit Lengeais ; et lors ycelui Andrieu prist en sa bourse un blanc de cinq deniers et le bailla en garde au dit Lengeais, et voult jouer ; mais tantost ledit Jehan Tassé dist au dit Andrieu que, s’il vouloit jouer, qu’il baillast autre argent, car du blanc qu’il avoit baillé ne joueroit il point, ainçois en seroit paié le vin qu’il avoit perdu. Et en disant ces parolles, le dit Lengeais bailla le dit blanc de cinq deniers tournois au dit Perrot Tassé, lequel le bailla à sa femme. Dont le dit Andrieu se courrouça, disant à ycelui Lengeais telz parolles ou semblables en substance : « Rens moy mon blanc, car encores n’est pas venu le vin et à toy n’appartient point de faire mes paiemens ». Au quel Andrieu les diz Perrot et Jehan Tassé respondirent arrogamment que de son blanc n’avoit il riens, mais en seroit paié le vin qu’il avoit perdu. Et lors se leva le dit Andrieu en son estant et derechief, comme mal meu et courroucé, dist au dit Lengeais telz mos ou semblables : « Rens moy mon blanc, ou par le sanc Dieu, je te courrouceray ». Lequel Lengeais respondi au dit Andrieu que, se il estoit tant hardi de soy mouvoir, il seroit batu. Après laquelle chose ainsi dicte, ycelui Andrieu se bessa et prist en la cheminée du dit hostel un tison ou feu ardant, disant au dit Lengeais : « Ha, ribaut, est il à toy de moy menacer. » A quoy respondi ycelui Lengeais telz [p. 49] mos en effect : « Comment tu ne te bordes2 pas. Par le sanc Dieu, voirement sera tu batu, et en ceste nuit, se tu bouges ! » Et adoncques le dit Andrieu qui estoit seurpris de vin et s’estoit meu et courroucé des parolles qui [lui] avoient esté dictes et par temptacion de l’ennemi, haussa le dit tison, en disant au dit Lengeais : « A faulx ribaut ; par le sanc Dieu, vous le comparrez en present ». Et en ce conflit fery ycelui Lengeais du dit tison sur la teste, au dessus de la destre oreille, du quel cop il lui fist plaie et tant qu’il chey aladens sur une fourme ou celle, et assez tost après chey du tout à la terre, dont il fu relevé et coucha celle nuytée en l’ostel du dit Perrot Tassé. Et du dit hostel se fist le dit Lengeais, le mardi ensuivant, porter en sa maison, sans faire veoir ne visiter par aucuns mires ne cirurgiens sa dicte plaie. Pour occasion de laquelle bateure et navreure mort s’en ensuy, le dit jour de mardi, environ heure de prime, en la personne du dit Jehan Langeais. Par quoy icellui Andrieu Hommet s’est rendu fuitif et jamais n’oseroit converser ou dit païs, mais seroit en aventure d’en estre exillé à tousjours, et que ses diz mere, femme et enfant en devenissent povres mendiens, se par nous ne lui estoit sur ce impartie nostre grace et misericorde, si comme dient les diz supplians, requerant humblement que, comme le dit Andrieu en tous autres cas ait esté et soit de bonne vie et renommée, et que le dit cas advint par fortune et de chaude cole, sans aucune hayne precedant, nous sur ce leur vueillons impartir nostre dicte grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, au dit Andrieu Hommet avons ou dit cas remis, quictié et pardonné, etc., parmi ce qu’il sera puni civilement selon sa faculté et tendra prison fermée deux mois, et le restituons, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions [p. 50] d’Anjou, de Poitou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet l’an de grace mil iiiic et iiii, et de nostre regne le xxiiiie.

Par le roy, à la relacion du conseil. Toreau.


1 Le jeu de cartes était presque une nouveauté, à cette époque, surtout dans les provinces éloignées de la cour. Cette invention ayant excité particulièrement la curiosité des érudits, a été l’objet de recherches approfondies et de travaux si nombreux, que pour en dresser seulement la bibliographie, il faudrait un volume. Depuis Bullet et le P. Ménestrier jusqu’à Leber, Merlin et Boiteau, bien des dissertations sur l’origine et les transformations du jeu de cartes ont été publiées, sans que ces questions et celles qui s’y rattachent aient été suffisamment élucidées. Mais ce qui a été bien établi, c’est que la première mention authentique connue des cartes à jouer dans nos pays remonte à 1379, et que les édits prohibitifs des rois de France parlent de ce jeu dès l’année 1392. Ce que l’on peut conclure de ces deux dates, c’est que l’usage des cartes se répandit très rapidement. (Voir Leber, Études historiques sur les cartes à jouer. Paris, 1842, in-8° ; Alex. Pinchart, Recherches sur les cartes à jouer et sur leur fabrication en Belgique. Bruxelles, 1870, in-8, 54 pages ; et un bon résumé des travaux sur cette matière, dans la Grande Encyclopédie. Paris, Lamirault, in-4°, t. IX, p. 370-372.)

2 Behorder, boorder, se moquer, plaisanter.