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Rémission accordée à Jean Audouart, d’Oyré, prisonnier à Poitiers pour le meurtre de Thomas Mauduit. Attaqué par celui-ci et un nommé Durand, il avait en se défendant blessé mortellement le premier.

  • B AN JJ. 167, n° 58, p. 90
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 233-236
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Jehan Audouart, povre laboureur de la parroisse d’Oyré, chargié de femme et de cincq petiz enfans, contenant que le xviie jour du mois d’avril derrenier passé ou environ, Thomas Mauduit et un appellé Durant, garniz chascun [p. 234] d’une espée, furent à la taverne en l’ostel d’un appellé Berthomé Hardouyn, en la dicte parroisse d’Oyré, et demanderent le dit Audouart, et disoit le dit Thomas teles paroles ou semblables : « Le ribaut Audouart a dit de moy paroles injurieuses, mais se je le puis trouver, je le feré le plus courroucié qu’il feust oncques. » Et le dit jour environ heure de soleil couchant, ainsi que icelui Audouart s’en aloit à sa maison, il vit venir vers lui les diz Thomas et Durant, qu’ilz le queroient, si comme il creoit, et avoient chascun son espée, et le rencontrerent en un sentier qui passe devant la maison d’un appellé Perrot Molé et devant la maison de feu Burlé, lequel sentier est assez près de la maison du dit Audouart. Et si tost que ledit Thomas vit le dit Audouart, il se approucha de lui et lui dist teles paroles : « Tu m’as diffamé, ribaut, mais je te feray tout courroucié ». A quoy le dit Audouart respondi qu’il n’en avoit oncques parlé et que ceulz qui l’avoient dit au dit Thomas ne l’oseroient dire devant le dit Audouart. Et ce fait, leur dist adieu et prist son chemin à s’en aler à sa dicte maison, et les autres alerent vers l’eglise du dit lieu d’Oyré. Et pou de temps après, les diz Thomas et Durant retournerent hastivement envers ledit Audouart, et avoit le dit Thomas son espée toute nue en sa main, en disant : « Ribaut, il est temps de compter ». Et lors le dit Audouart se revyra vers eulx, et quant il les vit ainsi revenir vers lui, il ot moult grant paour, et afin qu’ilz ne s’approuchassent de lui, prist une pierre ou caillo en sa main pour soy defendre ; mais ce non obstant, le dit Thomas le poursuyvoit tousjours, tenant sa dicte espée ou poing toute nue pour le villener, en disant : « Tu morras, ribaut ». Lequel Audouart, pour obvier à la mauvaise voulenté du dit Thomas, gecta la dicte pierre contre icelui Thomas et l’en fery parmi l’espaule. Et ce fait, le dit Thomas s’avença et se prist au corps du dit Audouart, pour le vouloir gecter à terre. A quoy resista icelui Audouart telement qu’ilz [p. 235] cheurent touz deux à terre l’un à daus et l’autre sur les genoulz. Et si tost que le dit Audouart peut estre levé, il prist le chemin pour s’en fouir à sa maison, et le dit Thomas le poursuivy moult hastivement et de près, tenant tousjours l’espée toute nue, pour en cuider ferir icelui Audouart. Lequel Audouart, en fuyant, tray un grant badelaire qu’il avoit et en fery en arriere main le dit Thomas parmi la teste, ou en autre partie de son corps, ne scet en quel lieu, parce qu’il ne regardoit pas derriere soy. Et ce fait, se tray en sa dicte maison, cuidant illec avoir seur refuge. Les quelz Thomas et Durant le poursuyrent jusques à la dicte maison, en disant qu’il morroit. Et lors icelui Audouart prist un espiot estant en sa dicte maison et le mist en sa main, en leur disant que, s’ilz entroient en sa dicte maison, il se defendroit. Mais ce non obstant, ilz y entrerent de fait, et en entrant en la dicte maison, le dit Thomas se fery parmi le bras du dit espiot que tenoit en sa main le dit Audouart, et ce fait, se prist icelui Thomas au corps du dit Audouart, pour le vouloir gecter à terre, et tant qu’ilz cheurent à terre touz deulx ensemble, et quant ilz furent cheuz à terre, le dit Durant donna pluseurs cops de son espée au dit Audouart, et tant qu’il l’eust tué et occiz, se ne feussent certaines gens qui vindrent au cry, lesquelz empescherent que plus avant ne feust villené, et atant se departirent d’illec les diz Thomas et Durant, et deux jours après ou environ, ala icelui Thomas de vie à trespassement, pour cause de la bleceure et navreure à lui faicte par le dit Audouart, comme dessus est dit. Pour lequel cas icelui Audouart a esté pris et emprisonné, et de present est pour ce detenu prisonnier en la ville de Poictiers, ès prisons de nostre très cher et très amé oncle le duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, et doubte que on lui vueille garder rigueur de justice, se par nous ne lui est sur ce impartie nostre gracè et misericorde, si comme dient les diz exposans, suppliant humblement que, [p. 236] comme en tous autres cas, icelui Jehan Audouart ait esté et soit de bonne fame, vie et renommée, et ne cuidoit mie telement navrer le dit Thomas, ainçois en fu très courroucié, et aussi que ce fu sur son corps defendant et en reppellant force par force, nous sur ce lui vueillions impartir nostre dicte grace et misericorde. Pourquoy nous, ces choses considerées, etc., au dit Jehan Audouart avons ou dit cas remis, quictié et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou, de Poictou et du Maine, et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. et douze, et de nostre regne le xxxiiie.

Par le roy, à la relacion du conseil. Fortement.