MIII
Lettres données à la requête de Jean de Torsay, maître des arbalétriers de France, portant rémission en faveur de Jacques, comte de Ventadour, son gendre, coupable d’assassinat sur la personne de Guichard du Puy, premier huissier d’armes du roi, et remise de l’amende que ledit de Torsay avait encourue à cause de la fuite de son dit gendre, pour lequel il s’était constitué caution.
- B X1a 9190, fol. 195 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 363-374
Charles, filz du roy de France, regent le royaume, daulphin de Viennois, duc de Berry, de Touraine et conte de Poictou. Savoir faisons à tous, presens et advenir, nous avoir oye l’umble supplicacion de nostre amé et feal chevalier, conseillier et chambellan de monseigneur et de nous, messire Jehan de Torsay, seigneur de Lesay1, maistre des arbalestriers de France, pere de la femme et espouse de Jaques conte de Vantadour2, contenant que, ou mois de may derrenierement passé, nous estans à la Ferté Bernard, [p. 364] à jour de dimenche au soir, après ce que fusmes alez en nostre retrait, pour nous vouloir tantost après couchier, le dit conte de Ventadour, qui lors et despieça estoit nostre conseillier et chambellan en ordonnance, vint à l’uis de nostre chambre, que feu Guichart du Puy, en son vivant nostre premier huissier d’armes, gardoit, et hurta au dit huis pour entrer dedens la chambre et estre à nostre coucher, ainsi que à cause de son dit office de chambellan il avoit accoustumé ; lequel Guischart respondi à icelui de Ventadour qu’il n’y entreroit point, et que nous lui avions defendu que homme n’y entrast pour celle nuyt. Et le dit conte lui dist que ce ne lui avions point defendu au regard de lui. Adonc le dit Guichart lui dist teles paroles ou semblables : « N’estes vous pas homme, ne m’en croiez vous pas ? » Et le dit conte lui dist qu’il lui souvenist de sa response, et après se retrahy en l’alée près de la dicte chambre. Et sur ce point, vint Jehan du Cigny3, nostre escuier d’escuerie, qui entra dedens la dicte chambre, et demoura l’uis ouvert. Et quant le dit conte vit que ledit huis estoit ouvert, entra dedans icelle chambre et se adreça au dit Guichart, en lui disant ces paroles : « Or, Guichart, ce n’est pas le premier desplaisir que vous m’avez fait, et je vous promet que, se ne feust pour l’onneur de Monseigneur et vous ne feussiez en sa chambre, je vous donnasse sur la teste ». Et le dit Guichart respondi en tele maniere : « Si vous me frappez, aussi feray je vous », et mist la main à sa dague. Et sur ce debat, Pierre Frotier4, [p. 365] nostre premier escuier de corps, et les autres qui estoient en la dicte chambre les departirent. Et incontinant issismes de nostre dit retrait et entrasmes en icelle nostre dicte chambre, et demandasmes que c’estoit. Adonc le dit Guichart se agenoilla devant nous, en nous disant que le dit conte l’avoit voulu batre, pour ce qu’il ne lui avoit voulu ouvrir l’uis oultre nostre defense ; et pareillement le dit conte se agenoilla devant nous, et dist en ceste maniere : [p. 366] « Monseigneur, pour ce que vous m’avez fait dire que je feusse à vostre couchier et lever tous les jours, je y suis venu, et pour ce que Guichart ne m’a pas laissié entrer en vostre chambre, et y a bien laissié entrer des autres, je en ay esté courroucié, et lui ay dit que, se ne feust pour l’onneur de vous, que je lui eusse monstré qu’il m’en desplaisoit. » Et lors lui dismes et respondismes : « Ne vous en prenez point à noz gens, mais dictez le nous et l’en leur ordonnera ce que on vous devra faire. Car il fault qu’ilz facent ce que leur avons commandé. » Et incontinant le dit conte se parti de la dicte chambre et s’en ala à son logis, sans depuis avoir pour ce autres paroles au dit Guichart, jusques au mercredi ou jeudi ensuivant, que le dit conte estant à la messe en l’eglise du dit lieu de la Ferté, vint le dit Guichart en icelle eglise et en sa compaignie Briant Meschin5, armez chacun de cotte, dague et espée. Et quant le dit conte eut oy la messe, il s’en yssit de l’eglise et s’en ala à la porte de son logis, qui estoit droit devant icelle eglise, et illec se arresta grant piece. Et ainsi qu’il estoit illec et en sa compaignie pluseurs chevaliers et escuiers qui parloient ensemble, les diz Guichart et Briant yssirent de la dicte eglise et passerent assez près d’icelui conte, en leur chemin droit, au chastel où nous estions. [p. 367] Et quant ilz furent passez oultre le dit conte, environ trois ou quatre pas, le dit conte parti de sa place, sans dire mot aux autres qui estoient en sa compaignie, et ala bientost après le dit Guichart telement qu’il l’ateigny et le ferit de son espée au travers du visaige, en disant : « Defens toy », et l’abatit de ce coup à terre. Le quel Guichart demanda qui ce avoit fait, et le dit conte lui donna derrechief un autre coup sur la cuisse. Et sur ce point, vint un nommé le bastard Fouchier, qui estoit de la compaignie du dit conte, et ferit le dit Guichart de son espée sur la teste, dont il ne le blessa gaires. Et après, icelui bastart ferit un autre coup sur la joincte du code du dit Guichart. Et quant le dit Briant vit que on frappoit ainsi sur le dit Guichart, il retourna et tira son espée et la mist au devant pour recevoir les cops, afin qu’ilz ne tuassent le dit Guichart, et crioit mercy au dit conte, disant que pour Dieu ilz ne le tuassent pas. Et lors icelui bastart et un des gens du dit conte, cuidans que icelui Briant voulsist ferir le dit conte, laisserent le dit Guichart et coururent sus au dit Briant. Adone le dit conte dist : « Ho ! ho ! de par le deable ! » et incontinent pluseurs gentilz hommes et autres qui presens estoient, prindrent le dit Guischart et l’emporterent au logis de nostre escuerie, pour le faire apareillier. Et tantost après le dit fait, le dit conte monta à cheval et s’en ala au siege que faisions lors tenir par noz gens devant Montmirail6, à trois lieues près du dit lieu de la Ferté. Et pour ce que la chose vint à nostre cognoissance, nous escrivismes et mandasmes incontinent à noz chiefz de [p. 368] guerre tenans le dit siege, qu’ilz preissent et arrestassent prisonnier le dit conte. Lesquelx ainsi le firent, et le lendemain l’amenerent prisonnier au dit lieu de la Ferté, et lui estant ainsi arresté au dit lieu de la Ferté, le dit maistre des arbalestriers fist tant envers nous qu’il fut eslargi, parmi ce qu’il promist à nos diz chiefz de guerre qui en avoient la garde de le rendre en personne tout prisonnier en nostre chastel de Poictiers. Et pareillement promist icelui conte soy y rendre. Après lequel eslargissement, pour ce que icelui conte oy dire que le dit Guichart estoit sur les traiz de la mort, il, doubtant estre rigoureusement traictié, se parti hastivement du dit lieu de la Ferté et s’en ala à son chastel de Vantadour. Et incontinent par le moien et à l’occasion des dictes bateures et navreures, le dit Guichart ala de vie à trespassement, c’est assavoir le samedi d’après le dit mercredi ou jeudi que le cas advint.
Pour occasion du quel cas, le dit conte de Ventadour s’est depuis tenu et encores tient en son dit chastel, et n’oseroit plus retourner par devers nous, à sa très grant douleur et desplaisance, se nostre grace ne lui estoit sur ce eslargie, si comme le dit de Torsay, son beau pere, nous a dit et remonstré, en nous très humblement suppliant que, attendu le jeune aage du dit conte, son filz, et que ce qu’il a fait a esté par le grant desplaisir qu’il print des paroles et responses si oultrageuses que lui fit le dit Guichart, ce que pas faire ne devoit, se sembloit audit conte, eu regard à sa personne et au lieu, estat et office dont il estoit entour nous et autrement, et que se le dit conte eust cogneu et bien pensé, comme il fait à present, la grant offense qu’il a en ce commise envers nous et le grant desplaisir qu’il a depuis sceu que y avons prins, il eust mieulx aymé mourir que jamais l’avoir voulu faire ne penser, et en est tant triste et dolent que plus ne peut. Et consideré aussi les bons et grans services qu’il nous a faiz le temps passé et pourra encores faire, et mesmes que à la bataille et journée d’Argincourt [p. 369] (sic) il fut prins prisonnier, et que tousjours ses predecesseurs et lui qui sont descenduz de si grant et noble lignée, se sont bien et loyaument maintenuz et gouvernez envers monseigneur, nous et la couronne de France, sans jamais avoir voulu varier ne eulx adherer aux Anglois, anciens ennemis de ceste seigneurie, jasoit ce que ilz eussent et encores ait ledit conte leurs places et possessions joingnans ou bien près d’iceulx ennemis, en la frontiere de Limosin, et que à ceste occasion aient enduré et soustenu plusieurs maulx et dommaiges ; et ce neantmoins a esté tousjours et est le dit conte en ferme propos et voulenté de tout son temps vivre et demourer soubz nostre bonne et vraie obeissance, et d’emploier son corps et tout le sien en nostre service, nous lui vueillons eslargir nostre grace et misericorde et avoir pitié et compassion de son meffait.
Pour quoy nous, ces choses considerées et attendu mesmement les grans et notables services que ledit Torsay, qui est chief d’office en ce royaume et ung des premiers et plus anciens officiers et serviteurs, que mon dit seigneur et nous aions de present, a faiz à mon dit seigneur et à nous, tant en ses diz offices comme en pluseurs autres manieres, fait de jour en jour en noz presens affaires, ès quelx le trouvons tousjours prest à soy y emploier, à grant travail et diligence, dont bien nous sentons obligié à lui, voulans à celle faveur et pour plusieurs autres [causes] à ce nous mouvans, le relever des peines et dangiers en quoy il pourroit estre encheu à cause de l’absence et partement du dit conte de Ventadour, et la faulte qu’il a faicte de comparoir et soy rendre en nostre chastel de Poictiers, ainsi que le dit de Torsay l’avoit pour lui promis, comme dessus est dit. Et voulans aussi, tant en contemplacion d’icelui de Torsay, du quel ledit conte est, à cause de sa dicte femme, seul et principal heritier7, comme pour garder l’onneur de la [p. 370] maison dont est yssus le dit conte, extendre à icelui conte nostre dicte grace, à ce que par default d’icelle il n’ait couleur ou achoison de cheoir en desespoir, et de faire autre chose plus avant contre son honneur et le serement et feaulté qu’il a et doit à mon dit seigneur et à nous, à icelui Jaques conte de Ventadour, euz par nous sur les choses et requestes que dessus l’advis et deliberacion de plusieurs des gens de nostre conseil, avons remis, quictié et pardonné et par ces presentes, de nostre certaine science, grace especial et auctorité royal dont nous usons, quictons, [p. 371] remettons et pardonnons le faict et cas dessus dit, avecques toute peine, offense et amende corporelle, criminele et civile, en quoy il est et pourroit, pour occasion d’icelui et de non estre comparu, selon sa promesse, en nostre dit chastel, estre encouru envers nous et justice, ensemble les evocacions et appeaulx, s’aucuns s’en sont contre lui ensuiz, et de plus ample grace l’avons restitué et restituons à sa bonne renommée et à ses terres, seigneuries, possessions et autres biens quelxconques, non confisquez. Et semblablement avons audit de Torsay quictié et quictons, de nostre habondant grace, les dictes peines et amendes [p. 372] en quoy il est et pourroit estre dit et declairé encheu et encouru envers nous et justice, à l’occasion de ce que dit est dessus et de la caucion, plegerie, response ou promesse ainsi par lui faicte et non accomplie au regard d’icelui conte, et ne voulons pas que jamais on en puisse riens demander à lui ny à ses hoirs ou aians cause, en quelque maniere que ce soit. Et quant à ce, et aussi au regard du fait principal touchant le dit conte, imposons silence perpetuel au procureur de mon dit seigneur, au nostre et à tous noz autres justiciers et officiers, pourveu toutesvoies que, avant tout euvre, satisfacion soit faicte civilement et raisonnablement, [p. 373] tant que suffire doie, aux parens et amis du dit feu Guichart, à qui il appartendra, si ja n’a esté faicte. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à noz amez et feaulx conseilliers de monseigneur et nostres, les gens tenens et qui tendront le Parlement de mon dit seigneur en nostre ville de Poictiers, aux mareschaux de France et le nostre mareschal, aux seneschaux de Limosin et de Poictou et à tous les autres justiciers et officiers de monseigneur et nostres, ou à leurs lieuxtenans, presens et advenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit conte de Ventadour et aussi le dit de Torsay, et à chascun d’eulx, en tant que ce lui touchera, facent, seuffrent et laissent joïr et user plainement et paisiblement de noz presente grace, pardonnance, quictance et remission8, sans leur faire ou donner, ne souffrir estre fait ou donné, ores ne ou temps advenir, aucun arrest ou empeschement au contraire en corps ne en biens, ne autrement, en quelconque maniere que ce soit, ainçois leurs personnes, terres, seigneuries ou autres biens qui pour ce seroient aucunement empeschez, mettent ou facent mettre sans delay à plaine delivrance. Car ainsi nous plaist il et pour les causes que dessus voulons qu’il soit fait. En tesmoing de ce, nous [p. 374] avons fait mettre nostre seel à ces presentes, sauf en autres choses le droit de mondit seigneur et nostre, et l’autruy en toutes. Donné ou chastel d’Amboise, ou mois de juillet l’an de grace mil iiiic xxi.
Sellées de nostre seel ordonné en l’absence du grant.
Ainsi signées : Par monseigneur le regent daulphin, en son conseil, ouquel l’arcevesque de Rains9, l’evesque de Tuelle10, le doien esleu de Paris11, le sire de Mirandol12 et maistre Jehan Cadart13 estoient. J. Le Picart. Visa.