DCCCCLVIII
Rémission octroyée à Jeanne Marteau, femme de Gilles Symes, poursuivie au Parlement de Paris pour complicité dans l’enlèvement de Jeanne Jourdain, damoiselle, sa pupille, par Louis de Lestang.
- B AN JJ. 166, n° 359, fol. 237 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 219-229
Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehanne Martelle1, femme de Gilet Symes2, contenant que Jehanne [p. 220] Jourdaine, fille de feu Jehan Jourdain3 et de Jehanne Jousseaume, jadiz sa femme, estant mineur d’ans en la tutele, garde et gouvernement du dit Gilet Symes par ordonnance testamentoire du dit feu Jehan Jourdain, pere de la dicte Jourdaine, et par auctorité de justice confirmée, Loys de Lestanc4, parent et filleul de la dicte suppliante et qui par ce moien et aussi par le moien de nostre bien amé Regnault de Vivonne, seigneur de Thors et de Poiroux, son maistre, qui est un très grant seigneur et puissant au pays5, avoit grant entrée en l’ostel du dit Gilet [p. 221] Symes, ala et vint par aucunes fois en l’ostel d’icelui Gilet, appelé la Druillardiere, ouquel il tenoit sa residence et demeure ; et entre les autres, se transporta le dit Loys ou dit hostel à un certain jour et y trouva icelle suppliante, absent le dit Gilet, son mary, et parla à elle, et entre autres choses lui dist en effect et substance qu’il avoit tousjours esperé que la dicte Jehanne Jourdaine feust mariée avec Milet Symes, son filz, et que l’en tenoit au pays que Regné Josseaume, chevalier, entendoit à elle marier avecques Guillaume Josseaume, son filz6. A quoi icelle suppliante [p. 222] respondique la dicte Jehanne Josseaumé, mere de la dicte Jourdaine, estoit mal contente et hayneuse du dit Gilet et d’elle, pource que la dicte Jehanne Josseaume estant en son hostel des Granges, ès vendenges lors derrenierement passées, ilz lui avoient reffusé bailler sa dicte fille, pour l’acompaigner tant qu’elle y seroit, et aussi pour cause de certain plait et procès que icelui Gilet, comme tuteur de la dicte Jourdaine, avoit intenté contre icelle Josseaume, en l’assise de Boingt, et doubtoit icelle suppliante [que elle] et nostre amé et feal Hugues Catus, chevalier, son mary, la voulsissent marier avecques Jehan Catus, frere puisné du dit Catus7, et que par ce icelle Josseaume n’eust pas aggreable [p. 223] qu’elle feust mariée avecques le dit Milet. Et lors le dit Loys dist à la dicte suppliante qu’il vouldroit estre marié avec la dicte Jehanne Jourdaine, en priant à la dicte suppliante qu’elle en voulsist son bien, car sans son aide il ne pourroit bonnement faire. Auquel icelle suppliante respondi qu’elle l’avoit bien aggreable, mais que icelle Jourdaine et les plus grans de ses amis le voulsissent. Et de fait se parti le dit Loys, et depuis ce, retourna malade d’une boce au dit lieu de la Douillardiere, et y demoura malade par l’espace de xv. jours ou environ, pendant lequel temps la dicte Jourdaine le visita par pluseurs fois. Et en ce faisant, icelui Loys parloit à elle en appert et en privé ce que bon lui sembloit, saichant et consentant icelle suppliante, pour la parenté et affinité qui estoit entre elle et le dit Loys. Et quant icelui Loys fu aussi comme sur le point d’estre guery de la dicte bosse, il s’en ala par devers son dit maistre au dit lieu de Peiroux, distant du dit lieu de la Druillardiere une lieue ou environ. Et par aucun temps après, retourna de rechief icelui Loys au dit lieu de la Druillardiere où il trouva la dicte suppliante et la dicte Jourdaine ; et après ce qu’il eut parlé à icelle Jourdaine secretement ce que bon lui ot semblé, il ala par devers icelle suppliante [p. 224] et lui dist que lui et la dicte Jourdaine avoient promis l’un à l’autre qu’ilz se prendroient par nom de mariage, et qu’il vendroit querir icelle Jourdaine pour l’enmener et acomplir le dit mariage, le sabmedi avant l’Ascension l’an mil cccc. xi, en soy recommandant de ce à la dicte suppliante et priant qu’elle portast son fait et en icelui le conseillast et aidast, disant que les amis d’icelle Jourdaine en estoient d’accord et qu’il en estoit à un avec eulx. A quoy la dicte suppliante, cuidant que ainsi feust, respondi que voulentiers de tout son povoir le feroit, et se consenti à ce, et tant que le jour de sabmedi devant la dicte feste de l’Ascencion du dit an cccc. xi, le dit Loys et Jaques, son frere, armez de haubergons, avansbraz, espées et dagues, acompaignez de deux varlès, se transporterent au dit lieu de la Douillardiere, environ heure de basses vespres, et pour ce qu’ilz trouverent la grant porte du dit hostel fermée, telement qu’ilz n’y peurent entrer par la dicte porte, ilz s’en alerent par derriere icelui hostel et entrerent ou boys d’icelui hostel, et d’ilec en un petit jardin qui estoit fermé de palys, joignant d’icelui hostel ; le quel paliz ilz rompirent au droit du verroueil du dit jardin, qui est derriere la sale du dit hostel. Et ce fait, entrerent ou dit hostel par une fenestre de la dicte sale ; et d’ilec alerent ou ballet8, où ilz trouverent la dicte suppliante, laquele ilz saluerent, et elle leur respondi : « Je ne vous salue point, vous ne valez riens. Alez, alez, elle est laissus9. » Et tantost alerent à la chambre du dit Gilet Symes, où estoit la dicte Jourdaine, laquele chambre estoit fermée, et hurterent par pluseurs fois à l’uys de la dicte chambre, en l’appellant. Et pour ce qu’elle ne voult pas ouvrir tantost la dicte chambre, le dit Loys tray sa dague et en volt ouvrir le dit huys. Et lors la dicte Jourdaine ouvry le dit huys bien ennuys et à grant [p. 225] crainte, si comme on dit. Et entrerent dedens la dicte chambre et saluerent icelle Jourdaine, et s’entrebaiserent eulx et elle ; et lui recita icelui Loys les dictes promesses et convenances de mariage autresfois parlées entre eulx, comme dit est, en lui demandant s’elle les vouloit tenir. A quoy elle respondi que oy, mais que le dit Gilet Symes, son tuteur, qui estoit absent, lui avoit defendu par pluseurs foys qu’elle ne se mariast à homme du monde, sans le congié de lui et de ses autres amis, et que la dicte suppliante en pourroit bien estre batue, et pluseurs autres paroles eurent entre eulx, si comme icelle suppliante a depuys oy dire ; car elle n’estoit pas presente à ce. Et après ce, le dit Jaques, frere du dit Loys, prist la dicte Jourdaine par la main, et combien qu’elle deist qu’elle ne s’en vouloit point aler et qu’elle se prist à une huche ou coffre qui estoit en la dicte chambre, icelui Jaques la trahy hors de la dicte chambre, et lors elle se prist à plourer et faire autres signes de courroux, jusques au dehors du dit hostel. Et combien que la dicte suppliante veist ce que dit est, elle dissimula et laissa passer sans en faire aucun semblant. A l’issue duquel hostel, le dit Milet, filz du dit Gilet, vint à eulx et leur dist que ce n’estoit pas bien fait de prendre et emmener ainsi les damoiselles et qu’ilz la laissassent, dont ilz ne vouldrent riens faire ; et s’escria lors icelle Jourdaine, disant qu’elle ne s’en yroit point sanz le congié du dit Gilet. Et en ce disant le dit Jaques la monta à cheval, contre sa voulenté, derriere le dit Loys son frere, mais icelle Jourdaine en criant se gecta sur les espaules du dit Jaques, qui par force et violence la mist devant le dit Loys en la selle sur le dit cheval. Et atant s’en partirent et emmenerent la dicte Jourdaine là ou bon leur sembla. Et dit on que depuis assez tost après le dit Loys la fiença, et le lendemain des dites fiançailles l’espousa au lieu de la Chappelle Haudry10. Après lesqueles choses ainsi [p. 226] faictes, icelui Loys enmena la dicte Jourdaine en pluseurs et divers lieux et l’a detenue par aucun temps, durant lequel il a eu sa compaignie charnele, si comme on dit. Pour lequel cas, ou quel l’en dit nostre sauvegarde avoir esté enfrainte, port d’armes, force publique et ravissement dampnables avoir esté commis et perpetrez, procès a esté meu et pend par devant nostre bailli de Touraine ou son lieutenant à Chinon, tant entre nostre procureur illec et les amis charnelz d’icelle Jourdaine, demandeurs, d’une part, et la dicte suppliante, le dit Giles Symes, son mary, les diz Loys et Jaques et autres, defendeurs, d’autre part. Sur quoy tant a esté procedé entre les dictes parties que, par le moien de certaine appellacion faicte à nostre court de Parlement par les diz demandeurs, et aussi de certainnes noz lettres par eulx sur ce obtenues, les parties oyes sur l’enterinement de nos dictes lettres obtenues par les diz amis charnelz d’icelle Jourdaine, la dicte appellacion a esté mise au neant sans amende, touz despens reservez en diffinitive. Et a ordonné nostre dicte court que la cause principal demourra en icelle nostre court, et que les parties y procederont aux jours de Vermendois de ce present Parlement, comme il appartendra par raison. Ausquelz jours icelle suppliante a esté adjournée par cry publique à comparoir personnelment, sur peine de bannissement et de confiscacion de touz et chascuns ses biens. Et toutes voyes elle n’y a peu comparoir en personne, obstant ce qu’elle est detenue de maladie, et par ce y a envoyé son exonye de la dicte maladie, et a esté donné defaut contre elle à ses parties adverses, sauf la verifficacion de la dicte exonye11. Laquele suppliante qui est simple et ygnorante, et ne cuydoit riens [p. 227] mesprendre en ce que dessus est dit, attendu que le dit Loys lui donnoit à entendre que la dicte Jourdaine et ses [p. 228] amis estoient d’accort du dit mariage, doubte estre durement et riguoreusement traictée par justice, pour cause du [p. 229] cas et faict dessus dit, se par nous ne lui est sur ce impartie nostre grace, si comme elle dit, requerant humblement icelle. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, à la dicte suppliante avons quictié, etc., etc. Si donnons en mandement pa ces mesmes presentes à noz amez et feaulx conseillers les gens tenans nostre present Parlement et qui le tendront pour le temps avenir, au prevost de Paris, au bailli de Touraine et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de novembre l’an de grace mil cccc. et douze et de nostre regne le xxxiiie.
Par le roy, monseigneur d’Ivoy et pluseurs autres presens. J. Desquay.