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DCCCCLIII

Rémission accordée à Jean Pénigaut, d’Iteuil, détenu prisonnier pour un viol commis sur Guillemette Rousseau, femme de son neveu, Etienne Nicolas, à condition qu’il restera enfermé au pain et à l’eau pendant deux mois.

  • B AN JJ. 165, n° 158, fol. 97 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 26, p. 206-210
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté humblement exposé, de la partie des amis charnelz de Jehannot Penigaut, dit Papiot, povre laboureur, aagié de cinquante ans ou environ, que, le premier dymenche de karesme derrenier passé, le dit Jehannot par la temptacion de l’ennemi pria à Guillemete Rousselle, femme de Estienne Nicolas, nepveu du dit Jehannot, qu’il eust sa compaignie charnelle, et depuis l’en a priée par plusieurs foiz, pour ce qu’il lui sembloit qu’elle s’en excusoit bien lachement et que par ses paroles il sembloit qu’elle en feust assez presque d’accort ; et le dymenche après l’Ascension Nostre Seigneur derrenierement passée, le dit Jehannot et la dicte Guillemete et pluseurs autres alerent à l’esglise d’Itueil, où le nepveu du curé d’icelle esglise devoit chanter messe nouvelle. Après laquelle messe, le dit Jehannot et la dicte Guillemete et autres en leur compaignie alerent à l’ostel de Jehan Prevost, où l’en vendoit vin, et illec disnerent ensemble ; et après disner, ceulx qui estoient en leur compaignie s’en alerent, et demeurerent les diz Jehannot et Guillemete tous seulz, et paia le dit Jehannot l’escot de la dicte Guillemete. Et ce fait, la dite [p. 207] Guillemete s’en ala hors du dit hostel, et le dit Jehannot demoura en icellui jusques à l’eure de ressie ou relevée, ou environ. Et lors se parti le dit Jehannot et ala à l’ostel de Colin Mathé où il avoit semblablement vin à vendre, et illec trouva la dicte Guillemete et les pere et mere d’icelle, et illec burent tous ensemble, et quant ils orent beu, ilz s’en partirent tous ensemble du dit hostel ; et en eulx en alant, ilz trouverent un homme qui aloit donner un panier de relief qui estoit demouré de la feste dudit chappellain qui avoit chanté la dicte messe nouvelle, duquel relief le dit Jehannot print ce que bon lui sembla, et alerent de rechief le dit Jehannot et la dicte Guillemete, et un appellé Guillaume Duboys seulement, à l’ostel du dit Colin Mathé, et illec burent, mengerent et demourerent jusques au soir bien tart, environ heure de jour couchant, et paia de rechief le dit Jehannot l’escot de la dicte Guillemete. Et encore fist appareiller le dit Jehannot une xii d’eufs à un autre hostel du dit Colin, où il faisoit sa demourance, qui est distant dudit hostel où il vendoit le dit vin d’une versane1 ou environ. Et pour ce que l’en n’apporta pas les diz eufs si tost que le dit Jehannot eust voulu, il ala ou dit hostel où l’on cuisoit les diz eufs, et y trouva la dicte Guillemete qui y estoit alée, laquelle estoit couchiée sur un lit. A la quelle le dit Jehannot demanda se elle ne mengeroit pas bien des diz eufs ; laquelle respondi qu’elle ne savoit et qu’elle n’avoit point de fain, et le dit Jehannot lui dist qu’elle en mengeroit et qu’elle se levast et alast avec lui à l’autre hostel du dit Colin, où l’on vendoit le dit vin. Et lors se partirent les diz Jehannot et Guillemete [p. 208] ensemble du dit hostel, pour aler en l’autre hostel où l’en vendoit le vin. Et quant ilz furent presque la moitié du chemin qui est entre les diz hostelz, le dit Jehannot s’arresta et print la dicte Guillemete par le bras et lui dist qu’elle lui avoit pluseurs foiz promis qu’il auroit sa compaignie charnelle, s’ilz trouvoient lieu, et qu’ilz avoient bon lieu là endroit, et en parlant pluseurs paroles l’un à l’autre, alerent jusques auprès d’une petite brousse d’espines, et illec le dit Jehannot la getta par terre et la congneut charnelment contre son gré. Pour occasion de la quelle chose le dit Jehannot a esté prins et mis ès prisons de nostre amé et feal conseiller l’evesque de Poitiers2, comme ès prisons empruntées par nostre amé et feal Jehan de Torsay, chevalier, seigneur de Clavere3, ès quelles prisons [p. 209] il est detenu à grant misere et povreté et en voye de finer ses jours miserablement, se sur ce ne lui est impartie nostre grace et misericorde, si comme ses diz amis dient, en nous humblement suppliant que, attendu que le dit Jehannot en autres cas a tousjours esté homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans avoir esté actaint ou convaincu d’aucun autre villain blasme ou reprouche, et que ce qu’il a fait en ceste partie a esté par temptacion de l’ennemi, et que à l’eure que le fait advint, [p. 210] le dit Jehannot et la dicte Guillemete avoient beu par pluseurs foiz ensemble le dit jour, comme dit est, et que la dicte Guillemete est contente et ne s’en fait plus partie, nous sur ce lui vueillons nostre dicte grace impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, etc., au dit Jehannot ou dit cas avons remis, quicté et pardonné, etc., parmi ce qu’il demourra en prison fermée par l’espace de deux moys, au pain et à l’eaue. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes au bailli de Touraine et des Exempcions de Poitou, Anjou et le Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de septembre l’an de grace mil cccc. et onze, et de nostre regne le xxxie.

Par le roy, messire Guerin de Lorriz4 et pluseurs autres presens. G. Toreau.


1 Du Cange dans son Glossaire, au mot « versana », cite le présent texte sans dire en quoi consistait la mesure ainsi désignée. Suivant M. Godefroy, « versaine ou versane » dans le Poitou, la Saintonge et l’Aunis, signifiait l’espace parcouru par le laboureur, sans qu’il revienne sur ses pas, c’est-à-dire la longueur d’un sillon, mesure essentiellement variable. (Dictionnaire de l’ancienne langue française.)

2 L’évêque de Poitiers était alors Pierre Trousseau (1409-1413), précédemment archidiacre de l’église de Paris et maître des requêtes, depuis archevêque de Reims.

3 En 1411, date de ces lettres, trois membres de cette famille, portant le prénom de Jean, figurent dans les textes poitevins : 1° Jean de Torsay, sr de la Roche-Ruffin, la Mothe-Saint-Héraye, Lezay, etc., sénéchal de Poitou, le plus connu, dont on trouvera la notice quelques pages plus loin ; 2° son oncle, Jean, seigneur de Béruges, de Contré, etc., sur lequel des renseignements inédits ont été publiés dans le précédent volume (p. 374 note) ; 3° Jean, le deuxième fils de ce dernier. On ne saurait dire auquel de ces trois personnages appartenait la seigneurie de Clavière. Nous n’avons pas suivi Jean de Torsay, sr de Béruges, au delà de l’acte du 3 janvier 1401, qui nous a permis de le distinguer de son neveu, le sénéchal de Poitou et grand maître des arbalétriers. Cependant il vécut encore plus de quinze ans. L’Inventaire des archives du château de la Barre, publié par M.A. Richard (t. II, p. 305), nous fait connaître un mandement d’enquête adressé, en mai 1407, au sénéchal de Saintonge, sur la plainte de Jean de Torsay, seigneur de Contré, et de Jeanne Horric (Orrye), sa femme. Ils accusaient Pierre Chapellère et ses complices de s’être boutés par force en l’hôtel de la Barbotière, appartenant au demandeur, de s’y être installés et d’y avoir coupé du bois, et requéraient d’être rétablis dans la possession de leur bien ; ils demandaient en outre que les perturbateurs fussent ajournés devant le sénéchal de Saintonge, au siège de Saint-Jean-d’Angély, le plus rapproché des lieux en litige. Huit ans plus tard, le sr de Contré était en procès contre Guy Faydit, chevalier. Une contestation survenue entre eux, à propos d’héritages et revenus qu’ils revendiquaient réciproquement, avait été arrangée à l’amiable. Mais il paraît qu’ensuite, frauduleusement et en contrevenant à la transaction, Jean de Torsay « fist un applegement de tort, de force et de nouvelle dessaisine à un sergent du duc de Berry, nommé Mirebeau » ; puis aux grandes assises de Lusignan, le lieutenant du sénéchal, favorisant ledit Torsay qui est oncle du dit sénéchal, refusa de recevoir Faydit en contre-applégement. D’où appel en Parlement. Le plaignant obtint des lettres du roi, lui accordant délivrance des biens saisis, le 7 août 1415. Un arrêt de la cour du 5 juin 1416, dans lequel sont transcrites lesdites lettres, mit l’appel au néant et renvoya les parties à Lusignan, ordonnant au sénéchal de leur faire bonne et prompte justice. (X1a 61, fol. 41.)

Dans un autre arrêt du 14 août 1410, on trouve Jean de Torsay qualifié capitaine de Chizé. (S’agit-il du sr de Contré, de son fils, ou même du sénéchal ?) Il voulait contraindre les habitants de Chizé, Brieuil, Availles et Villiers-sur-Chizé à faire le guet et la garde au château, et ceux-ci s’en prétendaient exempts. (X1a 57, fol. 165.) Nous pouvons donner aussi quelques renseignements sur les fils de Jean, sr de Contré et de Béruges. L’on a vu dans un acte de 1399 (tome VI, p. 374) qu’il eut cinq enfants. Une fille née d’un premier lit, Jeanne, épousa vers 1392, Jean de Varèze et mourut peu de temps après son mariage. Jeanne Horric lui donna trois fils, Robert, Jean et Paonnet, né en 1391, et une fille nommée Philippe. Robert de Torsay, l’aîné, était en 1398 échanson du duc de Berry. (Arch. nat., KK. 253, fol. 91.) En septembre 1415, sur un compte du trésorier du duc de Guyenne, il est mentionné en qualité d’écuyer d’écurie de ce prince, pour un don de 200 livres qu’il en avait obtenu comme compensation des pertes et dommages qu’il avait éprouvés dans un voyage naguère fait au service de son maître. (Bibl. nat., Pièces originales, vol. 2855.) A la même époque, Paonnet, le plus jeune frère de Robert, remplissait l’office d’échanson auprès du même prince. Il reçut un don de 20 livres pour s’habiller et être à même de mieux servir Monseigneur contre les Anglais, suivant un extrait du 7e compte de François de Nerly, trésorier du duc de Guyenne, fini le 18 décembre 1415. (Id. ibid.) Quant à Jean de Torsay, le deuxième fils du sr de Contré, on peut suivre sa trace quelques années plus tard. L’an 1420, pendant que Pierre de Sauveterre prenait part à une expédition « sur la frontière des ennemis », sous les ordres du maître des arbalétriers (l’autre Jean de Torsay) et du sire de Mareuil, sénéchal de Saintonge, Jean de Torsay, qualifié chevalier, seigneur d’« Autrey », avait fait saisir sa terre, sous prétexte de défaut d’hommage. Il en résulta un procès qui fut porté en appel au Parlement siégeant à Poitiers, et dans lequel intervint un jugé sous la date du 23 juin 1423. (X1a 9190, fol. 234 v°.)

4 Le P. Anselme cite un Guérin de Lorris, dit Lancelot, chevalier, seigneur en partie de Luzarches, second fils de Robert de Lorris, seigneur d’Ermenonville, secrétaire du roi, et de Pernelle des Essarts, mais il dit qu’il mourut vers 1380, laissant des enfants mineurs sous la garde de sa veuve, Isabelle, fille de Mathieu de Montmorency. (Hist. généal., t. II, p. 412 ; t. III, p. 618.) Le personnage nommé ici est vraisemblablement le fils aîné de ce premier Guérin de Lorris et d’Isabelle de Montmorency.